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Santé - Portrait

Égalité des genres, fin de vie... Elsa Mhanna, neurologue libano-française engagée

Ces derniers jours, cette jeune médecin est intervenue dans plusieurs médias pour s’exprimer sur le MeToo de l’hôpital en France. Ce n’est pas là le seul combat de cette hyperactive.

Égalité des genres, fin de vie... Elsa Mhanna, neurologue libano-française engagée

Après une scolarisation au collège Saint-Joseph de Aïntoura, Elsa Mhanna fait sa médecine à l’USEK, avant d’achever sa spécialité de neurologie à la Pitié Salpêtrière à Paris. Photo DR

Les révélations, il y a deux semaines, de la professeure Karine Lacombe, chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine de Paris, sur l’identité de celui qu’elle accuse de « harcèlement sexuel et moral », à savoir le très médiatique Patrick Pelloux, ont secoué le monde médical en France. Suite à ces accusations, « contestées avec force » par le médecin urgentiste, les langues se sont déliées, semblant marquer, dans l’Hexagone, le début d’un MeToo de l’hôpital.

L’un des visages, ces derniers jours, de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et pour l’égalité femme/homme dans le domaine de la santé est celui d’une neurologue franco-libanaise : Elsa Mhanna, 36 ans. En tant que responsable de la communication de l’association « Donner des ELLES à la santé », elle a été interrogée à maintes reprises à ce sujet dans les médias français.

Qui est cette jeune médecin dont l’engagement médical et citoyen a commencé bien avant la campagne MeToo ?

C’est au cours de son trajet pour l’hôpital Léopold Bellan, dans le 14e arrondissement de Paris, où elle officie en tant que neurologue, qu’Elsa Mhanna évoque ses différents projets. Le temps de cette hyperactive, on le comprend rapidement, est compté.

Elsa Mhanna est née et a grandi à Faraya, dans le Kesrouan. Après une scolarisation au collège Saint-Joseph de Aïntoura, elle fait sa médecine à l’USEK, avant d’achever sa spécialité de neurologie à la Pitié Salpêtrière à Paris. « Je suis spécialiste des maladies neuro-évolutives, comme les maladies d’Alzheimer et apparentées, ou encore la maladie de Parkinson et les mouvements anormaux. Parallèlement à mes consultations, je mène des recherches en neurosciences cognitives et comportementales », explique-t-elle. Elsa Mhanna est également membre du bureau de la Société française de neurologie (SFN) et responsable du groupe de réflexion éthique qui se penche actuellement sur la question de la fin de vie dans le but « de former les neurologues à la thématique et d’expliciter leur positionnement face à une loi qui va être amenée à évoluer », précise celle qui est également cofondatrice de la branche junior de la SFN.

La question de la fin de vie

La question de la fin de vie est au cœur de l’actualité française depuis que le président Macron s’est prononcé, le 10 mars, en faveur d’une « aide à mourir » assortie de « conditions strictes ». Le 22 avril courant, la Commission spéciale sur la fin de vie a entamé ses travaux à l’Assemblée nationale. Elle est notamment chargée d’examiner un projet de loi déposé par le gouvernement Attal et de préparer le terrain pour un grand débat prévu fin mai à l’Assemblée.

Cela fait déjà un an qu’Elsa Mhanna lit beaucoup sur la mort. Des essais surtout. « Les enjeux de la fin de vie en neurologie concernent des patients dont la souffrance est existentielle et totale : ils sont atteints dans leur parole, leurs mouvements, leur personnalité et leur identité. Il s’agit d’essayer d’évaluer la volonté du patient et ses directives pour apaiser ses souffrances, même quand il ne peut plus s’exprimer. L’idée de notre travail est donc de former les neurologues à la nécessité de cet échange pour regarder la fatalité en face », explique Elsa Mhanna.

Pour cette neurologue, le cerveau est un terrain de jeux d’une complexité fascinante. Mais son véritable intérêt intellectuel semble aller bien au-delà de l’organe en tant que tel pour s’attacher aux interactions entre la médecine qu’elle pratique, la société et l’humain en général.

Les centres d’intérêt de la docteure Mhanna font ainsi écho à certains des grands enjeux de l’évolution actuelle de nos sociétés contemporaines, comme l’impact des écrans sur l’évolution du cerveau. « La richesse des connexions neuronales dépend du flux d’informations auquel nous sommes exposés dès le plus jeune âge. Or, quand nous passons beaucoup de temps devant les écrans, le cerveau est moins stimulé. À l’inverse, plus nous passons de temps à développer nos capacités cognitives, intellectuelles et motrices, plus nous développons une « réserve cognitive » qui est un facteur protecteur contre les maladies neuro-évolutives, comme la maladie d’Alzheimer », explique-t-elle.

Les inégalités de genre dans le secteur hospitalier

De manière plus globale, la jeune femme est engagée depuis des années sur un autre front : celui de l’égalité homme/femme dans le secteur de la santé et de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles à l’hôpital.

« 82 % des femmes médecins déclarent avoir été discriminées du fait de leur genre au cours de leur parcours, et 78% disent avoir été victimes, à un moment donné, de violences sexistes ou à connotation sexuelle, selon le baromètre créé par « Donner des ELLES à la santé » », constate la spécialiste, membre du bureau de cette association et responsable de la communication et des partenariats depuis fin 2022.

« Il y a près de 60 % de femmes médecins, or plus on monte dans la hiérarchie, moins il y a de femmes », poursuit la jeune femme qui a été auditionnée à l’Assemblée nationale française, en juin dernier, sur l’inégalité de genre dans le milieu hospitalier, dans le cadre du projet de loi sur l’égalité d’accès aux postes à responsabilité, voté en juillet 2023.

Selon la neurologue, il faut commencer par reconnaître la situation et travailler sur une prise de conscience collective. « Beaucoup de femmes ne savent pas qu’elles sont victimes de violences sexistes à l’hôpital. Nous avons un rapport particulier avec le corps et l’intimité parce c’est un milieu où l’on côtoie le tragique au quotidien, la mort, la douleur, les déformations physiques. Il faut bien trouver un moyen de faire face à tout cela… d’où les dérives qui ont pu découler de cette dédramatisation. Il faut donc sensibiliser, mettre en place des démarches claires de dénonciation, pour ensuite sanctionner. Ce qui est très compliqué quand il y a un rapport de hiérarchie », analyse Dr Mhanna.

Sensibiliser, aussi, à ce plafond de verre et à l’autocensure qui existent réellement – mais sont aussi, trop souvent, intériorisés par les femmes elles-mêmes, notamment à travers l’organisation, par l’association, d’ateliers et de groupes de réflexion. « Le problème, c’est que les choix de carrière et de maternité coïncident souvent, ce qui a tendance à bloquer les perspectives des femmes. Le milieu professionnel doit s’adapter à une société changeante, les femmes souhaitent concilier carrière et parentalité. Les hommes le souhaitent également d’ailleurs », souligne Elsa Mhanna.

Elsa Mhanna, franco-libanaise, 36 ans, est aussi responsable de la communication de l’association « Donner des ELLES à la santé ». Photo DR

Un œil sur le Liban

L’engagement de la jeune femme ne se limite pas à l’Hexagone. Elsa Mhanna, présidente des anciens de la faculté de médecine de l’USEK, y donne des cours en distanciel et encadre des thèses et des publications. En 2020, elle a cofondé l’association

EuroLebanese Medical Society (ELMS), association apolitique et areligieuse qui regroupe des professionnels de santé d’origine libanaise établis dans 13 pays européens, « pour un Liban en meilleure santé ». « Le premier volet de notre action a été humanitaire : après l’explosion au port (de Beyrouth, le 4 août 2020, NDLR), nous avons envoyé sept containers de médicaments en collaborant avec différents partenaires, car nous souhaitions couvrir tout le territoire libanais sans discrimination », explique la jeune femme. Via la ELMS, des échanges d’expertises et des missions avec des hôpitaux « pilotes » sont en cours, dont une mission d’équipement de l’hôpital Bouar en panneaux solaires ou encore une mission ophtalmologique avec l’hôpital de Denniyé. Des formations sont en outre régulièrement proposées sur différentes thématiques, du Covid à la pédophilie, en passant par la médecine de crises (guerres, sanitaires, nucléaires…).

Aujourd’hui, Elsa Mhanna souhaite monter un groupe de réflexion, au Liban, sur la place des femmes dans le système de santé et la santé des femmes, dont « il est grand temps de prendre en compte les particularités », martèle-t-elle en enfilant sa blouse blanche avant de recevoir son premier patient de la journée.

Le cerveau, l’humain, la société… Si la hiérarchie selon laquelle elle organise ce triptyque semble fluide, il est certain qu’il s’agit bien là d’un moteur puissant pour cette neurologue engagée sur tant de fronts.

Les révélations, il y a deux semaines, de la professeure Karine Lacombe, chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine de Paris, sur l’identité de celui qu’elle accuse de « harcèlement sexuel et moral », à savoir le très médiatique Patrick Pelloux, ont secoué le monde médical en France. Suite à ces accusations, « contestées...
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