C’est un effet viral qu’a eu sur les réseaux sociaux le rapport d’al-Jadeed, dans lequel le journaliste Firas Hatoum a évoqué samedi l’implication présumée d’hommes d’affaires syriens proches du régime de Bachar el-Assad dans l’importation du nitrate d’ammonium. Quelle méthodologie notre confrère a suivie dans son enquête ? Quelle est la crédibilité des résultats de ses recherches alors qu’à ce jour, rien ou si peu ne transparaît de l’enquête menée par le juge d’instruction près la Cour de justice, Fadi Sawan ?
« J’ai entamé mes recherches au lendemain du 4 août, jour du cataclysme », indique d’emblée Firas Hatoum à L’Orient-Le Jour. « J’ai voulu savoir comment ce stock est arrivé au Liban et qui en est le propriétaire ». Il essaie d’avoir des renseignements sur la transaction entre l’usine de fabrication des matières chimiques, située en Géorgie, et l’usine à laquelle celles-ci étaient destinées au Mozambique. « Une présentation simpliste avait été communiquée au public selon laquelle l’usine au Mozambique avait commandé la marchandise à l’usine géorgienne. Or sur base des documents que j’ai consultés, j’ai pu constater que cette version était fausse, et qu’en réalité c’est une société, Savaro Limited, qui avait fait la commande du nitrate d’ammonium et en avait payé le prix ». Le journaliste concentre ses recherches sur ladite société. Il consulte le site anglais Companies House, spécialisé dans la collecte des données d’entreprises commerciales. Savaro Ltd s’avère fictive. Il tente de trouver à quelle adresse elle se trouve. Le contrat de vente conclu avec l’usine géorgienne indique que son siège social est à Chypre. Il finit par savoir « comme une coïncidence », sourit-il, que la société Hesco Engineering and Construction, appartenant à Georges Haswani, est à la même adresse.
Le journaliste apprend ensuite que la société Savaro est domiciliée en Grande-Bretagne et cherche alors à s’enquérir sur l’identité de la société qui partage cette même adresse pour identifier les parties impliquées. La recherche est ardue : « Soixante-dix sociétés sont enregistrées à cette adresse. Il est finalement apparu que toutes sont fictives, à l’exception d’une seule, IK Petroleum Industrial Company Limited, appartenant à Imad Khouri, fondée moins d’un mois avant l’émission du bordereau d’exportation (connaissement) de la cargaison d’ammonium vers le Liban. »
Patience et efforts
« La tâche n’était pas aisée, il a fallu beaucoup de documentation, de patience et d’efforts », note Firas Hatoum. Il explique que sa démarche « a nécessité toute une logistique ». Il a ainsi sollicité un journaliste australien d’investigation, Will Fitzgibbon, qui travaille auprès du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Ce dernier s’était penché sur les documents qui avaient fuité il y a cinq mois du Bureau de lutte contre les crimes financiers des États-Unis et qui montrent notamment comment des bandes de crimes organisés profitent des lois dans des pays comme Chypre et la Grande-Bretagne pour couvrir leurs activités douteuses. Le journaliste d’al-Jadeed a communiqué également avec le Britannique Graham Barrow, auteur du livre Dark money files, qui lui a expliqué « comment les sociétés fictives sont utiles pour commettre des crimes financiers transfrontaliers ».
« À force de rassembler divers éléments et trier le vrai du faux, j’ai fini par obtenir des éléments de réponse », se félicite Firas Hatoum, estimant qu’« ils sont fiables à 95 % ». « Il reste que l’État doit se mobiliser pour obtenir leur confirmation officielle », lâche-t-il.
Rq : Une coquille s'était glissée dans le titre de la version en ligne de cet article. Elle a été corrigée. Merci à Mohamed el-Riz de nous avoir alertés dans les commentaires !
Voilà enfin un journaliste d’investigations digne de ce nom. Il mérite le respect de tous les libanais pour sa compétence et surtout pour son courage. Il a prouvé que quand on cherche on trouve. Les autorités libanaises ainsi que les magistrats et tous les services concernés dans y compris les renseignements militaires peinent soit disant à avancer malgré leur légitimité d’aller fouiller partout pour trouver les coupables pendant qu’un journaliste émérite seul remue ciel et terre pour enfin démasquer les assassins. Il est du devoir de l’armée, puisqu’on n’a plus d’état fiable, de veiller sur cette personne et de la protéger de très près des assassins qui tiennent le pouvoir et qui n’hésitent pas à tuer pour beaucoup moins que ça. S’il lui arrive malheur, vous serez les premiers incriminés parce que vous aurez laissé faire. Merci pour votre dévouement et votre courage cher Monsieur Hatoum, vous êtes la fierté de ce pays et les politiciens qui se disent patriotes devraient en prendre de la graine.
10 h 56, le 19 février 2021