Les « droits des chrétiens », le « prestige et les prérogatives du président de la République » : voilà les slogans qui résument les batailles politiques du Courant patriotique libre ces dernières années. Mais, aujourd’hui, le courant aouniste est plus que jamais mis à nu, noyé dans ses propres contradictions. Pourquoi ? La réponse pourrait se trouver à Yarzé.
Peu après les législatives de mai 2022, le chef du CPL, Gebran Bassil, s’est vu asséner un coup de la part de… son allié traditionnel, le Hezbollah : Nagib Mikati est reconduit à son poste de Premier ministre. Après la fin du sexennat de Michel Aoun, le parti orange a décidé de riposter : depuis décembre dernier, il boycotte tout Conseil des ministres tenu en période de vacance présidentielle. Car un gouvernement sortant n’a pas le droit de se réunir et prendre des décisions qui dépassent l’expédition des affaires courantes stricto sensu. Quelques mois plus tard, M. Bassil a contribué à mettre en échec les tentatives de nommer un successeur à l’ex-gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, une des bêtes noires des aounistes. Là aussi, le motif était clair : pas de nomination avant de pourvoir à la vacance à la tête de l’État.
Tout cela, c’était avant que toute l’actualité politique locale ne tourne autour de Joseph Aoun. Nommé en 2017 par la même formation qui veut aujourd'hui s'en débarrasser, le numéro un de l'armée est un des plus sérieux candidats à la présidence de la République. Et c’est là que le bât blesse pour Gebran Bassil. Depuis le début du feuilleton de la présidentielle, M. Bassil a réussi à s’affirmer comme l’élément incontournable dans le choix du successeur de son beau-père. Le chef du CPL est conscient de sa position de force sur l’échiquier présidentiel. Il sait que c’est de lui que le Hezbollah a besoin pour faire élire son candidat, Sleiman Frangié. Il sait aussi que c’est de lui que dépend la bataille de l’opposition face au Hezbollah. De quoi lui permettre de tracer autant de lignes rouges qu’il veut. L’une de celles-ci est claire : non à Joseph Aoun. Dans cette bataille, le chef du CPL ne s’interdit rien, au prix de renvoyer aux oubliettes tous les principes qu’il a longtemps brandis, cherchant à faire croire aux chrétiens qu'il est le seul porte-étendard de leurs « droits » et du prestige du plus haut poste qui leur est réservé dans la hiérarchie officielle.
Exit le respect de la Constitution à la lettre, et place à la confiscation du rôle de la présidence. Désormais, les aounistes acceptent l’idée de voir un ministre sortant de la Défense proposer la nomination d’un commandant de la troupe à la faveur d’un décret signé par tous les membres de l’équipe ministérielle. Pire : le CPL ne trouve aucun problème à secouer l’armée, non seulement en appelant à un changement inopportun à sa tête en période de guerre, mais aussi en voulant imposer au futur président un chef de l’armée, une fonction pourtant traditionnellement liée au bon vouloir du premier. Dernière hérésie en date, celle avancée mercredi soir par le vice-président de la Chambre, Élias Bou Saab (ancien ministre de la Défense aux rapports perturbés avec Joseph Aoun), qui a appelé à nommer un commandant en chef « provisoire » de l’armée. On n’en est pas encore là, serait-on tenté de rétorquer dans les rangs du CPL.
Un commandant « provisoire »
Sauf que l’essentiel est ailleurs. L’idée de la démarche est en soi condamnable. Car là aussi il s’agit d’une nomination qui empiéterait sur les prérogatives d’un chef de l’État qu’on ne parvient toujours pas à élire. Le mot d’ordre est on ne peut plus clair : tout sauf Joseph Aoun. De quoi confirmer que la bataille entre le général et le camp de l’ex-président Michel Aoun est d’abord d’ordre personnel. Même si le CPL s’efforce de convaincre l’opinion publique du contraire. Les aounistes n'arrivent toujours pas à « pardonner » (selon les termes de certains parmi eux) au chef de la troupe le fait d’avoir laissé le champ libre aux manifestants d’octobre 2019 de se déchaîner sur les places publiques contre le mandat de Michel Aoun. D’où leur volonté d’en finir avec Joseph Aoun qui pourrait leur disputer leur base populaire, traditionnellement attachée à l’institution militaire dont est issu le fondateur du CPL. Pour s’en assurer, il suffit de se rappeler qu’une cinquantaine de partisans du CPL originaires de Aïchiyé, village natal de Joseph Aoun dans le caza de Jezzine, ont claqué la porte du parti pour protester contre des accusations de « corruption » lancées par leur chef contre le patron de la troupe, sans preuves à l’appui. Gebran Bassil a réédité le même scénario dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux il y a deux semaines. Parallèlement, le ministre sortant de la Défense hausse le ton et lance des menaces à l'encontre de Joseph Aoun sans le nommer. Tant pis si cela met à mal une armée qui a les yeux rivés sur le sud du pays, tributaire de la moindre étincelle. Tant pis si cela porte un sérieux coup à Bkerké, la plus haute autorité religieuse maronite, qui veut maintenir Joseph Aoun à son poste pour préserver le même prestige de la présidence que le CPL prétend défendre.
Mais alors que les aounistes se noient dans leur isolement politique, tous les autres protagonistes, y compris le Hezbollah, ont défini leur priorité : la stabilité de l’armée en temps de guerre. Même Sleiman Frangié qui, théoriquement, devrait converger avec les aounistes sur l’importance de tourner la page du présidentiable Joseph Aoun, les a lâchés pour les beaux yeux d’un Hezbollah qui entretient une excellente relation de coordination avec le chef de l’armée. Gebran Bassil ferait donc mieux de commencer à avaler la pilule Joseph Aoun. Il a encore quelques semaines pour la digérer.
commentaires (14)
Mme abi Akl Joseph Aoun le commandant en chef de l’armée fait le titre de votre article mais c’est G. Bassil qui en accapare le contenu .
Hitti arlette
15 h 21, le 28 novembre 2023