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Société - Interview

Olivier De Schutter est « sidéré par les conditions de vie dans un pays qui a tant de richesses »

Le rapporteur spécial des Nations unies sur la pauvreté extrême et les droits de l’homme clôturait vendredi une visite de deux semaines auprès des populations les plus défavorisées du Liban.

Olivier De Schutter est « sidéré par les conditions de vie dans un pays qui a tant de richesses »

Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, lors de son interview avec « L’Orient-Le Jour ». Photo A.M.H.

Il est allé à la rencontre des plus miséreux à Tripoli, Baalbeck, Bourj Hammoud, Beyrouth, Akkar et dans la Békaa. Ces femmes sans ressources vivant dans des conditions insalubres, ces enfants déscolarisés par manque de moyens, ces personnes handicapées souffrant de discrimination, ces réfugiés syriens et palestiniens interdits d’exercer tant de métiers, ces employées de maison migrantes privées de liberté par le système du parrainage (kafala), ces apatrides qui n’ont accès à rien par manque de papiers, ces populations encore plus appauvries par l’accumulation des crises au Liban, « abandonnées par un État pas encore failli, mais en voie de faillir »...

Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur la pauvreté et les droits de l’homme, a clôturé vendredi une visite de deux semaines au Liban à l’invitation des autorités et sur sollicitation de l’ONU. À l’issue d’une conférence de presse à Beyrouth, à l’hôtel Radisson Blu Martinez, il livre à L’Orient-Le Jour les points forts de son séjour. Et quitte le pays du Cèdre, « touché par l’impact sur les enfants » d’une crise libanaise aux multiples facettes. « Ces enfants sont confrontés aux problèmes des adultes, à l’incapacité de leurs parents de les envoyer à l’école parce qu’ils n’ont tout simplement pas les moyens de leur payer des cahiers », gronde-t-il.

L'édito de Issa GORAIEB

Langue de feu et langue de bois

« 400 000 enfants sont ainsi privés d’école cette année », se désole M. De Schutter, qui se dit « sidéré par les conditions de vie des gens dans un pays qui a tant de richesses et de ressources naturelles, un climat chaud et agréable, une population hautement éduquée ». Et si les autorités ont mis en place le Programme national de ciblage de la pauvreté, qui accorde 126 dollars à chacune des 36 000 familles dans la grande misère, « seuls les plus connectés politiquement en bénéficient, comme le rapportent des personnes démunies ».

Réalité des gens et discours officiel

Quant aux petits réfugiés syriens, ils font face à des obstacles encore plus grands. « Ceux qui suivent les programmes scolaires spéciaux dispensés l’après-midi dans les écoles publiques ont accès à un enseignement de moindre qualité et subissent l’absentéisme des enseignants », dénonce le rapporteur. Nombre d’entre eux n’ont pas même cette possibilité. « Les enfants non enregistrés auprès des autorités libanaises ne sont pas admis dans ces classes, racontent leurs parents. Il ne leur reste plus pour s’instruire que les associations humanitaires qui dispensent un enseignement sans diplôme, donc peu attractif. »

Ce qui désole encore plus l’expert, c’est la dualité dans les discours. D’une part, la réalité de familles en détresse abandonnées par l’État, alors que la crise les a rendues encore plus vulnérables. D’autre part, le discours des autorités qui s’obstinent à dire que les programmes d’aides ciblent effectivement les populations les plus pauvres. « Cette dualité est la preuve que la réalité des gens diffère du discours officiel », relève Olivier De Schutter. Résultat : la population a retiré sa confiance aux autorités. Et cette « crise de confiance, la plus importante », s’ajoute aux quatre crises convergentes que traverse le pays, comme il le soulignait lors de sa conférence de presse de la veille : une crise de réfugiés depuis 2011, un effondrement de la livre libanaise associée à une augmentation dramatique des prix, une pandémie de Covid-19 et enfin l’impact de la double explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020, qui a coûté la vie à 219 personnes et mis au chômage 70 000 travailleurs.

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Mettre fin à l’appauvrissement de la population doit nécessairement passer par les réformes dans les secteurs de l’électricité, de la fiscalité, du droit de tous au travail (même les réfugiés), etc. Des réformes qui permettront de financer « l’amélioration de la protection sociale, la santé, l’éducation, des transports publics », affirme le représentant onusien. Il est donc impératif d’envisager notamment une « politique fiscale plus équitable », des tarifs progressifs d’électricité qui seraient « solidaires des plus démunis » ainsi qu’une « révision du salaire minimum ».

Le Liban ne peut plus continuer à mendier l’aide internationale

Le rapporteur spécial se veut optimiste. Ses rencontres avec les ministres de la Santé Firas Abiad, des Affaires sociales Hector Hajjar et du Travail Moustapha Bayram étaient « encourageantes ». Il y a décelé des « marques de bonne volonté » concernant la suppression de la kafala, la hausse du salaire minimum ou l’amélioration des filets sociaux, à titre d’exemples. Les discussions avec le Fonds monétaire international semblent aller dans le bon sens, observe-t-il aussi. Les pertes du secteur bancaire devraient être assumées selon lui par les actionnaires et les gros déposants. « Les personnalités politiques avec lesquelles j’ai discuté m’ont affirmé y être favorables, souligne-t-il. Elles ont sans doute compris l’impatience qui croît au sein de la population. » Une impatience qui, espère-t-il, « ne tournera pas à la violence ».

En même temps, l’agacement envers les autorités libanaises transparaît dans les propos d’Olivier De Schutter. Un agacement lié « aux réactions des responsables, systématiquement les mêmes ». « Ils réclament des aides financières à la communauté internationale et mettent l’effondrement sur le dos des réfugiés syriens », gronde-t-il, estimant qu’« en temps de crise, trouver un bouc émissaire est devenu un jeu classique ». Sauf que le Liban ne peut plus continuer à mendier l’aide internationale. « Il doit cesser de se bercer d’illusions et de reporter les réformes sous prétexte que la communauté internationale va lui fournir des aides », martèle M. De Schutter.

Au cœur de ce report constant des réformes que dénonce le rapporteur onusien, un problème encore plus profond l’interpelle. L’« incapacité du gouvernement à travailler en équipe et à se réunir », suite au conflit qui divise ses membres sur la question du juge Tarek Bitar chargé de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth (notamment en raison de l’insistance des ministres proches du tandem chiite d’Amal et du Hezbollah à voir déboulonner le juge qu’ils accusent de « politiser » l’enquête). « Je constate combien le sectarisme bloque les réformes », déplore-t-il, invitant le Premier ministre Nagib Mikati « à exercer son autorité pour faire travailler ensemble son cabinet ministériel ».

De blocage en blocage, « le Liban est en train de devenir la République des ONG », constate Olivier De Schutter. « Ce n’est ni durable ni souhaitable, c’est même une spirale négative, car l’État perd toute légitimité et la population tout comportement civique. »

Il est allé à la rencontre des plus miséreux à Tripoli, Baalbeck, Bourj Hammoud, Beyrouth, Akkar et dans la Békaa. Ces femmes sans ressources vivant dans des conditions insalubres, ces enfants déscolarisés par manque de moyens, ces personnes handicapées souffrant de discrimination, ces réfugiés syriens et palestiniens interdits d’exercer tant de métiers, ces employées de maison...

commentaires (12)

M. Olivier de Shutter. Soit vous mettez en place un processus pour que les réfugiés rentrent chez eux. Soit vous mettez en place un processus pour que les réfugiés aillent chez vous. Soit vous dégagez de chez nous. Notre priorité, c'est sauver le Liban. Bon retour et merci.

Mago1

16 h 02, le 15 novembre 2021

Tous les commentaires

Commentaires (12)

  • M. Olivier de Shutter. Soit vous mettez en place un processus pour que les réfugiés rentrent chez eux. Soit vous mettez en place un processus pour que les réfugiés aillent chez vous. Soit vous dégagez de chez nous. Notre priorité, c'est sauver le Liban. Bon retour et merci.

    Mago1

    16 h 02, le 15 novembre 2021

  • Monsieur De Schutter, vous avez gavé nos crapules en octroyant au gouvernement libanais des sommes importantes d’argent sans aucune contrepartie et sans aucun contrôle. Et maintenant vous venez constater ce que les libanais intègres ont déjà constaté il y a des années. 1 million 500 milles réfugiés syriens sans compter les palestiniens pour une population de presque 4 millions !!!!!! Supporteriez vous cela chez vous? Merci

    Karam Georges

    13 h 54, le 15 novembre 2021

  • On prend ce dernier client et on ferme. Il s’entend parler ce Monsieur qui vient pleurer sur le sort de notre pays mais l’accable de tous les maux en défendant les droits des réfugiés qu’ils ont refusé de recevoir chez eux pour les enraciner chez nous avec des aides et des faveurs auxquelles les citoyens libanais n’ont pas accès et veut en plus qu’on les favorise en leur assurant des emplois et des privilèges alors que le taux de chômage a explosé dans notre pays au lieu de faire pression sur Assad leur président pour qu’il daigne leur permettre de rentrer chez eux et exiger dans le cas où il refuse la proposition qu’un camp édifié pour les recevoir sur leurs terres vastes. Mais ils se sont tous alliés pour enfoncer encore plus ce pays et viennent nous donner de leçons d’hospitalité et de générosité alors que des mur en béton et des barbelés se dressent sur leurs frontières pour empêcher la venue de tout intrus non désiré? Ils nous prennent pour des oies qu’on gave avec de belles paroles et de promesses mensongères parce que nos dirigeants n’ont pas le courage d’exiger comme le fait Erdogan et les autres le départ sans conditions en refoulant tous ces gens à leurs frontières parce le pays ne pas subvenir déjà aux besoins de ses citoyens et on vient le lester de quelques millions d’individus non désirés prétextant alléger notre pays en leur versant un salaire. Mais ils oublient que l’eau, l’électricité et les denrées qui manquent cruellement aux citoyesont consommés par eux.

    Sissi zayyat

    12 h 29, le 15 novembre 2021

  • Sidérant qu’il ne suggère pas une solution viable pour nous aider à rapatrier tous ces réfugiés ( provisoires) chez eux. Voilà comment vous pouvez nous aider concrètement si vous avez un minimum de compassion, cher monsieur.

    Wow

    12 h 16, le 15 novembre 2021

  • L'arrogance et l'hypocrisie ne sont pas exclusives a nos crapules a nous ! ce mr nous "eclaire" sur nos miseres de facon a nous culpabiliser alors que ce forum d'ONU qu'il represente est la pour...pour justement pas plus: decrire des cas et des situations dans le monde. mais venir en aide, pr ex au Liban ? il ose parler de refugies syro palestiniens a quion REFUSE des emplois? on ne luis a pas explique a ce pti C.. que les libanais eux memes ne trouvent plus du travail entre autre a cause de ces refugies -cheap labour-? mais le mec a vraiment du toupet ! qu'il oblige assad et israel de rapatrier ces "pauvres" refugies au lieu de nous sermonner. mais bon il faut bien meriter son salaire mirobolant quoi quitte a dire des conneries.

    Gaby SIOUFI

    09 h 21, le 15 novembre 2021

  • SIDERE N,EST PAS LE MOT. ON EST SIDERE PAR DES EXPLOITS ET DES PERFORMANCES AVANTAGEUSES. ICI IL DOIT ETRE DESENCHANTE ET ECOEURE PAR CE QU,IL A CONSTATE ET VU.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 40, le 15 novembre 2021

  • "la réalité des gens diffère du discours officiel". Il est étonnant qu'il s'en étonne! Dans tous les pays du monde, mais sans doute, tout particulièrement au Liban, le "discours officiel" n'a jamais eu d'autre but que de masquer la réalité.

    Yves Prevost

    08 h 01, le 15 novembre 2021

  • Encore un donneur de leçon de morale alors qu’il applique dans don pays le contraire de ce qu’il prône ici. Bien qu’il n’ait pas tort sur le discours ambigu de ce qui s’appelle les autorités libanaises, il n’a qu’à prendre les réfugiés dans son pays au lieu de déplorer leurs conditions de vie. L’Europe laisse honteusement stationner à sa frontière polonaise des centaines de migrants dans le froid, la faim, la soif et la misère et ils se permettent de donner des leçons aux autres. Il est vraiment révolu le temps où les européens venaient cacher leur argent dans les banques libanaises fuyant le fisc de leurs pays

    Lecteur excédé par la censure

    07 h 31, le 15 novembre 2021

  • Bravo 'Tus dehors",pour votre bon commentaire! Oui,Fichez nous la paix, UN, et allez aider ailleurs les migrants et les pauvres !

    Marie Claude

    07 h 23, le 15 novembre 2021

  • Allez-y, proposez une aide plus importante aux pauvres réfugiés de toute nationalité pourvu qu'ils n'aillent pas ailleurs... n'est ce pas ce que vous etes venus faire??? Les refugies comme vous le disiez etaient rassembles par dizaines a l'heure du repas dans une sandwicherie renommee, mangeant leur sandwich a 50000 LBP par lots de 2 ou 3 chacun, un luxe qu'un libanais passé sous le seuil de la pauvreté ne peut se permettre. Mais c est bien ce que vous voulez. Alors ne nous parlez pas de bouc émissaire. Nos pays voisins ont des terres calmes et de superficie énorme ou il n'y a aucune guerre, creez a leurs ressortissants des villages la bas, construisez leur des ecoles et des commerces et assurez leur une vie digne chez eux. Et laissez nous tranquilles ici avec vos lecons et vos constatations dont personne n est dupe. Car pour nous cela est de la discrimination pure si vous parlez ce langage.

    C EL K

    05 h 59, le 15 novembre 2021

  • IL CONSTATE, ET APRÈS ? LES NATIONS UNIS VONT OBLIGER LE HEZBOLLAH À RENDRE SES ARMES ? MON OEIL OUI. TITI TITI MITEL MA RIHTI MITEL MA JITI. AU REVOIR MONSIEUR LE REPRÉSENTANT EN TOURISTE.

    Gebran Eid

    01 h 29, le 15 novembre 2021

  • Il a vu aussi les conditions des libanais qui cachent leur misere, de ceux qui vivent grace aux associations, des sinistres du port, ou seulement les conditions de vie des étrangers au Liban

    Patrick

    00 h 15, le 15 novembre 2021

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