
De gauche à droite : Tammam Salam, Fouad Siniora et Nagib Mikati, réunis lundi au domicile du Premier ministre sortant. Photo Dalati et Nohra
C’est l’heure de sortir du silence. Après plusieurs mois d’absence quasi totale, marquée par le retrait de l’arène politique du chef du courant du Futur Saad Hariri, le club des anciens Premiers ministres fait une tentative de revenir sur la scène. Nagib Mikati, Tammam Salam et Fouad Siniora se sont réunis lundi au domicile du chef du gouvernement sortant et se sont exprimés au sujet de la présidentielle. Dans un communiqué conjoint, les trois anciens Premiers ministres ont plaidé pour un chef de l’État qui « bénéficierait de la confiance de tous les Libanais » et « qui respecterait la Constitution ».
A-t-il fallu que le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah dresse les grandes lignes du profil du président idéal aux yeux de son parti pour que les ex-chefs de gouvernement s’activent de nouveau ? La question se pose parce que le communiqué du trio Mikati-Siniora-Salam est intervenu trois jours seulement après le dernier discours du dignitaire chiite. Ensuite parce que le président voulu par le parti chiite est aux antipodes de celui décrit dans le communiqué des trois leaders sunnites. En réponse à ces interrogations, les milieux des anciens chefs de gouvernement démentent tout lien entre leur démarche et le discours de Nasrallah.
Interrogé par L’Orient-Le Jour, Fouad Siniora assure que ses réunions avec ses collègues n’ont jamais été interrompues. « Mais nous avons publié ce communiqué lundi parce qu’il est intolérable de ne pas se prononcer sur une question aussi importante que la présidentielle », explique-t-il, affirmant que le texte a été rédigé avant le discours de Hassan Nasrallah, dans une claire tentative de couper court aux interprétations selon lesquelles ce texte serait une réponse au chef du parti chiite. Ce dernier, et pour la toute première fois depuis le début des séances électorales, fin septembre, s’est ouvertement prononcé en faveur d’un président « qui ne poignarderait pas la résistance dans le dos ». Une position que le chef du groupe parlementaire du parti, Mohammad Raad, a réitérée hier dans une allocution au Liban-Sud.
« Nous ne pouvons pas rester les bras croisés face à des ténors du Hezbollah tenant ce genre de propos à même de modifier toute l’équation électorale », dit à L’OLJ un proche de M. Siniora, sous couvert d’anonymat. Dans leur communiqué, les trois anciens Premiers ministres ont, eux aussi, dressé le profil du chef de l’État qu’ils souhaitent voir succéder à Michel Aoun. Ils se sont prononcés en faveur d’« un président fort par sa sagesse, qui devrait avoir le soutien et la confiance de tous les Libanais et non d’un groupe spécifique ». Une réponse claire à un Hassan Nasrallah qui a insisté pour que le futur président rassure la « résistance ». Les anciens chefs de gouvernement se sont également dit pour un président qui respecterait la Constitution, l’accord de Taëf et les résolutions (du Conseil de sécurité) et de la Ligue arabe. Encore une pique en direction du Hezbollah accusé de s’opposer à l’accord conclu en 1989 en Arabie saoudite et de vouloir mener le pays vers une constituante qui déboucherait sur un changement du système politique en vigueur.
« Nous n’avons rien inventé. Tous les Libanais veulent une figure qui réponde à ces critères, sachant que l’expérience d’un président affilié à un camp bien déterminé n’était pas satisfaisante », nous confie l’un des participants à la réunion de lundi sous couvert d’anonymat. « Nous voulions surtout tenter de remplir un vide au niveau de la communauté sunnite », dit-il, reconnaissant que l’absence de Saad Hariri – en retrait de la vie politique depuis janvier dernier – affaiblit l’impact politique de la démarche de ses collègues. Il rejoint plusieurs observateurs qui soulignent que l’absence du leader du Futur a affaibli la communauté sunnite et que cette tendance s’est confirmée lors des dernières législatives en mai dernier. Saad Hariri demeure le leader « incontestable de la communauté sunnite », confirme un ancien conseiller de Nagib Mikati, qui a souhaité garder l’anonymat. « Toute réunion de ce genre en son absence ne laisse pas de trace significative sur la scène politique, surtout que MM. Siniora, Salam et Mikati ne s’étaient pas personnellement présentés aux législatives », décrypte-t-il.
La surprise Mikati
Peu avant la publication du communiqué des trois Premiers ministres, Nagib Mikati a en outre tenu des propos pour le moins surprenants : « J’ai une relation historique avec (le leader des Marada) Sleiman Frangié et je souhaite qu’il devienne président de la République », a affirmé le Premier ministre sortant dans une interview accordée à la chaîne qatarie al-Jazeera. Il s’est donc ouvertement prononcé pour le favori encore non déclaré du Hezbollah, alors qu’il a cosigné un communiqué prônant un profil présidentiel qui ne correspond pourtant pas au leader zghortiote. Comment expliquer ce double discours du Premier ministre sortant, passé maître dans l’art d’arrondir les angles ?
« C’est une démarche typique de M. Mikati », confirme un de ses anciens collaborateurs, qui estime qu’en prenant cette position, le leader sunnite a fait d’une pierre deux coups : d’un côté, il a rassuré le Hezbollah quant à sa disposition à collaborer avec son candidat une fois élu à la magistrature suprême ; de l’autre, il a fait un clin d’œil à l’Arabie saoudite en appuyant des positions prises par le camp hostile au parti pro-iranien. « Nagib Mikati veut se montrer prêt à diriger le premier gouvernement du prochain mandat. Il envoie donc les signaux adéquats aux protagonistes concernés », ajoute son ancien collaborateur.
L’opposition échoue de nouveau à accorder ses violons
Au lieu d’une trentaine, ils étaient à peine une vingtaine de députés opposants au Hezbollah (19 pour être plus précis) à se réunir hier à la bibliothèque du Parlement pour discuter notamment de l’échéance présidentielle. Les députés ayant pris part à la rencontre relèvent des Kataëb, du groupe du Renouveau de Michel Moawad, ainsi que du bloc des députés de la contestation. Des parlementaires indépendants étaient également présents. S’ils ne sont pas parvenus à souder leurs rangs derrière un même candidat, les participants ont appelé à « l’élection immédiate d’un président », selon un communiqué publié à l’issue de la réunion, deux jours avant la prochaine séance électorale prévue demain. Les députés opposants ont dans ce cadre mis en garde contre la tenue de séances législatives (alors que la Chambre est, depuis le 21 octobre dernier, un collège exclusivement électoral), dans la mesure où cela consacrerait le vide au niveau de la magistrature suprême.
De son côté, le chef du Rassemblement démocratique, Teymour Joumblatt, a affirmé hier à l’issue d’un entretien avec le patriarche maronite, Béchara Raï, à Bkerké, que son groupe parlementaire (affilié au Parti socialiste progressiste) continuera de voter pour Michel Moawad, député de Zghorta et candidat d’une frange de l’opposition (le PSP, les Kataëb et les Forces libanaises) à la magistrature suprême. « Si le camp adverse a un nom autour duquel il pourrait y avoir entente, nous aviserons alors », a-t-il ajouté, reprenant des propos similaires tenus par son père, Walid Joumblatt, il y a quelques jours depuis Aïn el-Tiné.
commentaires (16)
Ils sont amputés d’un cerveau, de courage et de réalisme. Ils sont riches mais pathétiques.
Achkar Carlos
16 h 24, le 16 novembre 2022