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Nos Lecteurs ont la Parole

Les timbres de la corruption

Les timbres de la corruption

Malgré les « envoie un coursier pour le faire » incessants d’un ami, je décide, il y a quelques jours, d’aller moi-même explorer une administration de chez nous pour sortir un papier attestant que je suis « clean » (La houkm aalayha).

Je mets mes talons que je n’avais pas mis depuis deux ans – pourquoi, je ne sais pas – et je me dirige vers la station de police de Furn el-Chebbak « près de Hawa Chicken », comme on m’avait indiqué. En me garant dans le parking en face, le gérant m’informe : « Baddik tawabi3 (Vous avez besoin de timbres). » Il paraît que je peux en acheter du magasin, pas très loin de Hawa Chicken.

C’était un petit magasin qui vantait sur son mur le Christ rédempteur de Rio et la tour Eiffel de Paris pour nous vendre des assurances à chacun, à son goût – médicale, voiture, propriété, vie –, bref, tout ce qui est « assurançable ». Mais pas que. Ils y traduisent également nos documents vers toutes les langues.

À leur temps perdu, ils vendent aussi des timbres. Par ces temps perdus qui perdurent, ils les vendent au marché noir.

« - Bonjour, 4 timbres de 1 000 LL, je vous prie.

- C’est à 20 000 LL », me répond la dame au Christ rédempteur sur le mur.

- Mais l’État les a fixés à 1 000 LL. C’est même inscrit dessus : 1 000 LL !

- Ils coûtent 20 000 LL chez moi », me dit-elle fermement avant de m’ignorer et de passer à la prochaine victime qui voulait acheter 14 timbres.

Comme elle est la seule dans le quartier qui vendait ces timbres et comme j’avais besoin urgemment de ce document, je me suis résignée et j’ai participé volontairement, malgré moi, à cette corruption et j’ai payé 20 000 LL le prix de 4 timbres qui valaient 4 000 LL.

Je les prends et je me dirige vers la station de police juste en face, là où je devais demander cet extrait de casier judiciaire.

Un officier se tenait à l’entrée de la station. Je l’informe de ce qui venait de se passer. Il me regarde avec un air de « haram celle-là » et me dit :

« - Elle a fait la même chose avec moi la semaine dernière, mais elle m’a fait un petit rabais.

- Vous comprenez que ce qu’elle fait est illégal, n’est-ce pas ? Rabais ou pas.

- Oui, mais que peut-on faire ?

- Vous êtes un officier des Forces de sécurité intérieure, vous êtes la police et vous me demandez à moi que peut-on faire ? !

- Allez déposer une plainte, me dit-il d’un ton presque moqueur.

- Ok, où dois-je aller ?

- Au cinquième étage. »

Ce qu’il ne m’a pas dit, c’est que l’ascenseur ne fonctionnait pas. Je pris alors mon courage (et mes talons) à deux mains et je commençai mon escalade à pied. J’arrive au cinquième. Il y avait là plusieurs bureaux. Dans chacun de ces bureaux, il y avait un seul officier. Ils avaient tous l’air blasés, dégoûtés, ennuyés. Leur état m’a presque fait oublier pourquoi j’étais là.

Un citoyen sur mon passage voulant savoir où se diriger pour continuer sa procédure administrative, un des officiers blasés, dégoûtés, ennuyés, lui demanda : « Ma3ak tawabi3 (avez-vous des timbres) ? » Il les avait.

« - Combien avez-vous payé vos timbres ? lui ai-je demandé.

- 50 000 LL pour 12 timbres à 12 000 LL, me dit-il, agacé.

- Ceci est inacceptable. Elle m’a arnaquée à moi aussi. Je vais déposer une plainte. Venez vous joindre à moi.

- Euh… Je n’ai pas le cœur à le faire. Haram.

- Quoi ? Et vous avez le cœur à vous faire arnaquer, à vous faire voler ?

Pire, à ce qu’on vous oblige à participer volontairement, malgré vous, à votre propre vol, mais vous n’avez pas le cœur de dénoncer celle qui en est responsable ?

- Euh… C’est vrai… mais je n’ai pas le temps aujourd’hui. Désolé. »

Et il s’en va.

Un officier blasé, dégoûté, ennuyé, qui a entendu cette conversation me dit : « Madame, pour déposer votre plainte, c’est au deuxième étage qu’il faudrait vous diriger. »

Je reprends les escaliers vers le bas, vers le deuxième étage. (Décidément, j’ai choisi le mauvais jour pour remettre des talons).

« - Bonjour, je voudrais déposer une plainte.

- À quel sujet ?

- Les timbres. »

L’officier blasé, dégoûté, ennuyé, me regarde du bout des yeux, comme si je venais de sortir l’aberration de la semaine, et m’envoie au premier

étage !

« - Mais vos collègues m’ont déjà envoyée au cinquième puis au deuxième, et là, vous me renvoyez au premier. Vous voulez me dissuader de déposer cette plainte ou quoi ? »

Lassée de son monologue sur les juridictions, les poursuites pénales et le procureur général, je me dirige vers le premier étage.

Là, il y avait un seul bureau avec une pancarte, « Haress althakaneh » (le gardien du poste).

Génial, on m’a envoyée chez le concierge. Mais j’insiste.

« - Bonjour je voudrais déposer une plainte.

- À quel sujet ?

- Les timbres. »

L’officier-concierge, également blasé, dégoûté, ennuyé, eut un sourire amusé.

« - Le magasin que vous mentionnez ne relève pas de notre juridiction, me dit-il, pensant se débarrasser de moi rapidement.

« - Quoi ? Mais ce magasin est juste en face de chez vous !

- Attendez, je vais m’enquérir. »

Il prend son téléphone, appelle quelqu’un et lui raconte mon histoire. Le magasin semble être dans sa juridiction, mais… l’officier chargé de prendre ma déposition n’est pas disponible. Surprise !

« - Vous avez un poste de police de six étages et vous n’avez qu’un seul officier pour prendre les dépositions !

Je vous prie de l’appeler pour savoir quand il sera disponible. »

Il l’appelle (soi-disant). Il raconte mon histoire. Il raccroche.

« - Je suis désolé, me dit-il, il va falloir que vous reveniez un autre jour, l’officier ne reviendra plus aujourd’hui. Il est occupé… avec un cadavre.

- Et comment ! »

Je ne pus m’empêcher de remarquer le lit de fortune derrière le bureau de cet officier-concierge. Le lit était couvert d’un drap sur lequel figurait un lion. Un lion décoloré à coups de lavages et de repassages.

Un peu comme ces officiers de chez nous. Des lions blasés, dégoûtés, ennuyés, décolorés à coups de lavages et de repassages. Je le salue et je lui dis que je reviendrai. Ou probablement pas.

On nous empêche d’exercer notre droit le plus basique qui est celui de déposer une plainte – et ceci est inacceptable. Et pourtant, ce n’est pas cela uniquement qui m’a poussée à écrire cette histoire. Ce qui m’a poussée à le faire surtout, ce qui m’a sidérée encore plus, beaucoup plus, à part la réaction du citoyen que j’ai croisé sur mon passage, c’était la réaction des personnes, mes amis, à qui j’ai raconté cette histoire.

« - Ça va, walaw, pour 20 000 LL !

- Haram, la dame du magasin. Elle a besoin de vivre aussi.

- As-tu comme ça beaucoup de temps à perdre les matins ? »

Non, je n’ai aucune minute à perdre les matins (ni les soirs ni les nuits d’ailleurs). Je travaille à temps plein dans trois endroits différents (comme beaucoup), justement parce que tout le monde me vole avec mon consentement (vicié) : la dame du magasin au Christ rédempteur, le supermarché, la pharmacie, le restaurant, la station d’essence, le gars du générateur et l’État, bien évidemment.

Non, ce n’était pas les 20 000 LL que je visais dans ma plainte, qui ne verra jamais le jour probablement. C’est le principe.

Non, la dame du magasin n’a pas le droit de me voler avec mon consentement (vicié).

Non, personne n’a le droit de m’obliger à participer à la corruption parce que l’État ne veut pas faire son devoir.

Participer activement et volontairement à un crime qu’on commet contre moi n’est pas normal. Ne doit pas être normal.

Devoir vous convaincre (en vain) que participer activement et volontairement à un crime qu’on commet contre vous n’est pas normal, c’est juste hallucinant.

Le pays n’a pas commencé à aller mal lorsqu’ils ont arrêté de respecter la règle de droit. Le pays a commencé à aller mal lorsqu’ils ont arrêté de respecter la règle de droit et que nous, nous nous sommes tus. Ne nous taisons plus !

Appelez le 03/868303 et dénoncez la corruption dont vous êtes victimes ou témoins. Le Centre libanais pour dénoncer et combattre la corruption – initiative de la Lebanese Transparency Association – encourage les citoyens à dénoncer toute forme de corruption dont ils sont victimes ou témoins. Il offre des services juridiques gratuits qui vont d’un simple avis à la représentation devant les tribunaux. Les conseillers légaux sont joignables 24h/24. N’hésitez pas à les appeler.

Combattons la corruption ensemble !


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Malgré les « envoie un coursier pour le faire » incessants d’un ami, je décide, il y a quelques jours, d’aller moi-même explorer une administration de chez nous pour sortir un papier attestant que je suis « clean » (La houkm aalayha).Je mets mes talons que je n’avais pas mis depuis deux ans – pourquoi, je ne sais pas – et je me dirige vers la...
commentaires (2)

Reina Sfeir, les timbres de la corruption dites vous ? je vais vous dire quelle est la plus grosse corruption de notre histoire: celle d'un aouniste du nom de jobrano bassil, qui raconte a ses ouailles aveugles d'adoration de son bo daddy , qu'il a resussi a limiter le vote aux candidats chretiens aux seuls chretiens. Le Gros mensonge du mec. n'est ce pas corruption que de mentir si éhontément a ses partisans ? n'est ce pas corruption de se liguer au chef d'un parti par lui etiquette de "voyou" ? n'est ce pas corruption que de laisser faire un juge agir comme une milice ? n'est ce pas corruption que de continuer a faire accroire a ses aveugles partisans qu'ils _ je repete "QU'ILS" sortent gagnants de ces elections ? je m'arrete a cette enumeration de peur d'aller me faire harakiri devant aussi ignoble corruption/corrupteur

Gaby SIOUFI

13 h 47, le 18 mai 2022

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Commentaires (2)

  • Reina Sfeir, les timbres de la corruption dites vous ? je vais vous dire quelle est la plus grosse corruption de notre histoire: celle d'un aouniste du nom de jobrano bassil, qui raconte a ses ouailles aveugles d'adoration de son bo daddy , qu'il a resussi a limiter le vote aux candidats chretiens aux seuls chretiens. Le Gros mensonge du mec. n'est ce pas corruption que de mentir si éhontément a ses partisans ? n'est ce pas corruption de se liguer au chef d'un parti par lui etiquette de "voyou" ? n'est ce pas corruption que de laisser faire un juge agir comme une milice ? n'est ce pas corruption que de continuer a faire accroire a ses aveugles partisans qu'ils _ je repete "QU'ILS" sortent gagnants de ces elections ? je m'arrete a cette enumeration de peur d'aller me faire harakiri devant aussi ignoble corruption/corrupteur

    Gaby SIOUFI

    13 h 47, le 18 mai 2022

  • Devant le ministère de l'éducation nationale, sur la route d'en face, se tient debout le seul vendeur de Timbres à 3000 livres le timbre de 1000. Aussi, tous les magasins vendeurs de Timbres autour de Adlieh, ont affiché sur leurs vitrines extérieures : "nous ne vendons pas de Timbres". Bande de salauds.

    Esber

    00 h 30, le 18 mai 2022

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