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Politique - Double explosion au port

Des avocats et des activistes se demandent « comment percer le mur de l’impunité »

Des experts ainsi qu’un représentant de familles de victimes se sont réunis à l’initiative de Legal Agenda pour se pencher sur les moyens de contrer les manœuvres de la classe au pouvoir, qui ont permis jusque-là aux responsables politiques mis en cause de se dérober.

Des avocats et des activistes se demandent « comment percer le mur de l’impunité »

De gauche à droite : Muhieddine Ladkani, Mazen Hoteit, Aya Majzoub, Nizar Saghieh et Ghida Frangié. Photo C.A.

Deux ans après la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020, la détermination des Libanais à voir identifiés et sanctionnés les responsables de ce drame n’a pas diminué. Les proches des victimes et la société civile continuent ainsi de rechercher les moyens susceptibles de mettre fin à l’impunité de responsables politiques présumés impliqués, que le pouvoir en place protège par des manœuvres dilatoires. « Comment percer le mur de l’impunité ? » Telle est la question à laquelle ont répondu mardi Nizar Saghieh, directeur de Legal Agenda, Mazen Hoteit, avocat de victimes étrangères de la catastrophe, Aya Majzoub, chercheuse au sein de Human Rights Watch (HRW), et Muhieddine Ladkani, membre d’un comité de parents de victimes, lors d’une table ronde tenue au théâtre Tournesol (Tayouné), modérée par Ghida Frangié, avocate et membre de Legal Agenda.

« Le cours de la justice se heurte à un mur, et les crimes du pouvoir restent impunis », déplore d’emblée Mme Frangié. Elle note plus particulièrement que dans l’affaire de la double explosion au port, « le refus des responsables politiques de se soumettre à la justice s’est accompagné d’une hystérie de recours judiciaires, d’accusations et de menaces contre (le juge d’instruction près la Cour de justice) Tarek Bitar, ainsi que d’une paralysie du gouvernement », en référence au fait que le tandem Amal-Hezbollah avait boycotté dès octobre dernier, et pour trois mois, les réunions du Conseil des ministres, dans une tentative d’obtenir la récusation du juge Bitar.

L’éveil du public

Face à ces actions contre le juge d’instruction, Nizar Saghieh salue le courage de celui-ci. « Au Liban, les grands crimes n’ont jamais été élucidés, mais dans l’affaire de la double explosion au port, le juge Bitar affronte les présumés coupables avec des décisions qui placent la classe politique en position de défense. » Outre l’action du magistrat, le directeur de Legal Agenda compte sur un « éveil » de l’opinion publique. Il prône ainsi de rejeter « les idées erronées » que les responsables tentent d’inculquer dans l’esprit des gens, tel le « ciblage politique » dont certains accusent le magistrat en charge de l’enquête, à travers lequel « ils veulent faire croire que l’accusé est victime et le juge coupable ». Il y a aussi « la tromperie de l’arbitraire, maniée pour se dérober à la justice », ajoute Me Saghieh, selon qui « la redevabilité d’un suspect poursuivi ne peut être supprimée sous prétexte qu’un autre n’a pas encore été inquiété ».

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« Tout est fait pour induire en erreur le public », renchérit Mazen Hoteit. Il cite en exemple « la tentative de faire croire que le juge des référés à l’époque des faits (Jad Maalouf) avait la garde judiciaire du nitrate d’ammonium à l’origine de l’explosion ». Alors que, dit-il, « celui-ci n’avait pas pris une telle décision ». Et d’ajouter : « On reproche de même au juge Bitar de ne pas avoir poursuivi tel ou tel magistrat, alors qu’il n’a pas la compétence de le faire (cela relève de la compétence de la Cour de cassation, NDLR). »

Une autre manipulation passe par la confessionnalisation du dossier. « Lorsqu’en septembre dernier, le juge d’instruction avait voulu interroger l’ancien chef de gouvernement Hassane Diab, les hauts responsables politiques et religieux sunnites sont montés au créneau pour tracer une ligne rouge », déplore ainsi Me Saghieh, accusant en outre la classe au pouvoir d’« attiser le confessionnalisme dans les rangs des proches des victimes ». Il faisait ainsi allusion à la création, en octobre dernier, d’un nouveau comité de familles par un frère de victime, Ibrahim Hoteit, de confession chiite, ainsi qu’aux événements de Tayouné, qui avaient éclaté le même mois, opposant des partisans du tandem Amal-Hezbollah à des habitants de Aïn el-Remmané, sur fond du dossier de la double explosion.

« Tous les pouvoirs, partenaires du crime »

Sur un autre plan, Me Mazen Hoteit reproche au ministre de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui, et à son prédécesseur Mohammad Fahmi, de ne pas avoir diffusé et exécuté les mandats d’arrêt prononcés à l’encontre du patron de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, alors qu’il est sous leur autorité de tutelle. L’avocat considère par ailleurs que la Cour de cassation ne remplit pas son rôle de représentant de la société, l’accusant de protéger « les criminels et les hommes du système ». « Tous les pouvoirs sont partenaires dans ce crime », lance-t-il. Me Nizar Saghieh dénonce à cet égard « un coup d’État » contre la justice, évoquant au passage le blocage par le ministre des Finances, Youssef Khalil (proche du chef du Parlement Nabih Berry), du décret de nomination des membres de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, compétente pour statuer sur les recours en responsabilité de l’État contre le juge Bitar.

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Pour Muhieddine Ladkani, dont le père a été tué alors qu’il se trouvait à son domicile à Mar Mikhaël, la solution est de « descendre dans la rue et ne plus en sortir ». Il se désole que le 4 de chaque mois, il se retrouve « avec seulement 30 ou 40 manifestants » à dénoncer les entraves à la justice.

C’est surtout au plan international que la représentante de HRW, Aya Majzoub, fournit ses efforts. « Nous sollicitons la formation d’une commission d’enquête internationale par le Conseil des droits de l’homme, organe relevant des Nations unies », indique-t-elle, confiant que les États membres du Conseil sont à ce jour réticents à l’idée. « Certains États jugent que l’affaire n’est pas liée aux droits humains et d’autres que c’est à la France de donner son feu vert », explique-t-elle, souhaitant qu’une résolution soit prise pour créer une commission, lors de la séance du Conseil prévue en septembre. « Il est urgent que (le président français) Emmanuel Macron réalise la promesse qu’il avait donnée en ce sens », prône-t-elle. M. Macron avait appelé, le 6 août 2020, à « une enquête internationale ouverte, transparente et claire ». Dans une interview exclusive accordée à L’Orient-Le Jour cette semaine, le président français précise : « En entendant l’appel des Libanaises et des Libanais, j’ai proposé une enquête internationale. Les autorités de votre pays ont décidé d’ouvrir une enquête nationale, en faisant appel à la coopération internationale, en s’adressant à plusieurs pays dont la France. C’est un choix souverain que la France et les pays amis du Liban ont respecté. »

De l’avis des intervenants, le chemin vers la sanction des coupables semble long, mais non impossible à parcourir. Selon Nizar Saghieh, pour ne plus « normaliser » le système de l’impunité, il faut que les composantes de la société s’unissent, « loin de la confrontation fanatique ». « Nous sommes plus faibles que la classe au pouvoir, mais nous œuvrons pour modifier cet équilibre de forces », indique, pour sa part, Mazen Hoteit, assurant que les responsables « ont peur ». « Promouvoir auprès des gens le concept de la redevabilité serait très utile », propose, de son côté, Muhieddine Ladkani, rejoint par Aya Majzoub, qui compte « affronter la classe corrompue, même durant dix ans ». « Ou même jusqu’au dernier souffle », renchérit Ghida Frangié.

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commentaires (5)

Cette réunion a eu le mérite de poser la question la plus importante: pourquoi le peuple ne descend pas massivement dans les rues pour demander que les responsables déjà convoqués se soumettent à la justice. Pourquoi l’iranien lambda sait pertinemment que son argent est entre les mains de Khameneï lorsqu’il descend dans les rues pour le réclamer aux cris de « mort à Khameneï » alors que le citoyen libanais lambda continue de croire que c’est le petit banquier du coin qui confisque son argent. Tout simplement parce-que la même entité diabolique qui tyrannise les iraniens les iraquiens et les syriens tyrannise tout autant le Liban et lui donne son nitrate d’ammonium en échange, mais est tellement bien dissimulée par un pouvoir de façade incarné par le aounisme et le haririsme que peu ne voient l’ampleur de cette domination néo-safavide sur le Liban.

Citoyen libanais

08 h 41, le 08 août 2022

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Commentaires (5)

  • Cette réunion a eu le mérite de poser la question la plus importante: pourquoi le peuple ne descend pas massivement dans les rues pour demander que les responsables déjà convoqués se soumettent à la justice. Pourquoi l’iranien lambda sait pertinemment que son argent est entre les mains de Khameneï lorsqu’il descend dans les rues pour le réclamer aux cris de « mort à Khameneï » alors que le citoyen libanais lambda continue de croire que c’est le petit banquier du coin qui confisque son argent. Tout simplement parce-que la même entité diabolique qui tyrannise les iraniens les iraquiens et les syriens tyrannise tout autant le Liban et lui donne son nitrate d’ammonium en échange, mais est tellement bien dissimulée par un pouvoir de façade incarné par le aounisme et le haririsme que peu ne voient l’ampleur de cette domination néo-safavide sur le Liban.

    Citoyen libanais

    08 h 41, le 08 août 2022

  • Il est plus qu’étonnant de voir qu’aucune plainte auprès des instances juridiques internationales de la part des autorités ou de l’opposition alors que le pays a été frappé par une bombe semblable à celle d’Hiroshima et causé la perte de la vie de plusieurs citoyens et anéanti le pays.

    Sissi zayyat

    10 h 58, le 07 août 2022

  • Tous les crimes ont été élucidés et certains même ont été jugés. Le problème reste dans l’exécution des peines pour certains cas c.a.d aller chercher les criminels cachés sous le jupon de HN et pour les autres cas, oser prononcer la sentence et designer le coupable par son nom et qui est connu par tous et le traduire devant la justice de force, comme les forces de sécurité vendues savent bien le faire lorsqu’il s’agit d’innocents libanais qui ont été accusés à tort de collaboration avec l’ennemi. Le problème est toujours le même dans les tout ce qui concerne les autorités de ce pays, ils sont tous vendus et pris à la gorge par le grand fossoyeur pour avoir volé ce qu’il avait mis à leur disposition pour mieux les tenir en laisse. Un grand ménage au Karsher s’impose de toute urgence pour enfin prétendre à une vraie justice dans ce pays gangrené par un cancer qui ne risque pas de guérir sans amputation.

    Sissi zayyat

    10 h 49, le 07 août 2022

  • M. Saghieh évoque le " bloquage" par le Ministre des finances du décret de nomination des membres de l'assemblée plénière de la Cour de cassation,mais pourquoi n'explique-t-il pas la raison de ce bloquage? M.Z

    ZEDANE Mounir

    21 h 48, le 06 août 2022

  • Allez illico au comite de droit de L homme a l’ ONU Je suggere Me Julius Grey de Montreal

    Robert Moumdjian

    02 h 40, le 06 août 2022

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