Un mois jour pour jour après les législatives, Michel Aoun a enfin accompli sa mission constitutionnelle. Le président de la République a convoqué mercredi les députés élus aux consultations parlementaires contraignantes afin de désigner un nouveau Premier ministre. Ils sont attendus jeudi 23 juin à Baabda, à partir de 10 heures. Par cette démarche, le chef de l’État a voulu renvoyer la balle de la formation du futur gouvernement – le dernier avant la fin du sexennat fin octobre prochain – dans le camp des protagonistes, en particulier ceux qui l’ont accusé de retarder sciemment cette échéance. Selon les milieux de Baabda, le chef de l’État a préféré attendre que le nouveau Parlement complète les élections de son président et vice-président, ainsi que la composition de ses commissions. Ensuite, il a attendu le départ du médiateur américain dans le litige sur la frontière maritime entre le Liban et Israël, Amos Hochstein, qui a effectué une visite de deux jours mardi et mercredi à Beyrouth. « Nous avons tenu parole. Nous avions dit que le chef de l’État allait fixer la date des consultations parlementaires après le départ de l’émissaire américain », commente pour L’Orient-Le Jour un proche de la présidence.
Sauf qu’il est évident que Michel Aoun voulait donner aux protagonistes le temps de conclure une entente préalable sur le futur Premier ministre, même si le chef du gouvernement sortant, Nagib Mikati, semble être le candidat favori à sa propre succession. Ce dernier impose néanmoins ses conditions pour accepter la tâche : permettre au cabinet de mettre en place les réformes économiques et ne pas mettre des bâtons dans les roues au Premier ministre. Nagib Mikati veut couper court à toute tentative d’imposer des conditions préalables pour faciliter la mise en place de la nouvelle équipe. Il reste que de minutieux calculs sont en train d’être effectués et se poursuivront jusqu’à la date des consultations. D’autant plus que la future équipe pourrait administrer le pays en cas de vacance présidentielle. Ce qui signifie que la tâche du Premier ministre risque de s’avérer beaucoup plus compliquée.
Le CPL et le vote blanc
Mais rien ne prête à croire que l’entente voulue par le chef de l’État sera atteinte, car de nombreux protagonistes ont déjà commencé à poser leurs conditions concernant la future équipe ministérielle. Tel est le cas du chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil. Dans une interview télévisée dimanche dernier, le leader aouniste s’est montré très clair : « Nous ne nommerons pas Nagib Mikati », a-t-il affirmé, ouvrant le bazar de ce qu’on appelle au Liban « l’accord préalable sur la composition du cabinet et sa mission, avant la désignation d’un Premier ministre ». « M. Mikati a fait tout ce qu’il pouvait faire durant son mandat. Il est temps de donner la chance à de nouvelles figures », explique Rindala Jabbour, porte-parole du CPL. « Nous voulons un Premier ministre capable de limoger le gouverneur de la Banque du Liban », ajoute sans ambages la responsable aouniste, Riad Salamé étant la bête noire du tandem Baabda-CPL. « Mais nous savons qu’il est difficile de trouver un tel candidat, tout comme il nous est difficile d’imposer un Premier ministre sans l’appui des forces qui se disent souverainistes ou du changement. Nous pourrons donc voter blanc », avoue Mme Jabbour, laissant entendre que son groupe parlementaire ne nommera aucune personnalité pour former la future équipe.
Cette prise de position du parti orange est à même de compliquer la tâche à son allié de longue date, le Hezbollah, qui œuvrerait pour la reconduction de M. Mikati. Car dans une telle configuration, le chef du gouvernement sortant se trouverait dans une position délicate : s’il bénéficie d’une couverture sunnite assurée par le club des anciens Premiers ministres (Saad Hariri, Fouad Siniora et Tammam Salam) et les députés ex-haririens, ainsi que de l’appui chiite du Hezbollah, il risque d’être privé de l’appui des deux principales formations chrétiennes, le CPL et les Forces libanaises. Le leader de ce parti, Samir Geagea, multiplie les appels à l’unification des forces de l’opposition sur les grands dossiers, tels que la nomination du Premier ministre. « Nous sommes contre le maintien de M. Mikati dans ses fonctions. Et il nous importe de voir les opposants et les indépendants, ainsi que les députés de la contestation s’entendre sur un candidat », indique à L’Orient-Le Jour un responsable FL. C’est dans ce cadre que s’inscrit la réunion qui s’est tenue mardi entre Samir Geagea, Akram Chehayeb et Waël Bou Faour, députés joumblattistes respectivement de Aley et Rachaya. Était également présent Ziad Hawat, député FL de Jbeil. « Nous coordonnons avec le Parti socialiste progressiste les grandes étapes de la prochaine phase, dont la nomination du Premier ministre », confie M. Hawat, précisant qu’aucune entente n’a encore été conclue autour d’un candidat.
Quid de la contestation ? À l’heure où les milieux proches des FL et du reste des opposants font état d’une coordination avec les élus de la thaoura, ces derniers présentent une autre version des faits. « Nous sommes en train de finaliser notre entente sur le nom d’un Premier ministre. Mais il n’y a pas de coordination avec d’autres parties », précise Mark Daou, député de Aley. Il fait également savoir que les parlementaires de la contestation poursuivent leurs discussions en quête d’un nom pour leur groupe parlementaire, qui n’a pas encore officiellement vu le jour. C’est ce qui explique le fait que chacun de ces députés sera reçu individuellement par le chef de l’État aux consultations de jeudi prochain.
Pour l’Élysée, priorité au gouvernement
De son côté, la communauté internationale, notamment la France, suit de près les développements politiques au Liban. Une source diplomatique libanaise basée à Paris indique à L’OLJ que pour l’Élysée, l’heure est actuellement à la formation d’un gouvernement capable d’enclencher le processus de réformes à même de sortir le Liban de la crise actuelle. Une réaction implicite aux informations qui ont récemment circulé dans les médias locaux et selon lesquelles la présidentielle libanaise serait déjà discutée dans les coulisses à Paris et à Washington. « L’heure est à la mise sur pied du cabinet. Il s’agit d’une échéance interne. Mais cela ne signifie pas que le président français Emmanuel Macron abandonnera le Liban », assure la source diplomatique libanaise.
"Consultations parlementaires contraignantes"...Mais de quel cerveau malade constitutionnellement est sortie cette disposition dont l'unique résultat pratique démontré est d'accentuer la paralysie politique et d'exacerber les surenchères communautaristes toutes les fois qu'il s'agit de désigner un nouveau Premier ministre?
16 h 51, le 17 juin 2022