Maurice Slim – et derrière lui Gebran Bassil – passe à la vitesse supérieure. Le ministre sortant de la Défense (proche du Courant patriotique libre) a rompu avec ce qu’il appelle la politique de « retenue » pour lancer des menaces verbales à peine voilées à l’encontre du commandant en chef de l’armée, Joseph Aoun, avec lequel ses rapports sont complètement rompus depuis plusieurs mois, dans le cadre du bras de fer autour de l’avenir du patron de la troupe à quelques semaines de la fin de son mandat (le 10 janvier 2024).
« Le ministre pourrait se voir contraint de révéler au grand jour toutes les pratiques douteuses, ainsi que toutes les infractions (noms, chiffres et documents à l’appui) pour mettre fin aux hérésies qui dépassent de loin sa personne pour porter atteinte à l’institution militaire », peut-on lire dans un communiqué publié mardi par le bureau de presse de Maurice Slim, quelques heures après une mise en garde de Joseph Aoun contre « toute atteinte à l’armée ».
Dans la forme, le ministre de la Défense réagissait à des informations relayées dans la presse locale selon lesquelles il se serait abstenu de débloquer les crédits finançant l’achat de carburant pour le compte de l’institution militaire. Mais ces menaces ne sont qu’un reflet de la bataille acharnée menée par le courant aouniste pour se débarrasser de Joseph Aoun. Une campagne dans le cadre de laquelle Gebran Bassil et son camp tentent de jouer toutes les cartes, y compris les accusations de corruption à l’encontre du patron de la troupe et l’appel à la désignation d’un commandant « provisoire » de l’institution militaire. C’est le vice-président de la Chambre et ancien ministre de la Défense Élias Bou Saab qui a évoqué cette éventualité. « Il est possible de nommer un commandant provisoire de l’armée jusqu’à l’élection d’un nouveau président », a-t-il déclaré dans une interview accordée mercredi soir à la chaîne locale LBCI. La position de M. Bou Saab, proche du CPL, serait-elle donc coordonnée avec Gebran Bassil ? Les ténors du parti aouniste se contentent de répondre qu’il pourrait s’agir d’une des solutions pour éviter un vide à la tête de l’armée. « Personne ne voudra opter pour une entorse flagrante à la loi de la défense », explique Wadih Akl, vice-président du CPL pour les affaires légales. Il réitère ainsi le veto catégorique du CPL à une prorogation du mandat de Joseph Aoun, une démarche illégale et anticonstitutionnelle selon le parti. Pour les formations chrétiennes majoritaires, mais aussi pour le patriarche maronite, Béchara Raï, le maintien du général Aoun à son poste est l’option la plus réaliste, d’autant plus que le Liban est en situation de guerre au Liban-Sud, mais aussi de vacance présidentielle. « Ils ne peuvent pas faire comme si de rien n’était et nommer un chef de la troupe », affirme le père Bassam Raï, proche de Bkerké. Et de poursuivre : « Le patriarche maronite ne veut pas que l’on puisse passer outre la magistrature suprême dans les décisions cruciales. »
Le patriarcat maronite n’est pas le seul à s’opposer à une telle démarche. Il y a aussi et surtout le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, soucieux de ne commettre aucun faux pas à même de susciter une levée de boucliers chrétienne. « Je n’avaliserai aucune option qui porterait un défi à la communauté maronite (à laquelle est réservé le poste de patron de l’armée) », affirme le chef du gouvernement à L’Orient-Le Jour. « Je ne procéderai à aucune nomination sans le feu vert du patriarche Raï », ajoute-t-il, reconnaissant que « la prorogation (du mandat de Joseph Aoun) est le moindre des maux ».
« Mon cher Joseph Aoun »
Dans son discours prononcé mercredi à l’occasion de la fête de l’indépendance à la citadelle de Rachaya, le Premier ministre a d’ailleurs rendu hommage à Joseph Aoun, dans ce qui semble être un message indirect à Gebran Bassil qui n’en finit pas de lui donner du fil à retordre. « Mon cher Joseph Aoun, vos efforts et votre bienveillance paternelle – dont je suis témoin – ont protégé l’institution militaire contre les tempêtes. Cette bienveillance assure la pérennité et la stabilité de l’armée », a lancé M. Mikati. Fait notable : le Premier ministre a tenu ces propos en présence de Joseph Aoun, mais en l’absence de Maurice Slim. Alors que dans son interview mercredi soir, Élias Bou Saab a insinué que le ministre de la Défense avait été écarté de cet événement, L’OLJ a appris que c’est la municipalité de Rachaya, en temps qu’organisatrice, qui s’est contentée de convier le chef du gouvernement et les députés et ministres de la région.
Maurice Slim, lui, a les yeux rivés sur sa principale mission : empêcher la prorogation du mandat de Joseph Aoun ou le retardement de son départ à la retraite de quelques mois. Le ministre s’est réuni jeudi avec le président du Parlement Nabih Berry (qui renvoie la balle de ce dossier au cabinet). Que va-t-il faire pratiquement, surtout après ses dernières menaces ? Pour le moment, pas de détails. D’autant que le ministre refuse de commenter ce dossier dans les médias et n’a donc pas fait suite à notre appel. « Nous sommes derrière le ministre dans tout ce qu’il décidera », dit de son côté Wadih Akl, mettant en garde contre toute tentative d’empiéter sur ses prérogatives.
« Cette question ne pourra pas être réglée par le défi, mais par l’entente », affirme Nagib Mikati, qui confie n’avoir aucun contact avec Maurice Slim depuis leur dernier échange virulent, en marge d’une réunion ministérielle informelle au Sérail, autour du même dossier.
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Sissi zayyat
11 h 55, le 25 novembre 2023