De prime abord, la dissonance est frappante. Son physique d’intello, son flegme et sa manière de répondre aux questions sans ciller ne collent pas avec le titre dont la presse américaine l’affuble depuis des décennies. Est-il coupable ? Est-il victime d’une erreur judiciaire et acteur malgré lui d’un mauvais film comme il l’affirme ? Visiblement rompu à l’exercice, il demande, avant le début de l’interview qui a lieu dans le salon de son frère, s’il peut répondre aux questions en anglais. « Je serai plus à l’aise, même si je parle bien l’arabe », se justifie-t-il.
Mohammad Youssef Hammoud, qui a été décrit comme « l’un des terroristes les plus dangereux au monde », vient d’être libéré après 23 années d’incarcération dans les prisons américaines. Présenté comme le cerveau d’un réseau du Hezbollah sur le sol américain, l’homme continue aujourd’hui de clamer son innocence. Il avait été condamné en 2003 à 155 ans de réclusion, accusé d’avoir dirigé une cellule aux États-Unis finançant le Hezbollah. Condamné en appel, en 2011, à 30 ans de prison, ce dernier aurait obtenu fin 2022, une réduction de peine de 7 ans, pour « bonne conduite ». « On m’a annoncé le 29 novembre que la justice avait décidé de me libérer », raconte-t-il. Aucun commentaire officiel n’a émané des autorités américaines quant à cette décision. Contactée, l’ambassade US au Liban n’a pas répondu aux sollicitations de L’Orient-Le Jour. Mais selon Nicholas Heras, du Newlines Institute, « Hammoud a probablement été libéré dans le cadre d'un accord conclu entre les États-Unis et l'Iran ». Pour rappel, ces deux pays entretiennent des pourparlers indirects sur le nucléaire, et la question des otages, de part et d'autre, est au coeur des discussions.
« Nous n’avons aucun lien avec lui. Cet homme vient uniquement d’un certain milieu et d’une communauté religieuse précise », a pour sa part répondu Rana Sahili, une porte-parole du Hezbollah. «Mais vous pouvez le contacter », dit-elle, avant d’envoyer le numéro du frère de l’ancien prisonnier.
Mohammad Hammoud, 49 ans, a été accueilli en héros mardi dernier par sa famille et des dizaines de sympathisants à l’aéroport Rafic Hariri de Beyrouth, après avoir été accompagné dans l’avion de Chicago par deux agents fédéraux américains. Dans les rues de Tahwitat el-Ghadir, des centaines d’hommes l’on porté au son des fanfares, sous les drapeaux jaunes du Hezbollah et les « labeik ya Nasrallah ». Sur le trottoir, des moutons se sont vidés de leur sang, sacrifiés en son honneur. Trois jours plus tard, la frénésie s’est calmée sous l’immeuble de son frère, qui l’héberge. Un portrait a été installé sur les grilles, et les journalistes se succèdent devant ce qu’ils appellent en plaisantant « le mausolée ». Ce week-end, ce sera tout Srebbine, dans le caza de Bent Jbeil dont les Hammoud sont originaires, qui accueillera en grande pompe l’enfant du village, parti, en 1992, à tout juste 19 ans, s’installer aux États-Unis.
Issu d’une fratrie de 9 enfants d’une famille chiite, conservatrice et modeste, il raconte avoir fait le choix de l’exil dans ce pays pour poursuivre ses études et se construire une vie. « En tant que libanais qui a vécu, entre autres, sous occupation (israélienne), j’ai toujours su que les États-Unis étaient biaisés en matière de politique étrangère. Mais à part ça, je pensais que l’Amérique était le plus grand pays du monde », dit-il. Un discours qui a un certain écho au Moyen-Orient où l’on érige souvent ce pays en « Grand Satan », tout en cultivant une certaine fascination à son égard.
Cellule du Hezbollah ?
Tout démarre en juillet 2000, lorsque les autorités fédérales de la ville de Charlotte, en Caroline du Nord, inculpent 18 personnes, la plupart libanaises, dans le cadre d’une enquête sur la contrebande de cigarettes, de blanchiment d’argent et de violations de l’immigration. Mais de fil en aiguille, le dossier s’étoffe, et les autorités américaines affirment avoir affaire à une cellule du Hezbollah. « Son arrestation et celle de ses collaborateurs ont été le résultat de l’opération “ Écran de fumée ”, une opération conjointe entre plusieurs forces de l’ordre et agences de renseignements américaines, qui était la première du genre à l’époque », affirme à L’OLJ une source diplomatique américaine sous le couvert de l’anonymat.
« Entre 1996 et 1998, beaucoup de Libanais, de Palestiniens ou de Yéménites ont commencé à transporter des cigarettes sans payer de taxes. J’avais mon propre magasin, et j’ai plaidé coupable pour le fait de ne pas avoir payé de taxes. Mais ensuite ils ont monté un dossier contre moi affirmant que les bénéfices de cette vente revenaient au Hezbollah, c’est absurde », se défend Mohammad Hammoud.
Le 21 juin 2002, il est reconnu coupable après cinq semaines de procès, et est condamné, le 28 février 2003, à 155 ans de prison par un tribunal de district américain en vertu d’une loi antiterroriste de 1996 d’avoir fourni un soutien matériel au Hezbollah, qualifié de groupe terroriste par le département d’État américain. Les autorités américaines affirment que Mohammad Hammoud était entré illégalement aux États-Unis et qu’il dirigeait un réseau de contrebande de cigarettes de 8 millions de dollars, dont une partie des bénéfices allait au Hezbollah. Son frère, Chawki Hammoud, de 9 ans son aîné, sera condamné pour fraude à l’immigration, contrebande de cigarettes, blanchiment d’argent et racket. « Mohammad Youssef Hammoud dirigeait à la fin des années 1990 une cellule qui apportait un soutien financier au Hezbollah, à travers le trafic de tabac de contrebande entre la Caroline du Nord et le Michigan. Il a orchestré le processus d’achat et de revente des produits de contrebande à l’aide de cartes de crédit, de chèques et de cartes de sécurité sociale contrefaites et a également recruté plusieurs individus pour participer à cette opération (...) À l’époque, tout a été fait pour avoir l’air le plus normal possible », affirme la source diplomatique américaine.
Des accusations dont l’homme se défend toujours, plus de deux décennies plus tard. « Ils n’ont pas pu trouver un seul élément de preuve indiquant que j’envoyais de l’argent (au Hezbollah), à part en 1995 – avant la loi antiterroriste de 1996 qui interdit, entre autres, les collectes de fonds pour les organisations terroristes et permet la saisie de leurs avoirs – lorsque j’ai envoyé au bureau de Mohammad Hussein Fadlallah (l’uléma chiite mort en 2010) un chèque de 1 300 dollars. Ils avaient pourtant tous mes documents bancaires depuis 92 jusqu’au jour où ils m’ont arrêté », affirme Mohammad Hammoud, qui insiste sur le fait que la justice américaine a monté tout son cas en épingle sans preuves concrètes de son implication. « Mon procès a été le premier procès d’un musulman juste après le 11-Septembre (2001) », renchérit l’homme qui a accusé la justice américaine d’avoir fait de lui un « exemple ».
« Je voulais frimer »
Dans les documents liés au procès et accessibles en ligne, se trouvent des photographies de Mohammad Hammoud durant sa jeunesse au Liban qui témoignerait de sa sympathie pour le Hezbollah, fait qu’il ne cache pas. Sur la première, il apparaît tout juste adolescent portant un fusil d’assaut devant un portrait de l’imam Khomeyni. Sur une autre, il embrasse un homme au turban noir, présenté par les autorités américaines comme étant Hassan Nasrallah. « J’étais un gamin, c’était la guerre, et il y avait un bureau du Hezbollah à côté de chez nous, je voulais frimer. Mais, concernant la seconde photo, ce n’est absolument pas le sayyed », affirme-t-il.
En 2011, la cour d’appel américaine confirme tous les actes d’accusation, mais commue sa peine à 30 ans de réclusion. Le procureur de district américain Anne Tompkins avait alors déclaré que pendant son séjour en prison, Hammoud avait « ordonné le meurtre du procureur de l’époque et l’attentat à la bombe contre le Palais de justice fédéral de Charlotte ». Des nouvelles accusations qu’il réfute catégoriquement auprès de L’OLJ.
Durant 23 ans, il sera enfermé dans plusieurs centres pénitentiaires sous haute sécurité. La-bas, il se met au sport, lit énormément, essentiellement en anglais, apprend le droit, et donne même des conseils légaux à des codétenus. « Un jour, un chef de gang surnommé Big Rock, condamné à perpétuité, a essayé de m’impressionner et m’a demandé ce que j’avais fait. Je lui ai dit d’ouvrir un magazine que j’avais et qui me mentionne comme l’un des terroristes les plus dangereux au monde. Il était bouche bée, je lui ai dit que c’était évidemment complètement faux, mais cette rumeur sur moi m’a en réalité protégé en prison », raconte-t-il. Mohammad Hammoud raconte aussi comment il aurait été détenu avec des hommes accusés d’appartenir à el-Qaëda et à Daech. « Sachant que j’étais chiite, et que le Hezbollah les combat, pourquoi les autorités pénitentiaires faisaient ça ? » relève-t-il.
Installé sur un canapé du salon où figure sur un mur une photo combinée de l’ayatollah Ali Khamenei, du leader du Hezbollah Hassan Nasrallah et du général iranien Kassem Soleimani, tué par les Américains en 2020, Mohammad Hammoud affirme qu’il « soutiendra toujours le Hezbollah pour sa lutte contre Israël » et « son travail auprès des nécessiteux et des orphelins ».
commentaires (18)
Une grande perte pour L’Amerique et in grand gain pour le Liban.
hrychsted
02 h 12, le 18 juin 2023