"Une grande victoire qui pave la voie vers la justice". Voilà la première réaction sur Instagram de Tracy Naggear, mère de la petite Alexandra tuée par l'explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, quand elle a appris la décision de la Haute Cour de justice de Londres de condamner Savaro Ltd à verser des indemnités aux proches des victimes, notamment 200.000 livres sterling – soit près de 250.000 dollars – aux parents d'Alexandra.
L'information a été confirmée par le bureau d'accusation de l'ordre des avocats de Beyrouth, à l'origine de la plainte civile déposée contre cette société pour sa responsabilité dans l'explosion d'un stock de nitrate d'ammonium qui a fauché plus de 220 vies, blessé 6.500 personnes et ravagé des pans entiers de la capitale.
Dans un communiqué daté de lundi, le bureau d'accusation salue une décision qui "rend l'espoir aux victimes et montre que le droit gagne toujours". Le texte précise que la justice britannique a auditionné lundi le cabinet juridique "Dechert LLP", dont l'avocat Camille Abousleiman est un partenaire principal et qui avait intenté l'action contre Savaro Ltd en août 2021.
La décision britannique fait suite à un verdict rendu en février par la Haute Cour de justice de Londres, qui avait reconnu la responsabilité de cette société de négoce de produits chimiques envers les victimes du drame. Aujourd'hui fermée, Savaro aurait acheté en Géorgie la cargaison de nitrate d'ammonium à l'origine de la déflagration. Dans une enquête dont il avait publié les résultats en janvier 2021, le journaliste libanais d'investigation Firas Hatoum établit un lien entre Savaro Ltd et trois hommes d’affaires syro-russes, proches du régime syrien de Bachar al-Assad.
Une "première"
"Près de trois ans après la double explosion au port de Beyrouth, c’est la première fois que des victimes de la catastrophe obtiennent un jugement de dommages-intérêts en leur faveur", affirme Me Abousleiman à L’OLJ. "Il s'agit d'une étape importante dans la quête de la justice, à un moment où l'enquête libanaise semble malheureusement bloquée de manière irrémédiable", poursuit-il.
La cour a ordonné, en outre, que soit versé à Élie Mallahi, père du pompier Ralph Mallahi tué dans l'explosion, un montant de 100.000 livres sterling (environ 125.000 dollars) et plus de 690.000 dollars d'indemnisation (plus de 500.000 livres sterling) à une quatrième personne, Inaam Kayyal, sévèrement blessée et handicapée depuis l'explosion, selon le communiqué du bureau d'accusation. Ce montant correspond aux frais d’hospitalisation qu’elle a dû et devra régler. Au total : plus d'un million de dollars d'indemnisation pour les quatre personnes concernées.
"La Haute Cour de justice de Londres a calculé les dommages-intérêts sur la base du droit libanais, sachant que celui-ci est plus favorable que le droit anglais sur ce plan : le montant moyen qu’un proche de victime peut obtenir se situe aux alentours de 15.000 livres sterling pour les cas de décès", précise Me Abousleiman. Cela dit, l’avocat tempère en évoquant "des difficultés à faire appliquer le jugement", d’autant que "Savaro est une compagnie qui ne semble pas avoir d’actifs".
"Je pense que nous n'obtiendrons rien, mais..."
Contactée par L'Orient-Le Jour, Tracy Naggear ne nourrit pas l'espoir de toucher réellement l'indemnité réclamée. "Je pense que nous n'obtiendrons rien. Mais ça peut faire avancer l'enquête", poursuit-elle.
Élie Mallahi se veut plus optimiste : "Je m'attends à ce qu'on touche ces indemnités". "Il faut toujours espérer que justice sera faite pour la mort de nos enfants", conclut-il, la voix émue.
Quant à Inaam Kayyal, elle indique "n'être même pas au courant de cette décision." Poussant un soupir, elle confie simplement : "Si c'était sérieux, j'en aurais entendu parler davantage. De toute façon, cette société est fictive et fermée...". Pour elle, la décision est bien plus symbolique qu'autre chose, et ne sera pas réellement appliquée.
Quid des autres ?
C'est le juge britannique Roger Eastman qui a rendu la décision de justice sommant Savaro de verser les indemnités. Aucun représentant de la société de négoce ne s'est présenté au procès, qui fait suite à une plainte civile déposée le 2 août 2021. La procédure avait été lancée par l’ancien bâtonnier de Beyrouth et actuel député, Melhem Khalaf, en coopération avec d'autres avocats, dont Camille Abousleiman et Choucri Haddad.
Quid des autres proches de victimes de l'explosion ? "Nous ne sommes pas concernés, tout simplement parce que nous n'avons pas demandé de compensation financière", explique William Noun, frère du pompier Joe Noun tué dans la déflagration. L'important pour lui, c'est "que la justice fasse son travail et découvre la vérité" sur le drame du 4 Août.
Bof, Savaro va invoquer la … comment déjà? … ah oui, “suspicion légitime” (ha ha ha)…
07 h 12, le 15 juin 2023