Olivier De Schutter, bienvenue dans le Livre d’or d’un peuple libanais que ses propres dirigeants ont froidement, impitoyablement, crapuleusement, criminellement, mis sur la paille.
Il y a peu pourtant, et malgré son grand renom, bien peu de citoyens de ce pays avaient entendu même parler de ce juriste belge passionné de droits de l’homme et qui, pour cette raison, a fait partie de divers organismes humanitaires internationaux. Rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté, chargé de faire des recommandations aux gouvernements, Olivier De Schutter achevait hier sa mission au Liban. L’expert a fait bien davantage cependant que de prodiguer, en aparté, conseils, reproches ou même remontrances, aux hauts dirigeants locaux qu’il a rencontrés. Ses impressions, son effroi, son indignation, il en a tenu à les exprimer dans une conférence de presse. Des scènes inimaginables dans un pays comme le Liban, un pouvoir inactif et manquant à ses obligations envers la population, un temps précieux perdu, un État potentiellement défaillant : le rapporteur de l’ONU n’a pas mâché ses mots pour stigmatiser l’impardonnable inertie des gouvernants face à une crise sans précédent. Sera-t-il davantage entendu que les nombreux présidents et ministres étrangers qui, publiquement eux aussi, ont dit, mais en vain, leurs quatre vérités aux dirigeants libanais ? Sans doute pas, car il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Mais du moins l’envoyé de l’ONU s’est-il gagné l’admiration et la gratitude des Libanais plongés dans la misère par ceux-là mêmes qui les gouvernent ; rien que son franc-parler change fort opportunément des flots d’insanités officielles – débitées en langue de bois à l’oral, ou par tweet à l’écrit – dont on nous abreuve à longueur de semaine…
Vous voilà donc à essayer de déchiffrer ce qu’a exactement voulu dire hier le ministre de l’Information en évoquant son éventuelle démission. Pour l’homme par qui est arrivé le scandale saoudite (et qui protestait hier des doux sentiments qu’il porte au royaume wahhabite) celle-ci ne serait envisageable que s’il obtenait certaines garanties, dont il s’est gardé de préciser la nature. Quelles pourraient être ces garanties, si ce n’est la promesse d’une levée des sanctions décrétées par Riyad contre le Liban, suite aux propos jugés hostiles du ministre ? Inutile de se triturer les méninges pour trouver, c’est ailleurs qu’il faut chercher le fin mot de l’histoire : chez Hassan Nasrallah, comme vous vous en doutiez bien mais là ce sera plus ardu encore. Du vrai-faux ou du faux-vrai, par exemple, le ton, se voulant apaisant, qu’adoptait la veille, sur ce même dossier, le chef du Hezbollah ? Que dire du refus de toute ingérence, de tout diktat étranger, martelé par une milice qui clame sa propre et totale obédience à l’Iran ? Comment croire enfin le Hezbollah quand il se défend de toute dérive hégémonique alors qu’il poursuit de plus belle le phagocytage des institutions ?
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Loin de tous ces faux-fuyants, faux-semblants et artifices en trompe-l’œil qui meublent notre triste quotidien, se dessinent entre-temps les nouveaux contours de la région. Ce remodelage est opéré par petites touches hors de chez nous, autour de nous : sans nous, si ce n’est contre nous. Les amis locaux de la Syrie ont pu voir dans la récente visite à Damas du ministre émirati des AE une éclatante réhabilitation de Bachar el-Assad, prélude à sa réintégration dans la Ligue arabe. Les plus excités sont même allés jusqu’à créditer l’Iran de ce développement ; oubliées pour l’occasion étaient alors les virulentes attaques qui ont visé les dirigeants d’Abou Dhabi quand ils normalisaient leurs relations avec Israël. Or voilà soudain que les mêmes Émirats, et avec eux Bahreïn, mènent depuis trois jours des manœuvres navales conjointes en mer Rouge avec l’État hébreu et les États-Unis, exercice visiblement destiné à dissuader tout aventurisme iranien.
Explications attendues avec la plus grande impatience, avec le prochain discours de Hassan Nasrallah.