
William Noun lors d'une manifestation le 12 janvier 2023 devant le Palais de Justice de Beyrouth. Photo Joao Sousa
William Noun, porte-parole de l'un des groupes représentant les proches des victimes de l'explosion au port de Beyrouth, a été libéré samedi après-midi par la Sécurité de l'Etat, à la demande de l'avocat général près la cour d'appel de Beyrouth Zaher Hamadé, a indiqué l'agence nationale d'information (ANI, officielle). Il était détenu depuis vendredi dans le cadre d'une enquête sur des propos qu'il avait tenus jeudi soir lors d'un programme télévisé. M. Noun aurait été libéré sous caution d'élection de domicile.
S'exprimant un peu plus tard,depuis la caserne des pompiers de Beyrouth, à la Quarantaine, William Noun a assuré qu'il continuera de lutter "tant que l'enquête est la cible d'obstructions". Il a également appelé "le pouvoir judiciaire à assumer ses responsabilités". M. Noun a par ailleurs indiqué avoir été traité avec respect lors de son arrestation, et remercié les personnes qui sont intervenues pour faciliter sa libération, notamment le chef de l'Eglise maronite Béchara Raï.
اطلاق سراح المعتقل من قبل #سلطة_الموت_والنيترات البطل #وليم_نون #انفجار_مرفأ_بيروت#٤_آب #دولتي_فعلت_هذا #نسياننا_جريمة #سلطة_الموت #beirutexplosion #beirutblast #beirut pic.twitter.com/SBmGCLPbQ7
— Bila Rakaba (@BilaRakaba) January 14, 2023
Peu après l'annonce de la libération de M. Noun, des échauffourées ont éclaté dans la foule rassemblée à Ramlet el-Baïda, entre des agents de la force anti-émeute et des personnes présentes, notamment le député Kataëb Elias Hankache. Après ces violences, rapidement contenues, les forces de sécurité ont arrêté au moins un protestataire, rapporte notre journaliste sur place.
La détention de l'activiste, dont le frère Joe Noun avait été tué dans la déflagration du 4 août, avait déjà provoqué colère et mobilisation de la rue dans la nuit de vendredi et jusqu'à samedi après-midi. Dès sa libération, M. Noun a quitté la caserne de Ramlet el-Baïda en voiture, sans s'exprimer devant la presse, a confirmé un agent des forces de l'ordre à notre journaliste sur place Lyana Alameddine.
Dans la matinée, la direction générale de la Sécurité de l'Etat avait annoncé avoir "arrêté l'activiste William Noun, à la demande de l'avocat général près la cour d'appel de Beyrouth Zaher Hamadé, suite à une expression utilisée lors de l'émission "Sar el-waet" (Il est temps) du journaliste Marcel Ghanem", a annoncé l'Agence nationale d'Information (Ani, officielle), samedi matin. D'après la chaîne MTV, sur laquelle est diffusée l'émission, M. Noun a menacé jeudi soir de "faire exploser le Palais de Justice" si justice n'est pas rendue dans l'affaire de la double explosion du 4 août, dans laquelle il a perdu son frère, Joe Noun, un des pompiers qui avaient été déployés au port juste avant la déflagration.
Tony Saliba, le directeur général de la Sécurité de l’État, un proche de Michel Aoun, est soupçonné de manquements aux devoirs de sa fonction, et poursuivi dans le cadre de l’enquête sur le 4 août 2020. Il a été reconduit dans ses fonctions en mars dernier.
Communiqué du CSM
Réagissant à la fuite d'un communiqué attribué à l'instance qu'il dirige, le président du Conseil supérieur de magistrature (CSM) Souheil Abboud a affirmé en fin d'après-midi qu'il s'agissait d'"un texte qui était toujours en cours de discussion". "Ce qui a fuité dans la presse était le projet d'un communiqué qui n'a pas obtenu l'approbation requise pour sa publication", a-t-il précisé.
Le document partagé par les médias impliquait une défense implicite du juge Zaher Hamadé par le CSM, et "condamnait les ingérences et les attaques contre le travail des juges (...)". Il pointait également du doigt l'attitude de William Noun, estimant que "la fin à laquelle aspire un citoyen, bien qu'elle soit noble, ne justifie pas les moyens illégaux et sanctionnés par la loi" auxquels il recourt.
Samedi matin, quelques dizaines de personnes s'étaient rassemblées dès 10h, selon notre journaliste sur place Lyana Alameddine, devant la caserne de Ramlet el-Baïda où était détenu William Noun. Interrogé, l'avocat de William Noun et Peter Bou Saab, Ralph Tannous, a précisé que les forces de sécurité ont perquisitionné l’appartement de M. Noun, sans trouver ce qu'ils cherchaient. A savoir, selon lui, de la dynamite. "Nous leur avons donné le téléphone de William mais ils n'y ont rien trouvé non plus" de compromettant, a-t-il ajouté. Me Tannous a encore appelé à ce que les déclarations de MM. Noun et Bou Saab soient complètement séparées et non liées, alors que selon le député et ancien bâtonnier de Beyrouth Melhem Khalaf, le juge Zaher Hamadé voulait lier les enquêtes sur les deux hommes.
Dans ce qui semble une affaire séparée, William Noun et d'autres proches de victimes avaient été convoqués par la police judiciaire plus tôt dans la semaine pour répondre de faits d'émeute, vandalisme et dégradation de bureaux suite à une manifestation, organisée mardi, qui avait dégénéré en échauffourées avec les forces de sécurité. Des manifestants avaient jeté des pierres et d'autres objets sur le Palais de justice de Beyrouth et quelques fenêtres avaient été brisées. Les proches de victimes manifestaient contre la longue suspension de l'enquête sur l'explosion du 4 août 2020 menée par le juge Tarek Bitar. Le travail du juge est entravé par des manœuvres politiques depuis des mois.
"Arrestations arbitraires"
Vendredi soir , la colère avait déjà grondé suite à l'annonce de la détention de M. Noun.
A Jbeil, d'où il est originaire, une violente altercation a eu lieu dans la nuit entre des protestataires et l'armée. Un manifestant a été blessé à l'oeil selon l'Agence nationale d'information. Des altercations ont également eu lieu devant le siège de la Sécurité de l’État à Ramlet el-Baïda, où a eu lieu un rassemblement de soutien à M. Noun. Un rassemblement auquel ont participé la députée Paula Yacoubian ainsi que Paul Naggear, père de la petite Alexandra, également tuée lors de l'explosion du 4 août. Un peu plus tard, ils ont été rejoints par d'autres députés de l'opposition et de la contestation, notamment Melhem Khalaf, Marc Daou, et encore Salim Sayegh.
Protest outside Lebanon’s State Security HQ in Ramlet Bayda (Beirut) demanding release of William Noun, brother of firefighter Joe Noun who was killed in the Aug. 4 Beirut Blast. ? by Cherine Zantout pic.twitter.com/5GGfGn0Y0n
— Mohamad El Chamaa (@MohamdEch) January 14, 2023
"Nous n'acceptons pas qu'il y ait des arrestations arbitraires", avait lancé M. Khalaf depuis Ramlet el-Baida. "La malveillance n'est pas digne de la justice, ni de l'État ni des appareils de sécurité", avait de son côté dénoncé Mme Yaacoubian appelant les "citoyens à descendre dans la rue". Depuis Jbeil, le député Ziad Hawat qui avait appelé à "la fermeture de toutes les routes". Il a également affirmé que "la justice est en panne et politisée".
Sur Twitter, nombreux sont ceux qui avaient appelé à la libération de William Noun. "Lorsque les rôles sont inversés, ils essaient de transformer les familles des victimes en criminels, a écrit Samy Gemayel mettant en garde contre "la loi de la jungle". "William Noun est détenu de force pour faire taire les voix libres et les empêcher de dire la vérité, a-t-il ajouté. L'affaire du port ne se terminera pas tant que (la vérité) ne sera révélée". "L'arrestation de William Noun ne vous sauvera pas, criminels, quelle que soit l'ampleur de la répression que vous commettez. Nous maintiendrons la pression sur vous jusqu'à ce que la vérité soit révélée", a twitté le député Fady Karam (FL). Ghada Ayoub, députée de la circonscription Liban-Sud I pour les FL, a également demandé la libération de William Noun. Pour sa part, le député Simon Abi Ramia (CPL) a indiqué avoir "contacté les autorités sécuritaires et judiciaires, dès l'arrivée de William Noun pour enquête, pour faire des suggestions sages et responsables afin d'éviter des développements négatifs". "Les familles des victimes et des martyrs de l'explosion du port, et tous les Libanais, ont le droit de connaître toute la vérité", a-t-il ajouté. Michel Helou, secrétaire général du Bloc national a, pour sa part, affirmé que l'arrestation de William Noun "n'est pas seulement contraire à la loi, mais aussi à toutes les normes humaines et morales".
A la MTV, le député Marwan Hamadé avait affirmé que la "manière de se comporter avec William Noun est un nouvel assassinat contre tous les Libanais". "Nous sommes au bord d'une révolution bien plus grande que celle de 2019", avait-il ajouté.
Plus tôt dans la journée de vendredi, un proche de William Noun avait déclaré à L'Orient Today sous couvert d'anonymat que M. Noun avait été convoqué pour un interrogatoire et qu'il s'était rendu de son plein gré dans les bureaux de la Sécurité de l'État à Dékouané, en banlieue nord de Beyrouth. Il a également précisé que la maison de William Noun a été perquisitionnée pour les besoins de l'enquête.
Hoteit condamne
Vendredi, un autre rassemblement rival de proches de victimes conduit par Ibrahim Hoteit a condamné les convocations par la police judiciaire de membres de l'autre groupe après le sit-in de mardi. Dans sa déclaration, le rassemblement a condamné ces convocations, les qualifiant d'"effronterie" de la part du pouvoir judiciaire. "Nous condamnons cette mesure arbitraire et mettons en garde contre toute arrestation, faute de quoi nous agirons comme un seul corps en dépit de nos désaccords sur le juge [Bitar]", souligne le groupe d'Ibrahim Hoteit. Contacté par L'Orient Today, il a expliqué que, bien qu'il soit opposé à toute confrontation avec les forces de sécurité, "il est compréhensible que les familles aient réagi de cette manière, après que plusieurs années se soient écoulées sans que justice ne soit rendue".
Le Conseil supérieur de la magistrature devait se réunir jeudi pour nommer un juge suppléant à Tarek Bitar qui pourrait décider des demandes de libération des suspects toujours détenus, mais le quorum n’a pas été atteint.
Ibrahim Hoteit a affirmé que son groupe est contre la nomination d'un juge suppléant parce que le groupe rival "pourrait alors déposer une requête contre [le nouveau juge] et l'enquête serait à nouveau suspendue". "La solution est de nommer un autre juge qui convoquerait chaque suspect ou que le juge actuel commence à le faire", a-t-il ajouté.
M. Hoteit et d'autres proches de victimes accusent le juge Bitar d'être partial dans ses convocations et ses arrestations et critiquent notamment le fait que l'ancien commandant en chef de l'armée Jean Kahwaji, qui a été convoqué pour enquête, n'a pas été arrêté.
L'enquête sur le port est actuellement suspendue, en raison de nombreux recours en invalidation présentés contre le juge Bitar par des responsables politiques convoqués dans le cadre de l'enquête.
Ma boule de crystal me dit voir qu'une nouvelle place sera créée dans le centre ville où seront dressées plusieurs dizaines de potences en pleine chaleur d'un mois d'août particulièrement chaud et humide, et desquelles pendront les cadavres de tous les corrompus assassins qui seront laissés gracieusement à la merci des charognards qui en feront un festin royal bien mérité.
19 h 19, le 14 janvier 2023