Quel chemin va parcourir la décision prise vendredi par le Conseil des ministres de charger le ministre sortant des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, de déclarer auprès du greffe de la Cour pénale internationale (CPI) que le Liban reconnaît sa compétence pour les crimes israéliens commis sur le territoire libanais à partir du 7 octobre 2023 ?
Un rapport de l’Organisation néerlandaise pour la recherche scientifique appliquée (TNO) avait établi en mars dernier qu’Israël avait tué, le 13 octobre 2023, un journaliste de l’agence Reuters au Liban, Issam Abdallah, et en avait blessé six autres. C’est ce rapport, ainsi que des documents faisant état de l’assassinat de plusieurs journalistes, secouristes et volontaires de la Défense civile, que le gouvernement sortant a demandé à M. Bou Habib de présenter devant l’instance internationale en vue de lui faire accepter sa compétence liée aux crimes contre l’humanité et de guerre.
Quelles étapes pour concrétiser la démarche du Conseil des ministres ? Quelles mesures attendre de la CPI au cas où elle reconnaîtrait sa compétence ? En voulant saisir cette juridiction internationale, 26 ans après sa création en 1998, le Liban songerait-il à y adhérer de manière permanente ? Telles sont les réponses établies avec l’aide de spécialistes.
Double standard
« Avant d’exécuter la décision gouvernementale de solliciter la compétence de la CPI, le ministère des Affaires étrangères entend étudier les conséquences qu’une telle saisine entraînerait aux plans diplomatique et politique », révèle un diplomate interrogé par L’Orient-Le Jour. « Le ministère des AE a pris connaissance de la décision du Conseil des ministres par voie électronique et non encore officielle », affirme-t-il, soulignant qu’« il a déjà entamé une étude en vue d’exprimer son avis quant aux conséquences qu’entraînerait sur les plans politique et diplomatique la saisine de la CPI ». Il déplore, à cet égard, une approche internationale « double standard », faisant remarquer « un non-respect des droits de l’homme et une absence de mesures face au nombre énorme de victimes de la guerre de Gaza (environ 35 000 morts) ». « La CPI ne juge les responsables que dans les pays faibles », estime-t-il, s’interrogeant sur « l’identité et la nationalité des parties qui seraient en charge d’enquêter sur les crimes israéliens au Liban ».
Il reste que si le gouvernement maintient sa décision de recourir à la CPI, « le palais Bustros doit adresser au greffe de la juridiction un document dans lequel l’État reconnaît son adhésion au statut de Rome qui l’a instituée, du moins pour les dossiers liés spécifiquement aux crimes commis au Liban depuis le 7 octobre », indique pour sa part l’ancien juge Ralph Riachi, spécialiste de droit international et ancien vice-président du Tribunal spécial pour le Liban (TSL). « Le procureur de la CPI devra alors examiner les informations disponibles, afin de déterminer s’il existe une base raisonnable pour initier l’enquête au regard des critères de crime de guerre ou de crime contre l’humanité », poursuit l’ancien juge, soulignant que « le cas échéant, le procureur entamera ses investigations ». « Le gouvernement devra de son côté s’engager à coopérer avec la CPI en lui fournissant les pièces à l’appui dont il dispose. Dans une deuxième étape, la chambre préliminaire, autre instance de la CPI, aura pour mission principale de procéder aux convocations et de délivrer des mandats d’arrêt », ajoute-t-il.
Dans le même sillage, Rizk Zgheib, professeur associé de droit international à l’Université Saint-Joseph (USJ), affirme que « la CPI analyse les informations sur les situations qui lui sont transmises, afin le cas échéant d’ouvrir une enquête et condamner les auteurs des crimes en question ». Il précise que « la cour ne devrait pas se limiter à l’espace défini par la partie plaignante (en l’occurrence le Liban). Si elle constate que le dossier étudié concerne également l’autre côté de la frontière (Israël), elle étendra son examen, pour englober l’intégralité de la situation qui lui est déférée ».
La cour a-t-elle les moyens de donner suite aux verdicts de condamnation qu’elle prononce ? « Comme tous les tribunaux internationaux, la CPI n’a pas de police judiciaire », fait observer Ralph Riachi, soulignant que « seuls Interpol et les pays concernés peuvent exécuter les sanctions émises ». « Les décisions ne sont donc pratiquement pas appliquées », note l’ancien vice-président du TSL. Il évoque, à cet égard, les poursuites pour crimes de guerre engagées par la CPI contre le président russe Vladimir Poutine, en mars 2023, qui « s’avèrent inefficaces à ce jour ». Il fait aussi remarquer que la cour avait délivré en 2011 et 2012 des mandats d’arrêt à l’encontre de responsables soudanais et libyens qui n’ont pas abouti. En l’espèce, les responsables israéliens pourraient se voir, au pire, empêchés de voyager, suppute-t-il.
Référence internationale
Si l’État libanais compte à présent adhérer à la CPI pour la question spécifique des crimes commis par Israël sur son territoire, pousserait-il plus loin en demandant de devenir membre permanent de cette cour ? « Il s’agit d’une décision politique », se contente de répondre le diplomate cité plus haut.
De là à savoir si le Liban a intérêt à devenir un État partie à la CPI ? « Quel que soit le handicap dont peut souffrir la CPI pour un bénéfice du droit humanitaire, il est temps d’adhérer au statut de Rome », estime Ralph Riachi, soulignant que « le Liban a intérêt à se munir d’une référence internationale ». « Mieux vaut avoir le pied dans le labour que dans le vide », juge-t-il. Pour lui, l’adhésion à la CPI aurait dû être faite depuis sa création, d’autant, note-t-il, que le pays a connu de nombreux crimes de guerre ou contre l’humanité, notamment la double explosion au port de Beyrouth.
On marche sur la tête! Hassan Nasrallah revendique et assume depuis le 7 octobre qu'il a ouvert le front du Liban-Sud pour "occuper" l'armée Israélienne. Au lieu de le tenir pour reponsable des conséquences de la riposte de l'Etat hébreu, on cherche les coupables ailleurs. Partout mais pas chez nous. Est-ce par lâcheté, stupidité ou complicité?
11 h 51, le 03 mai 2024