Malgré le fait qu’il ait reçu, lors des consultations parlementaires non contraignantes de la semaine dernière, le plus petit nombre de voix pour un candidat au poste de Premier ministre depuis 1990, Nagib Mikati garde officiellement l’espoir de former rapidement un nouveau cabinet.
Or, au Liban, le processus de formation du gouvernement est en soi une tâche particulièrement ardue qui prend souvent de nombreux mois dans un pays profondément polarisé. Si M. Mikati espère s’éviter des maux de tête en apportant quelques changements à son gouvernement sortant, plusieurs facteurs devaient doucher les espoirs d’une conclusion rapide de ce processus.
Pression réduite
D’abord, le prochain cabinet ne sera en place que jusqu’à ce qu’un autre soit formé après l’élection présidentielle. Cela pourrait affecter la pression pour former un gouvernement, étant donné que le cabinet sortant peut continuer à gérer les affaires pendant cette période intérimaire relativement courte.
Ensuite, la perspective que ce gouvernement nouvellement formé se trouve dans la situation d’assumer les prérogatives présidentielles après la fin du mandat de Michel Aoun, en cas d’absence d’accord sur un successeur à Baabda, est loin d’être à écarter. C’est pourquoi le gendre du président, Gebran Bassil, considère le rôle du CPL dans le prochain gouvernement comme un levier potentiellement important qui pourrait lui permettre de succéder à Aoun ou de déterminer de manière significative le choix d’un successeur. Les négociations s’annoncent donc très difficiles. En politicien chevronné, Nagib Mikati est parfaitement conscient de cette réalité et négociera durement pour affaiblir Bassil dans tout nouveau cabinet. Ce dernier, qui n’a pas soutenu Mikati lors des consultations, cherchera de son côté à bloquer le processus de formation du gouvernement s’il n’obtient pas ce qu’il veut, dans un contexte de détérioration accélérée des conditions économiques et financières du pays. Quant au président Aoun, il pourrait donc essayer de modifier le choix des ministres de Mikati en refusant de signer le décret de nomination si on gendre n’était pas satisfait.
Troisièmement, le prochain gouvernement devra faire des choix difficiles, principalement en réponse aux négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) pour aider le Liban à sortir de sa crise économique. Il s’agit notamment d’unifier les taux de change et de limiter les interventions monétaires de la banque centrale (BDL) dans l’économie. Selon l’accord préliminaire signé avec le FMI en avril dernier, la BDL doit « se concentrer sur la reconstitution de ses réserves en devises étrangères et le maintien d’un taux de change unique déterminé par le marché, ce qui facilitera le fonctionnement du secteur financier. » Or, elle continue aujourd’hui d’intervenir sur le marché avec plus de 2 milliards de dollars dépensés au cours des six derniers mois, selon son gouverneur Riad Salamé. Et mettre fin à cette intervention sera politiquement coûteux, car la valeur de la livre libanaise risque de baisser encore, ce qui provoquera un mécontentement populaire considérable. C’est pourquoi de nombreux partis politiques pourraient être intéressés à rester en dehors du gouvernement, réduisant ultérieurement la pression pour en former un le plus rapidement possible.
Parallèlement, l’une des priorités de Gebran Bassil semble être de conditionner sa participation au gouvernement à un accord de Mikati pour démettre de son poste un gouverneur dont il a été jusque-là un fervent soutien. Le chef du CPL a accusé Riad Salamé d’avoir permis la baisse de la valeur de la livre libanaise afin de discréditer le mandat de son beau-père. Sa campagne contre Salamé, considéré par beaucoup de Libanais comme le protecteur d’un système financier corrompu ayant précipité l’effondrement économique du Liban, constitue sans doute aussi un moyen pour tenter d’ améliorer sa propre réputation, au plus mal depuis trois ans. De son côté, le gouverneur fait valoir que l’enquête judiciaire menée contre lui par Ghada Aoun est motivée par des raisons politiques. Bref, le sort de Riad Salamé continue de diviser la classe politique, ce qui peut également compromettre un consensus sur un nouveau gouvernement.
Contexte régional
Enfin, la dynamique de formation d’un cabinet pourrait être ultérieurement affectée par les changements en œuvre sur la scène régionale. Selon certaines informations, les pourparlers entre l’Arabie saoudite et l’Iran doivent reprendre à Doha, et un nouvel élan a été donné à la relance de l’accord nucléaire avec l’Iran à la suite de la visite du chef de la politique étrangère de l’Union européenne Josep Borrell à Téhéran ce mois-ci. Si ces négociations aboutissaient, la dynamique locale libanaise pourrait être influencée positivement par l’apaisement des tensions régionales, ce qui pourrait faciliter l’élection d’un président. Un accord régional est d’autant plus important que les forces politiques libanaises sont aux prises avec les exigences du FMI en matière de réformes politiquement coûteuses. Une certaine mesure de soutien régional pourrait atténuer l’impact de ces réformes et aider à soulager le mécontentement socio-économique. Cependant, tout cela prend du temps, ce qui ne fait qu’encourager les acteurs politiques libanais à adopter une attitude attentiste.
C’est peut-être pour toutes ces raisons que la question de savoir s’il ne serait pas préférable de maintenir en place le gouvernement sortant actuel, voire de réactiver son rôle à la fin du mandat d’Aoun, commence à faire débat. Le point de discorde le plus probable est que M. Mikati restera dans l’incapacité de mettre en œuvre les réformes nécessaires dans le secteur de l’électricité, qui reste sous le contrôle du CPL. Or, Gebran Bassil voudra continuer à utiliser son influence sur le ministère pour garantir ses objectifs politiques, mais aussi pour garder la main sur le dossier sensible des hydrocarbures offshore, à un moment où le pays attend la reprise des négociations et de la médiation américaine sur sa frontière maritime avec Israël.
Tout cela rend la formation d’un gouvernement dans un court laps de temps non seulement difficile, mais aussi improbable. L’élection présidentielle est désormais la priorité, et son issue dépendra dans une large mesure des résultats des pourparlers régionaux. Tant que ces derniers ne seront pas clarifiés, le Liban restera dans une situation d’attente.
Chercheur et directeur de la communication du Malcolm H. Kerr Carnegie Middle East Center. Dernier ouvrage : « Nationalism, Transnationalism, and Political Islam » (Palgrave, 2017).Ce texte est une traduction synthétique d’un article publié en anglais sur Diwan, le blog du Carnegie MEC.
commentaires (8)
Pardon, lire: Blanc-seing
Céleste
18 h 07, le 10 juillet 2022