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Le verbe, côté dos


Chez certains acteurs, le culot remplace le talent.

(Michel Galabru)

Pour un pays aussi exigu que le nôtre, c’est tout de même fou la multitude d’acteurs que l’on voit s’agiter sans répit sur une pitoyable scène politique inondée par un déluge de crises. Innombrables sont les rôles que se sont arrogés ces adeptes du cabotinage au talent pour le moins contestable. Mais peu leur importe, c’est sur le registre de l’assurance rhétorique, de la rodomontade, du boniment, du culot, qu’ils ont quelque chance de se distinguer : et même de vous couper le souffle d’indignation, face à un aussi énorme toupet.


Tenez, par exemple, ces chevaliers à la blanche armure se posant en irréductibles pourfendeurs d’une corruption qui, au fil des décennies, a gangrené une large partie du personnel dirigeant. Longtemps partie intégrante du pouvoir, ils figurent eux-mêmes pourtant au premier rang des suspects de prévarication. Mieux encore, et quitte à provoquer d’interminables crises ministérielles, ces mêmes personnages refusent obstinément de se défaire du département qui aura le plus scandaleusement souffert de leur désastreuse gestion. À lui seul, le gigantesque trou noir de l’Énergie (plus de 40 % du montant de la faillite) ne pouvait ainsi que présager du naufrage financier à venir.


De la sorte se trouvent non seulement arraisonnés, mais inversés, ces beaux rôles de justiciers aux mains propres, de défenseurs des droits sacro-saints des communautés, ou encore de gardiens du territoire. Comme mille autres tournants de la vie publique, l’actuelle impasse présidentielle ne pouvait échapper à une aussi criante entreprise de mystification. Et c’est le meneur de jeu, le Hezbollah, qui nous en fait actuellement la démonstration la plus concluante.


Passons sur cette exécrable dérive, devenue de routine, qu’est le recours systématique aux bulletins blancs suivi d’un torpillage concerté du quorum à l’Assemblée : toutes manœuvres déployées sous le fallacieux prétexte de la recherche d’un candidat de consensus. Passons, de même, sur l’humiliante incertitude qu’impose la milice à deux de ses poulains présumés; les voilà en effet, telles deux promises rivales condamnées à faire tapisserie en attendant que se décide le seigneur et maître. Car davantage encore que ces hautaines coquetteries de puissance, ce qui désormais pose problème est la prétention du Hezbollah à ne concevoir d’autre président du Liban que celui de son choix. Par touches successives est définie depuis quelques jours la mission de ce dernier, pour ne pas dire sa vocation ; or aussi choquant que cet étalage de suffisance est l’argumentaire développé pour le soutenir.


Le Hezbollah, nous est-il dit, n’a besoin de la protection de personne, tout ce qu’il demande, c’est un président qui ne comploterait pas contre lui, qui ne le poignarderait pas dans le dos sur incitation des Américains. Proclamé vendredi dernier par Hassan Nasrallah, ce résumé de cahier des charges s’est vite enrichi d’exigences nouvelles, formulées par ses principaux lieutenants : à savoir que c’est la milice qui fait le président, et que celui-ci doit être digne du peuple résistant. On ne saurait mieux dire son mépris pour le reste du peuple : le reste étant, de surcroît, cette écrasante majorité de Libanais n’aspirant qu’à la pleine et entière restauration de l’État.


Non moins inopportune, malheureuse, maladroite et contre-productive que cette outrance verbale est l’allusion milicienne à l’arme blanche : à ces coups de poignard dans le dos contre lesquels voudrait se prémunir la formation pro-iranienne. Car à ce jeu de dagues florentines plantées dans les omoplates, c’est clairement le Hezbollah qui est expert, et donc invariablement gagnant. C’est lui qui, sans demander l’assentiment de personne, a pu embarquer le Liban tout entier dans une guerre dévastatrice contre l’ennemi israélien. C’est encore lui qui, en violation d’une doctrine de distanciation officielle, s’en est allé prêter main-forte au régime syrien et aux rebelles du Yémen. Et c’est toujours lui qui œuvre à miner l’appartenance arabe du pays, à la grande satisfaction de ses parrains de Téhéran.


Quant à l’État, il peut dormir tranquille : pour ce qui est d’avoir bon dos, il n’a nulle concurrence à craindre.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Chez certains acteurs, le culot remplace le talent. (Michel Galabru)Pour un pays aussi exigu que le nôtre, c’est tout de même fou la multitude d’acteurs que l’on voit s’agiter sans répit sur une pitoyable scène politique inondée par un déluge de crises. Innombrables sont les rôles que se sont arrogés ces adeptes du cabotinage au talent pour le moins contestable. Mais...