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Nos Lecteurs ont la Parole

De la théorie de l’esprit à l’esprit de la théorie de guerre !

Mahatma Gandhi, défenseur de la non-violence dans la résolution des conflits, a dit : « Œil pour œil finit par rendre le monde entier aveugle. » Cette citation souligne l’importance de la théorie de l’esprit, un concept crucial dans la communication, la connexion et la réciprocité entre individus. La théorie de l’esprit est la capacité à comprendre et à attribuer des états mentaux, tels que les pensées, les émotions et les intentions aux autres, permettant ainsi de prédire et d’expliquer leur comportement. Chez les êtres vivants évolués, en particulier chez les humains, la théorie de l’esprit a joué un rôle essentiel dans notre survie. Elle se fonde théoriquement sur la présence de neurones miroirs, découverts par les neuroscientifiques italiens Giacomo Rizzolatti, Leonardo Fogassi et Vittorio Gallese dans les années 1990. Ces neurones s’activent non seulement lorsque nous effectuons une action, mais aussi lorsque nous observons quelqu’un d’autre la faire, favorisant hypothétiquement l’empathie et la compréhension des émotions de l’autre.

Divers moyens peuvent améliorer la théorie de l’esprit, tels que le jeu de rôle, la méditation et certaines formes d’éducation sociales et émotionnelles. Cependant, les médias jouent un rôle crucial en activant nos neurones miroirs à distance, permettant de franchir les barrières temporelles et spatiales. Même sans avoir été en contact avec un des enfants qui vivent le conflit armé à Gaza, notre esprit pourrait savoir ce qu’ils expérimentent au cours des atrocités de cette guerre. Ignorer qu’au milieu des innombrables victimes du 17 octobre 2023, il y a très probablement un enfant ayant partagé une expérience humaine similaire à celle qui suit, c’est faire preuve d’un déficit en théorie de l’esprit. Avoir besoin de renseignements quant à l’identité de la victime, sa façon de s’exprimer, le degré de sa détresse et d’autres informations tangibles pour la pleurer, c’est faire preuve du même manque de cette théorie. Voici l’expérience vécue par un enfant anonyme, méconnu mais connu de tous, victime de la frappe de missile sur l’hôpital Al-Shifa à Gaza : « Quelle est cette détonation ? » se demande-t-il, évaluant avec l’innocence de l’âge de ses cinq ans la détresse des gens qui l’entourent.

« Est-ce l’orage d’octobre, maman ? Maman... dis-moi, pourquoi l’orage arrive-t-il si tôt et si violemment cette année ? » « Rappelle-moi pourquoi sommes-nous ici à l’hôpital alors que nous devrions être à la maison pendant l’orage ? Où est notre maison ? Est-elle devenue ce que la mère de l’enfant, qui repose près de moi, a dit hier, transformée en décombres ? Qu’est-ce que sont exactement les décombres, et comment une maison se métamorphose-t-elle en cette forme monstrueuse ? Quel monstre se nourrit des souvenirs des maisons et ne peut digérer les décombres, les laissant comme seuls vestiges ? » « Te souviens-tu, maman, où sont allés mon frère et ma sœur ? Cela fait deux jours que nous ne les avons pas vus... Papa aussi n’est plus avec nous, est-il parti à leur recherche ? Te souviens-tu de l’histoire des parents qui voulaient laisser leurs enfants dans la forêt ? C’est mon frère qui me l’a bien expliquée, car il comprend mieux ces récits des grands, mais pourquoi ne revient-il pas avec papa et ma sœur, et cesse-t-il de jouer à cette histoire insignifiante ? Quand on part quelque part, c’est pour revenir, n’est-ce pas ? Tu promets, maman, que mon père, mon frère et ma sœur vont bientôt rentrer à la maison pour la nuit ? » « Et ma jambe, maman, pourquoi ne la ressens-je plus ? Est-ce normal ? Peux-tu la repérer et puis la réparer ? Oui ?…

mais elle n’est plus à sa place ? Comment vais-je courir vers papa quand il reviendra de son voyage à la recherche de mon frère et de ma sœur ? Comment vais-je chausser ma chaussure sur mon pied si je ne parviens pas à le trouver ? »

« Il y a aussi des bras ici, maman... seraient-ils tes bras ? Ces bras qui me bercent avec la froideur de la mort... t’appartiennent-ils ? Mais pourquoi sont-ils enroulés si étroitement autour de mon cou, comme si tu voulais m’étouffer ? Veux-tu vraiment me prendre avec toi, maman, ou est-ce parce que tu as eu peur de l’orage ? »

« N’aie pas peur de l’orage, maman, car moi je n’en ai plus peur... mais berce-moi comme avant, berce-moi comme si c’était la dernière fois... berce-moi, maman, avec chaleur, avec froideur, avec amour, avec lenteur, peu importe, berce-moi... rappelle-moi comment tu me berçais avant cet orage détonant... avant que papa ne parte vers un horizon lointain, avant que mon frère et ma sœur ne soient emportés vers une atmosphère plus sereine, avant que notre maison ne soit réduite en amas de rochers et avant que tu ne décides de m’amener dans cet hôpital, car cela nous met à l’abri de l’orage, et que tu gardes les yeux ouverts même en dormant à mes côtés et entre tes bras, comme pour me dire « je serai toujours la même lorsque je fermerai les yeux »...» « Berce-moi ici encore une fois, car moi aussi je sens que je vous rejoindrai. Entre-temps, éloigne-moi de ce que je vois, de ce que je touche, de ce que j’entends. J’ai bien compris, maman, qu’on ne peut pas résister à l’orage, ni au monstre ni à la forêt qui sont partout ici. Il suffit de partir chez papa, chez mon frère, chez ma sœur, chez toi… à notre maison… Il suffit de cet orage pour comprendre combien d’orages vivrai-je ici-bas… Je sens le froid me porter à travers le feu de l’hôpital, la ville détruite sous mes pas, la nuit me couvre le corps, et c’est ainsi que tu me berceras pour l’éternité… »

Il est important de réfléchir aux raisons pour lesquelles, malgré l’avancement des médias qui ont le pouvoir de toucher chacun de nous, certains individus continuent de manquer de théorie d’esprit. L’une de ces raisons réside dans les traumatismes collectifs vécus. Ces chocs rendent les individus d’une société insensibles aux souffrances d’autres communautés, leur survie étant souvent menacée, et ils ont du mal à ressentir autre chose que leur propre douleur. C’est un cercle vicieux, où la violence engendre simplement plus de violence. Une autre raison est le manque de rencontres et d’expériences sociales. Il ne suffit pas d’accepter de parler à des personnes différentes de soi ; il est essentiel d’être stimulé par leur présence, de comprendre leurs habitudes et de vivre des moments avec elles pour internaliser le fait qu’elles sont des êtres humains capables d’activer nos neurones miroirs lorsqu’ils sont en détresse. Au contraire, la déshumanisation de l’autre, issue de la « mauvaise foi » décrite par le philosophe français Jean-Paul Sartre, peut conduire à mettre en doute l’humanité même de cet autre. La philosophe américaine Judith Butler affirme à ce sujet : « Seulement dans des conditions où la perte aurait de l’importance, la valeur de la vie apparaît. Ainsi, la possibilité d’être pleurable est une présupposition pour la vie qui compte. » Sartre et Butler soulignent que la mauvaise foi conduisant à la déshumanisation de l’autre commence très tôt dans la vie, quand les normes sociales et les attentes des autres façonnent notre identité. Les individus peuvent être conditionnés à accepter des rôles préétablis, perdant ainsi leur capacité à agir en tant qu’êtres libres, authentiques et empathiques.

Il est temps de rompre avec ces erreurs cognitives inscrites en nous depuis notre enfance et de bien assimiler que l’autre est en réalité nous-même, évoluant dans un contexte spatio-temporel différent. Malgré nos différences de couleur de peau, de langue et de croyances religieuses, nous partageons tous des émotions universelles : la douleur, la peur, la frustration, la colère, l’amour, la nostalgie, l’espoir, etc. Ne pas reconnaître ces émotions chez autrui revient à les déshumaniser, contribuant ainsi à leur souffrance. Malheureusement, certaines idéologies refusent toujours de reconnaître les caractéristiques fondamentales de la théorie de l’esprit des êtres humains. Ces idéologies nuisent véritablement au principe de l’humanisation de tous les êtres humains. La libération prônée par Sartre n’est autre que la libération de l’emprise de ces idéologies oppressives. La mort d’un enfant à Gaza, ou dans n’importe quelle autre partie du monde, n’est pas simplement une tragédie pour une seule personne ou pour un groupe de personnes, mais une perte pour chaque être humain sur cette planète, le rendant « pleurable » dans tout le sens du terme. Dans le cas contraire, cela révèle notre manque essentiel d’exercice à mieux comprendre ce qui se passe à l’esprit de l’autre et de l’incarner dans notre esprit.

Chef de service de psychiatrie à l’Hôtel-Dieu de France

Professeur associé à la faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph

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Mahatma Gandhi, défenseur de la non-violence dans la résolution des conflits, a dit : « Œil pour œil finit par rendre le monde entier aveugle. » Cette citation souligne l’importance de la théorie de l’esprit, un concept crucial dans la communication, la connexion et la réciprocité entre individus. La théorie de l’esprit est la capacité à comprendre et...
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