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La dérègle du jeu


Au même titre que les dessous de table, délits d’initiés et autres indélicatesses dont souffre le Trésor public, la laborieuse gestation que requiert, à tous les coups, la formation d’un gouvernement fait désormais partie intégrante du folklore politique libanais. C’est là un long fleuve, rien moins que tranquille, qu’il faut, le plus souvent, remonter à la rame en satisfaisant au mieux les exigences avancées de toutes parts. En enfourchant un hors-bord ultrarapide, Nagib Mikati n’a pas toutefois abrégé la traversée.


À peine clôturées ses consultations non contraignantes avec les groupes parlementaires, la première combinaison ministérielle qu’il s’en allait proposer au président Michel Aoun – un remaniement du gouvernement sortant – frisait la provocation. Alors, on prend les mêmes et on recommence ? Pas tout à fait, puisque le courant présidentiel se trouvait fortement pénalisé, dessaisi qu’il était de sa funeste chasse gardée, le ministère de l’Énergie. De surcroît, ce département était le seul d’importance à être affecté par une vague et inégale rotation des portefeuilles entre les diverses communautés.


Pour tout dire, c’était visiblement là une offre que le président ne pouvait que refuser. L’entrevue d’hier entre les deux hommes semble s’être résumée à un échange de reproches, que l’on voudrait bien supposer courtois, suivi de contre-propositions présentées par le chef de l’État. Si haut cependant a été, d’office, placée la barre, si large est le fossé entre les deux pôles du pouvoir exécutif que c’est bel et bien une navigation au long cours qui semble devoir, une fois de plus, s’imposer. Or, ce marathon annoncé est loin d’être disputé à armes égales.


À la veille d’aborder le dernier trimestre de son bail au palais de Baabda, c’est une bataille d’arrière-garde que livre un président Aoun lourdement lesté de son dauphin déclaré. Son mandat, que l’on ne saurait qualifier de particulièrement prospère et heureux, le chef de l’État aspire à le clôturer, sinon en beauté, du moins dans une relative normalité garantissant la pérennité du parti dont il fut le fondateur. Face à lui, Nagib Mikati bénéficie de consistants avantages tactiques. Bien qu’issu du même establishment décrié sur tous les tons par la contestation populaire de 2019, il jouit (faute de mieux ?) de l’agrément des puissances occidentales et arabes demeurées soucieuses du sort du Liban. Et surtout, il a pour lui, et lui seul, cet inestimable allié qu’est le temps.


Outre sa casquette de Premier ministre désigné, le milliardaire tripolitain arbore ainsi celle de chef du gouvernement sortant, démissionnaire depuis les législatives du 15 mai, mais pas encore remplacé. Son marchandage avec Aoun aura beau s’éterniser, jamais Mikati ne se dégarnira volontairement du premier de ces couvre-chefs, de peur de voir le Parlement se rabattre sur quelque autre candidat sunnite au Sérail. Et il continuera, jusqu’à nouvel ordre, d’expédier les affaires courantes, même si, par malheur, il s’avérait impossible d’élire un nouveau président de la République. Comme pour démontrer qu’il reste aux commandes, bien qu’étant ouvert à toutes les options, le voilà d’ailleurs qui, de remaniement en amendements, s’apprête à réajuster son plan de redressement économique et financier adopté seulement en mai dernier !


Cette véritable grève du zèle n’est finalement que l’illustration la plus récente de la perversion de notre système. Pour avoir longtemps sévi au ministère de l’Énergie avec les catastrophiques conséquences que l’on sait, les responsables du CPL méritent mille fois, plutôt qu’une, d’en être délogés, et même de rendre compte des innombrables et énormes irrégularités qui ont éclaboussé leur gestion. Or, ce n’est pas pour leurs turpitudes que l’on entreprend un beau matin d’écarter de tels ministres. Car si, pour les uns, même les kilowatts et les hydrocarbures offshore sont prétexte aisé à démagogique confessionnalisation, ils sont aussi, pour les autres, matière à luttes d’influence, à pression, à chantage politicien. C’est ce code de déshonneur, reposant sur la règle d’immunité judiciaire, qui tient lieu ici de jeu politique.


En réalité, c’est du peuple, de ses épreuves, de sa vie et de ses biens que l’on se joue.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Au même titre que les dessous de table, délits d’initiés et autres indélicatesses dont souffre le Trésor public, la laborieuse gestation que requiert, à tous les coups, la formation d’un gouvernement fait désormais partie intégrante du folklore politique libanais. C’est là un long fleuve, rien moins que tranquille, qu’il faut, le plus souvent, remonter à la rame en satisfaisant...