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Nos Lecteurs ont la Parole

La culture de l’optimisme pragmatique et dynamique

Lorsqu’on demanda à Henry Ford de justifier son optimisme concernant sa création de la première automobile, il répondit : « Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils auraient dit « des chevaux plus rapides » ! »

De nos jours, l’optimisme en tant que dimension émotionnelle est souvent perçu comme une accusation, voire un préjudice. Il est beaucoup plus acceptable de qualifier quelqu’un d’ambitieux que de lui attribuer la qualité d’être optimiste, à une époque où les médias et le flot constant d’informations bombardent nos esprits de centaines de mauvaises nouvelles à chaque instant. Au XXIe siècle, être optimiste serait considéré comme vivre en marge du temps. L’accès ouvert aux connaissances scientifiques contribue encore davantage à assombrir notre perception du monde. En fin de compte, les biais dans la sélection des fournisseurs d’informations ainsi que nos esprits anxieux et attentifs aux événements perturbants complètent le puzzle d’un monde en voie d’anéantissement. Cependant, échapper à cette illusion de la fin imminente de notre histoire devient de plus en plus pressant, d’autant plus que la foi, une émotion positive nécessaire dans un monde rationnel, perd de son actualité.

L’optimisme repose sur les facultés mentales de prévision, de perception et de réceptivité de chaque individu, en fonction des données passées et présentes d’une situation donnée, ainsi que de facteurs collectifs tels que l’impact d’une culture propice à la pensée optimiste. Cette culture permet de libérer la conscience des illusions cognitives concernant la négativité environnante. Il en découle qu’un optimiste a une tendance à prévoir systématiquement des événements positifs par rapport à une personne moins optimiste. Plusieurs penseurs ont examiné la raison derrière cette tendance. Pour Viktor Frankl, l’optimisme authentique résulte souvent de la quête de sens profond dans la vie, même au cœur des difficultés. Il a évoqué l’illusion des sursis, une perception trompeuse à laquelle tout cerveau adhère, prévoyant qu’un événement positif pourrait toujours se produire, même quelques secondes avant sa fin par exécution ! Frankl a développé ces convictions après avoir survécu à l’Holocauste et après avoir été témoin de la mort de centaines de personnes autour de lui. Malgré ces traumatismes, il est resté convaincu qu’il devait exister un sens derrière toute cette violence. Gottfried Wilhelm Leibniz, de son côté, croyait que le monde représente le meilleur équilibre et la meilleure harmonie possibles, même en présence d’imperfections et de souffrances apparentes. Même les aspects négatifs de la réalité sont perçus par lui comme contribuant au bien plus vaste de l’univers harmonieux. En vue de mieux apprécier sa pensée optimiste, il est utile de reconnaître qu’il a, par ailleurs, passé une grande partie de sa vie à travailler assidûment sur les mathématiques, notamment les intégrales et les différentiels. Selon François-Marie Arouet, dit Voltaire, les mésaventures du personnage Candide illustrent les horreurs et les absurdités du monde, remettant en question l’idée que tout se déroule forcément pour le mieux. Cependant, Voltaire a conclu Candide en disant : « Il faut cultiver notre jardin. » Ainsi, pour lui, les actions concrètes et les efforts personnels peuvent avoir un impact positif, même face aux difficultés insurmontables. Il convient de souligner que Voltaire cherchait à adopter une position réaliste dans un contexte philosophique et religieux qui tendait vers l’optimisme excessif, voire naïf, à son époque. Cela illustre une ébauche d’optimisme pragmatique et dynamique !

Différentes formes d’optimisme ont existé à travers l’histoire, certaines étant moins pertinentes dans le monde contemporain. Le premier type d’optimisme, l’optimisme « philosophique et métaphysique », soutient que tout ce qui se produit, qu’il soit positif ou négatif, résulte d’une intervention supérieure au pouvoir des êtres humains. Cela incite les individus à réaliser leur destin et à maintenir leur foi, car ils n’ont qu’à accepter et croire en ce qui est prédéterminé. N’est-ce pas une vision peu optimiste, puisqu’elle implique que les actions individuelles ne peuvent pas influencer ou induire le changement ?

Le deuxième type d’optimisme est l’optimisme « psychologique », qui préconise la reconnaissance des biais dans notre perception de la réalité ainsi que la tendance du cerveau à se concentrer sur les aspects négatifs dans une quête d’évitement du danger pour la préservation de l’espèce humaine. Cette perspective nous encourage à inverser positivement notre perception du monde qui nous entoure. Il s’agit d’une approche initiée par Martin Seligman et prolongée par le courant de la « psychologie positive », suggérant que ce n’est pas tant le contenu des informations qui détermine le niveau d’optimisme, mais plutôt la manière dont nous les traitons. Cependant, cette approche ne satisfait pas les besoins des masses qui doivent affronter, d’une façon réaliste, des problèmes mondiaux tels que le réchauffement climatique, les guerres, la pollution, la pauvreté, la discrimination, etc.

La troisième forme d’optimisme, l’optimisme « dynamique et pragmatique », est mieux adaptée pour répondre à ces préoccupations. Il s’agit d’un schéma de pensée collectif pouvant mériter le statut de culture une fois adopté par un groupe d’individus sur une période suffisamment longue. Selon cette vision, les peuples doivent garder l’espoir en un avenir meilleur tout en évaluant les difficultés actuelles et en tirant des leçons du passé. Lorsqu’un groupe se heurte à un problème insurmontable, il devrait l’aborder de manière positive, en croyant qu’avec la synergie du temps et des efforts cumulés, une solution sera éventuellement trouvée. Ainsi, le manque de bénéfices immédiats pour une des générations de ce peuple ne devrait pas la décourager d’entreprendre des actions constructives dans le monde qui l’entoure et de sombrer dans un pessimisme passif…

Frankl, Leibniz et Voltaire avaient le stress psychologique comme dénominateur commun servant de « primum movens » à leurs réflexions. Ce même dénominateur commun agite les esprits des Libanais depuis plusieurs années. L’élixir qui en découlera servira de base à la culture optimiste, pragmatique et dynamique du futur Liban. Il s’agit de la même culture qui, jadis, a rendu possible de concevoir un code (l’alphabet) pour que nos ancêtres puissent inscrire leurs pensées dans la pierre, projetant ainsi leur savoir sur les axes du temps et de l’espace. C’est la même culture d’optimisme qui a rendu possible de construire les temples de Baalbeck, qui nécessitaient bien plus de ressources humaines et matérielles que ce qu’une génération pourrait avoir fourni seule. C’est la même culture d’optimisme qui a permis de rescaper nos idées de libéralisme, de capitalisme, de démocratie, de nationalisme, voire de libanisme, malgré les tempêtes oppressantes d’occupants et dans un océan agité par l’extrémisme, l’idéologie, le confessionnalisme, la xénophobie et le totalitarisme. C’est cette même culture d’optimisme qui a incité certains à choisir le cèdre, symbole de résistance, de persévérance et de prospérité, pour trôner au centre de notre drapeau national. En effet, nous avons toujours baigné dans une culture optimiste, dynamique et pragmatique, même si nous n’en avions pas conscience. Cependant, la discrimination virulente entre les différentes confessions nous a privés de cet optimisme, voire de pleins d’autres composantes nécessaires pour notre humanisme, entravant ainsi notre capacité à envisager collectivement un avenir positif, sous la forme d’une nation unie.

Il est crucial d’encourager la conversion des pessimistes, actuellement majoritaires, afin qu’ils puissent également adopter une culture d’optimisme pragmatique et dynamique, vu que, comme l’a si bien dit Héraclite : « L’opposition crée l’harmonie, et c’est de la tension que naît la musique. » En fin de compte, n’y a-t-il pas une forme de régression à chaque phase charnière de progression ? Une entité qui ne s’étend pas serait-elle capable de résister facilement à la rétraction ? Le pessimisme qui règne actuellement au Liban découle de l’inaction dans l’élaboration de plans de sauvetage, une inaction motivée par l’absence de bénéfices personnels. Un jour, même les plus pessimistes remettront en question leur façon de penser, reconnaissant leur incapacité à prédire avec précision l’avenir de notre pays. Ils réaliseront que leur inaction n’arrête pas le temps, mais laisse plutôt la régression s’enraciner dans notre évolution. C’est alors qu’ils s’engageront, j’espère sans trop de retard, à réanimer avec diligence le Liban, sans procrastination, sans se dérober à leurs responsabilités, sans discrimination, sans corruption, sans égocentrisme, sans désorganisation et sans avarice. Ainsi, l’optimisme pragmatique et dynamique resurgira au Liban, à partir de ce jour-là…

Chef de service de psychiatrie à l’Hôtel-Dieu de France

Professeur associé à la faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph

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