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Campus - PARTIS ALTERNATIFS

Face au pouvoir traditionnel, des jeunes crient haut et fort leur activisme politique

Depuis le soulèvement d’octobre 2019, et avec l’exacerbation de la crise économique, nombre d’étudiants ont commencé à soutenir des mouvements ou des partis politiques non traditionnels, dont certains sont issus de la contestation.

Face au pouvoir traditionnel, des jeunes crient haut et fort leur activisme politique

Judy Abdelrahmane. Photo DR

La dynamique qui a animé les rues en 2019 semble n’être pas complètement éteinte. Si beaucoup ont quitté le pays, si d’autres se sont résignés ou s’ils ont perdu tout espoir, certains ont décidé de s’engager activement auprès de mouvements ou de partis politiques qui les représentent, en lesquels ils croient. D’autant plus avec l’approche des élections législatives. Leur objectif ? Effectuer un changement, même sur le long terme, et apporter une alternative à la classe politique actuelle, longtemps au pouvoir. Les principes qui les animent sont multiples, à l’image de la complexité des problèmes de notre pays : de la réforme du système politique à la lutte contre la corruption, en passant par les droits des femmes et des minorités, la protection sociale ou la sauvegarde de l’environnement.

Manar Sleiman. DR

Manar Sleiman, Farah Darwish et Charbel Chaaya sont membres de Mada, un réseau politique formé d’étudiants, réunissant des clubs laïcs de plusieurs universités et syndicats au Liban. Si Charbel Chaaya, 21 ans, y a adhéré en 2019, c’est que cet étudiant en master 1 de droit à l’Université Saint-Joseph (USJ) s’est identifié à ses principes : « La laïcité et donc la séparation entre la religion et l’État, la démocratie participative selon laquelle tous les individus contribuent aux prises de décision que ce soit en interne ou au niveau du pays, ainsi que la justice sociale qui fait qu’un État prestataire assure aux citoyens la couverture médicale, le logement et l’enseignement », note-t-il.

Farah Darwish. Photo Joumana Saade

Manar Sleiman, qui complète sa 4e année en architecture avec une mineure en design graphique à l’Université Notre-Dame de Louaizé (NDU), confie avoir grandi dans un environnement sectaire. « Cela m’a fait voir que la racine de tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés dans notre pays aujourd’hui est le confessionnalisme », déplore-t-elle. Cette étudiante de 22 ans estime avoir pu exprimer ses valeurs à travers Mada et le club laïc de son université dont elle est l’actuelle présidente, « tout en croyant fermement au féminisme et en soutenant les communautés marginalisées ». Membre de ce réseau depuis sa création en 2018, la jeune femme dit croire « fermement que grâce à ces valeurs, nous pouvons atteindre une société dans laquelle les humains sont libres d’être ce qu’ils sont et de voir leurs droits établis ».

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Étudiante de dernière année en relations publiques à la Lebanese International University (LIU) et membre fondateur du club laïc de cette université, Farah Darwish, 26 ans, soutient que Mada, qu’elle a rejoint en 2019, « offre à chaque individu un espace sûr pour exprimer librement ses opinions, indépendamment de son identité », alors que « les partis traditionnels sont racistes, homophobes, transphobes ». Un constat partagé par Manar Sleiman qui confirme que Mada a le mérite « d’accepter les gens pour ce qu’ils sont ». Ce qui différencie en outre ce mouvement des partis traditionnels, « c’est la présence des femmes au premier plan, ainsi qu’un processus interne démocratique », poursuit-elle. Quant à Farah Darwish, elle estime que Mada s’est toujours positionné contre « les forces traditionnelles au pouvoir, contre l’hérédité politique, le clientélisme ou la corruption ». Enfin, Charbel Chaaya souligne que « ce qui distingue Mada, c’est que le réseau est formé de jeunes, et qu’il a été lancé à l’origine au sein des universités, avant d’entreprendre le travail politique effectif en dehors des campus. Mada travaille également au niveau de la base, des citoyens, et leur donne la parole pour qu’ils expriment eux-mêmes leurs priorités », ajoute-t-il.

Raghid Awdeh. Photo Hussein Ghandour

L’environnement, une autre urgence pour ces jeunes

Dans la même perspective, Mohamad el-Darwich, étudiant de 3e année à la faculté des sciences politiques de l’Université libanaise (UL), considère que LiHaqqi, dans lequel il s’est investi en 2019, est un « mouvement politique dont l’approche ascendante populaire remplace l’approche patriarcale descendante traditionnelle des partis politiques conventionnels ». C’est en effet la politique basée sur l’horizontalité qui intéresse Raghid Awdeh, militant dans LiHaqqi depuis 2 ans. Pour cet étudiant de 20 ans, en 1re année de journalisme à l’UL, « c’est l’essence même du travail. Le système de LiHaqqi n’est pas hiérarchique, et c’est le travail participatif qui fait qu’on arrivera à atteindre nos objectifs ». Sur un autre plan, c’est également les principes de justice sociale et de laïcité, mais aussi ceux d’intersectionnalité et de décentralisation, prônés par LiHaqqi, qui ont principalement attiré Mohamad el-Darwich. « L’autre face de la crise climatique est l’inégalité croissante des richesses, car les intérêts économiques des plus riches prennent le pas sur les moyens de subsistance de milliards de personnes dans le monde. Nous ne pouvons pas dissocier la crise climatique de la crise des inégalités croissantes. LiHaqqi offre donc le bon cadre à travers lequel nous pouvons traiter le problème », explique-t-il. La question environnementale est ainsi à la base de son activisme. « Le changement climatique est le problème existentiel auquel notre génération est confrontée », justifie le jeune homme.

Navia Ghawi. DR

Engagée avec le Parti vert du Liban depuis presque 6 ans, Navia Ghawi, 26 ans, affirme, elle aussi, militer pour « arrêter le changement climatique. Si ce n’est pas nous, ce sera qui ? Si ce n’est pas maintenant, ce sera quand » ?

Cette étudiante de 4e année en sciences de la santé publique et du développement, avec une mineure en nutrition, à l’Université de Balamand, précise que le Parti vert considère que lutter pour l’environnement et le développement durable signifie vouloir réaliser l’unité entre l’homme et la nature, tout en soutenant la modernité, à condition qu’elle ne perturbe pas l’équilibre des systèmes naturels. Navia Ghawi indique d’ailleurs que « le Parti vert est le seul au Liban qui travaille activement à la protection de l’environnement et qui participe efficacement à des projets qui s’opposent à la détérioration de la nature ». En parallèle, pour cette militante, le principe de la non-violence que prône le parti est essentiel aujourd’hui, « s’appliquant à toutes les formes de violence, de terrorisme et de guerre, et toutes les formes d’intimidation et de domination ».

Raja Assaf. Photo Sarah Aoun

Raja Assaf 22 ans, 2e année en sciences politiques à l’USJ, a rejoint le parti Taqaddom quelques mois avant les élections législatives. Soucieux de « l’amélioration des secteurs de la santé et de l’éducation, du développement de la sécurité sociale, de la protection des droits de l’homme, de la résolution des problèmes environnementaux », il affirme que ces principes figurent parmi les objectifs de cette formation. Ce qui l’intéresse surtout, c’est que Taqaddom vise en plus « d’arrêter l’effondrement financier et de rechercher la vérité sur l’explosion du 4 août », de même qu’à établir « la souveraineté nationale, reprendre le gouvernement des mains des groupes armés qui ne visent que le pouvoir pour faire avancer leurs propres agendas, et instaurer un nouveau gouvernement plus fort ». Raja Assaf rappelle également les promesses non tenues des politiciens au pouvoir et la situation désastreuse du pays aujourd’hui. « Il est donc temps de changer la dynamique, insiste-t-il. Et en ce moment, ce que Taqaddom propose, ce sont des politiciens qui travaillent pour le peuple. »

Najib Hmedeh. Photo Farah Nasser

Un État civil pour reconstruire le pays

Par ailleurs, Najib Hmedeh, Judy Abdelrahmane et Jad Sleilaty, membres de Citoyens et Citoyennes dans un État (MMFD), estiment urgents les axes sur lesquels travaille ce parti. « MMFD est un parti non idéologique qui promeut les droits au lieu d’encourager la loyauté aux chefs et aux sectes », souligne ainsi Najib Hmedeh, 20 ans, étudiant de 3e année en comptabilité à la LAU. Membre de MMFD depuis 2021, il estime qu’il n’y a pas de vrais partis politiques au Liban. « Nous avons des sectes et des leaders qui prennent des décisions basées sur l’intérêt de leurs partisans. En revanche, MMFD est un parti politique dans le vrai sens du terme. » Jad Sleilaty, 24 ans, en 2e année en sciences politiques à l’UL, évoque la vision de MMFD qui appelle à un État civil. « Nous ne sommes pas un parti sectaire, nous sommes présents partout au Liban. Nous voulons montrer aux gens qu’il existe une alternative, qu’il existe une autre façon de penser, d’agir, de voir les citoyens, autrement que par leur secte et par leurs noms ». C’est pour le projet de reconstruction du pays que propose MMFD et sa « vision claire » que Judy Abdelrahmane, 20 ans, étudiante en 3e année de droit à l’UL, a adhéré à ce parti, il y a plus de 2 mois. « Ses propositions ont toujours visé l’ensemble de la population et bénéficient à chacun des citoyens. » Pour elle, la gratuité de la couverture médicale et de l’éducation est une proposition prioritaire. « On voit combien il devient difficile de se faire soigner dans un hôpital ou d’acquérir une bonne éducation. Le secteur éducatif est devenu marginalisé et a été affaibli », rappelle-t-elle. Jad Sleilaty relève ainsi l’importance de travailler sur les politiques publiques, principes inclus dans le programme de MMFD. « Lorsque vous créez un filet de sécurité sociale, une partie de la population voudrait rester dans le pays et cela affecterait le changement démographique », précise ce diplômé en génie civil de l’Université de Balamand, membre de MMFD depuis 2020.

Juri Younes. Photo Mariam Younes

« La laïcité, l’égalité entre les sexes, la cause des minorités, la justice sociale et la non-violence comme moyen pour réaliser le changement », tels sont les principes qui ont incité Juri Younes, 22 ans, à adhérer au mouvement Tayar el-Moujtama el-Madani (Le courant de la société civile). Cette étudiante en droit à l’UL souligne que ce mouvement politique et sociétal est « libre de tout lien confessionnel et géographique, et ne fait aucune distinction entre les hommes et les femmes », plaçant « l’humain et sa dignité » au cœur de ses valeurs.

Nader Akoum. Photo Élie Abi Acar

Partisan de Madinati, Nader Akoum, 24 ans, apprécie non seulement la lutte du parti contre la corruption, la transparence au niveau de la gouvernance ou la laïcité, mais aussi « son refus de dialoguer avec la classe corrompue. Ce parti ne fait pas l’apologie du Hezbollah », affirme cet étudiant de master en architecture avancée à l’Institut d’architecture avancée de Catalogne, à Barcelone. Diplômé en architecture de la LAU, celui-ci assure que, étant contre le système patriarcal, « Madinati n’a pas peur de défendre des valeurs même si elles sont controversées », comme la protection des droits des minorités, des femmes et de la communauté LGBTQ. « Leur intrépidité est quelque chose que l’on ne retrouve pas dans d’autres partis politiques, et c’est ce que j’apprécie », avoue ainsi Nader Akoum qui a adhéré à ce parti en 2020.

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Convaincus que le changement ne se fera qu’à travers une lutte de longue haleine qui verrait ces valeurs et principes appliqués, du moins en partie, ces étudiants ont accepté le défi, et se sont investis dans le travail de sensibilisation, d’organisation ou de mise en place des actions des partis ou mouvements dont ils sont membres. Parfois au point de se rebeller contre leurs proches, comme dans le cas de Raghid Awdeh. « Ma famille a toujours soutenu un certain parti au pouvoir. J’ai voulu à l’inverse m’engager pour des principes qui prônent le changement », note-t-il. Car l’enjeu est de taille. Refusant d’être un témoin passif de « l’effondrement économique, l’instabilité politique dans le pays et la mauvaise prise en charge de l’affaire de l’explosion du 4 août », Raja Assaf a réalisé qu’il était « clairement temps de changer » la donne. Il en va de même pour Jad Sleilaty, lui qui était persuadé de l’impossibilité « de changer le système ». Ses convictions ont évolué avec le temps, sa vision de la politique aussi. « Je n’étais plus prêt à accepter la réalité comme j’en avais l’habitude », avoue-t-il. Avec l’essoufflement du mouvement de contestation et la crise galopante qui a fini par étouffer la population, Najib Hmedeh ne cache pas qu’il désespérait. « Je perdais tout sens à ma vie. Le travail politique m’a redonné ce sens. Il m’a incité à imaginer un autre monde », se rappelle-t-il. Judy Abdelrahmane confie que c’est son patriotisme qui l’a poussée à adhérer au travail politique. « Je n’ai pas pu supporter de voir mon pays s’écrouler, de l’abandonner ou de le laisser aux mains du pouvoir corrompu qui a perdu désormais sa légitimité. J’ai donc pris la décision de faire partie de la confrontation. Car je dois beaucoup à mon pays. J’y ai grandi et je compte y rester. Mon devoir est de le sauver », conclut cette étudiante.



La dynamique qui a animé les rues en 2019 semble n’être pas complètement éteinte. Si beaucoup ont quitté le pays, si d’autres se sont résignés ou s’ils ont perdu tout espoir, certains ont décidé de s’engager activement auprès de mouvements ou de partis politiques qui les représentent, en lesquels ils croient. D’autant plus avec l’approche des élections législatives. Leur...

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CRIER ET SE PLAINDRE NE SERVENT A RIEN. LES ACTES SEULS COMPTENT ET PEUVENT CHANGER LA DONNE.

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 34, le 12 mai 2022

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Commentaires (1)

  • CRIER ET SE PLAINDRE NE SERVENT A RIEN. LES ACTES SEULS COMPTENT ET PEUVENT CHANGER LA DONNE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 34, le 12 mai 2022

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