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Nos Lecteurs ont la Parole

L’art de rester chez soi

S’il vous vient généralement à l’esprit des images plus ou moins réjouissantes que seuls les sexagénaires ou les octogénaires aiment rester chez soi, ce n’est pas toujours exact. C’est tout un art que de savoir rester chez soi. Et nombreux parmi nous sont ceux qui, lassés de visites sans objet, de bridges trop répétés, de déplacements fatigants et sans but précis, aimeraient bien rester chez eux. Il nous manque simplement de savoir nous organiser pour y prendre plaisir.

Le genre de notre demeure, ses dimensions, sa splendeur, tout cela a peu d’importance. On n’a pas besoin de résider sous les voûtes d’un château pour vivre agréablement. Il ne saurait davantage être question de règles solidement établies. Certains prétendent que l’apparat est d’un grand secours ou que le respect des usages confère à la routine journalière une certaine dignité. Nous avons tous peut-être rencontré dans l’auberge d’un petit village de la montagne un courtier en retraite seul à table, en costume : c’était là son habitude, il avait l’impression que d’être ainsi en grande tenue donnait plus de valeur aux petites choses de la vie. Ou connu un jeune couple installé chez lui devant la télé regardant des émissions de jeux. Ou visité une famille qui apprécie d’écouter de la musique d’accordéon. Ou cet autre foyer où les membres de la famille trouvent un grand plaisir à lire, même des encyclopédies médicales.Des habitudes de ce genre cependant ne sont pas que des pis-aller. L’essentiel est d’abord de comprendre que notre maison est notre domaine, le refuge où nous sommes libres d’agir à notre guise. De toute évidence, le premier grand pas dans l’art d’apprendre à rester chez soi est le plaisir extrême qu’on partage avec notre conjoint ou les autres membres de la famille.

Pour le temps que nous nous réservons à nous-mêmes, il nous faut un horaire aussi rigide que pour celui de nos rendez-vous : nous devons nous y tenir à tout prix. Ce n’est pas enfreindre la vérité, quand on nous demande si nous sommes pris ce soir, de répondre « oui », ne serait-ce que parce que nous avons simplement l’intention de lire le bouquin qui nous attend depuis six mois. On peut même gentiment faire entendre à ses amis qu’il y a des soirs où « l’on n’y est pour personne, si ce n’est pour nous-mêmes ». Ces soirées-là sont tout aussi importantes que les autres ; on peut même dire qu’elles ajoutent aux autres une saveur illimitée.

Si nous ne passons pas tous nos jours et toutes nos nuits en public, en tout cas nous sommes toujours en train de nous y préparer ou de nous en remettre. La société manque souvent d’intérêt : nous nous rencontrons à intervalles très rapprochés, sans avoir le temps d’acquérir les uns pour les autres une valeur nouvelle. Pour que ces rencontres réitérées soient tolérables, il faut se mettre d’accord sur un certain nombre de règles, celles qui constituent l’étiquette et la politesse.

Aussitôt que le foyer est devenu notre refuge, une transformation s’opère dans notre activité. Tout naturellement surgit la volonté d’être soi-même. On commence à mesurer la joie de la retraite volontaire, celle de prendre le voile dans la tranquillité de son chez-soi. Cette attitude ne comporte rien d’antisocial.

À l’égard de la société, le premier devoir est d’être quelqu’un, c’est-à-dire soi-même. Et nous ne pouvons être nous-mêmes que si nous sommes assez souvent seuls.

Le premier résultat concret de la présence à la maison, faire ce que nous avions projeté depuis longtemps : tel ménage peut mettre sur pied l’itinéraire d’un voyage projeté ; classer des photographies prises aux jours de libres vagabondages ; apprendre à manipuler l’ordinateur et internet comme nous l’avons toujours désiré ; se consacrer au jardinage ; écrire des articles ou un livre ; dessiner ; ou bien encore sculpter.

La solitude n’est pas nécessairement austère. On a beaucoup vanté des lectures qui, répondant à une intention déterminée, visent un but élevé, mais on peut également lire pour se distraire, pour se cultiver. Une lecture, pour récréative qu’elle soit, n’implique pas qu’elle soit creuse. J’imagine fort bien que, pour se distraire, on lise des ouvrages encyclopédiques ou des romans, ou bien encore, on meuble une nouvelle bibliothèque

Nous devons admettre que l’art de rester chez soi est assez important pour mériter un essai. Si nous le cultivons, il nous aidera à consolider notre vie familiale, équilibrera notre pensée, nous fortifiera, développera notre sérénité et la possibilité que nous avons de nous suffire à nous-mêmes. Heureux celui qui a suffisamment simplifié ses goûts pour qu’un bon livre au coin du feu en hiver, en une soirée tranquille, ne soit ni une tâche à répétition ni un signe de l’âge, mais un choix, la marque de la sagesse, de l’humilité et du raffinement.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

S’il vous vient généralement à l’esprit des images plus ou moins réjouissantes que seuls les sexagénaires ou les octogénaires aiment rester chez soi, ce n’est pas toujours exact. C’est tout un art que de savoir rester chez soi. Et nombreux parmi nous sont ceux qui, lassés de visites sans objet, de bridges trop répétés, de déplacements fatigants et sans but précis, aimeraient...
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