
Le Premier ministre désigné Nagib Mikati reçu par le président Michel Aoun, hier, au palais présidentiel de Baabda. Photo Twitter/@LBpresidency
Si la rapidité avec laquelle le Premier ministre désigné, Nagib Mikati, a soumis, mercredi, sa première mouture gouvernementale a été pour le moins surprenante, la suite du scénario l’est par contre beaucoup moins. On pouvait facilement le deviner : jamais un cabinet n’a pu être formé, du moins depuis le début de ce mandat, sans que la guerre des prérogatives entre les deux pôles de l’exécutif – la présidence de la République et la présidence du Conseil – ne se profile en filigrane. C’est d’ailleurs l’un des reproches majeurs que Michel Aoun a fait hier à Nagib Mikati, avec lequel il a eu un entretien éclair de moins d’une demi-heure. Juste le temps pour le chef de l’État de rappeler au Premier ministre désigné qu’il ne peut agir de manière unilatérale, la formation du cabinet étant une danse à deux. Le temps aussi pour Baabda de redéfinir le cadre et les critères qui commandent la formation des cabinets pour que le Premier ministre désigné obtienne l’aval du président, et donc la signature du décret de la naissance de la nouvelle équipe.De son côté, M. Mikati a quitté le palais présidentiel sans faire de déclarations. De sources concordantes, il aurait exprimé au chef de l’État son mécontentement suite à la fuite dans la presse des noms qu’il lui avait soumis.
À la suite des consultations parlementaires non contraignantes effectuées lundi et mardi, M. Mikati avait remis au président une combinaison gouvernementale qui lui semblait convenable dans ces circonstances, sauf qu’elle a fortement déplu à M. Aoun. La liste comprendrait 24 noms et conserverait la majorité des ministres du cabinet sortant, dans ce qui ressemble plus à un remaniement ministériel camouflé qu’à une nouvelle équipe. Seulement cinq des 24 ministres actuels devaient être remplacés. Mais ce serait surtout le remplacement de Walid Fayad (grec-orthodoxe, proche du Courant patriotique libre) par Walid Sinno (sunnite), un homme d’affaires et expert en énergie, qui a constitué la goutte de trop, le portefeuille de l’Énergie étant convoité par le camp aouniste, même si ce dernier persiste à dire qu’il ne prendra pas part à ce gouvernement.
Pour le camp du président, c’est de la pure provocation. Mais les proches de M. Mikati s’en défendent. « Comment voulez-vous que M. Mikati puisse continuer à travailler normalement avec un ministre avec lequel il ne s’entendait plus ? » s’interroge un proche du Premier ministre désigné qui justifie le choix de M. Sinno par son expertise dans le secteur.
Fin mai, Nagib Mikati avait accusé M. Fayad de retarder l’examen d’une offre formulée par Siemens et General Electric permettant au Liban de produire de l’électricité 24 heures sur 24. Une manœuvre attribuée au chef du CPL, Gebran Bassil, qui aurait demandé au ministre de retirer le dossier de la table du Conseil des ministres à la dernière minute.
Aoun propose trois issues
Le chef de l’État a par ailleurs objecté le principe d’une rotation appliquée arbitrairement à certains portefeuilles – comme par exemple le transfert de Georges Bouchikian (Tachnag) du ministère de l’Industrie à l’Économie, un poste qui était occupé par Amine Salam, un sunnite – et non à d’autres. Pour Michel Aoun, rien ne justifie une rotation au niveau d’un ministère donné alors que le ministère des Finances par exemple reste aux mains de la confession chiite, et plus précisément du mouvement Amal. D’où le retour au leitmotiv des « critères unifiés ».
Pour régler ce différend, le président a donc fait une contre-proposition. Selon les milieux de Baabda, M. Aoun a suggéré trois issues. La première consiste en un cabinet élargi de 30 ministres, dont 6 ministres d’État sans portefeuille qui représenteraient les différentes confessions et tendances politiques. Le président a contesté le fait que M. Mikati a quasiment repris la même configuration que l’ancien cabinet sans inclure des figures politiques comme l’avait souhaité Baabda à plus d’une reprise. La présence de figures politiques est, de l’avis du président, incontournable car la période est sensible avec des échéances importantes qui requièrent un gouvernement à caractère mixte (techno-politique). La deuxième option consiste à changer quelques noms au gouvernement démissionnaire, mais en tenant compte des équilibres et non comme l’a proposé M. Mikati dans sa première mouture. On ne saura toutefois pas si ce léger remaniement devrait ou non inclure des figures politiquement marquées. Troisième possibilité enfin, le renflouement de l’équipe actuelle dans laquelle le camp aouniste (le CPL et le chef de l’État) détient, rappelons-le, six portefeuilles.
Mais par-delà le marchandage autour des noms à proprement parler, c’est, semble-t-il, le rapport de force entre les deux camps qui est aujourd’hui plus que jamais en jeu. Fort d’un soutien international, et confiant qu’il pourra toujours continuer sa mission même avec un gouvernement démissionnaire, Nagib Mikati a plus à gagner qu’à perdre à ce jeu. Ce qui n’est pas le cas pour le président qui risque de voir la fin de son mandat ternie un peu plus s’il devait échouer à s’entendre avec le Premier ministre désigné. C’est en tout cas avec une promesse de collaborer que les deux hommes se sont quittés hier, assurent les sources de part et d’autre dans un souci de distiller un climat positif. Ils devront se revoir lundi ou mardi pour un nouvel entretien, au cours duquel le président cherchera à reprendre les rênes et « soumettre plusieurs noms » au Premier ministre désigné qui doit se rendre en Arabie saoudite pour la fête de l’Adha, célébrée en fin de semaine, précise une source de Baabda.
Je. J.
Censurée.
23 h 35, le 02 juillet 2022