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Société - L’infamie du 4 août, un an après

« Je vis dans l’espoir de mourir pour revoir mon fils »

Élias Khoury, 15 ans, filmait l’incendie au port, depuis sa chambre, quand l’explosion l’a soufflé le 4 août 2020. Il est resté 14 jours dans le coma avant de perdre la vie. Rongée par une tristesse incommensurable, sa mère Mireille se souvient.

« Je vis dans l’espoir de mourir pour revoir mon fils »

Mireille Khoury portant la photo de son fils Élias et appelant à ce que justice soit faite. Photo Patricia Khoder

« Je vis comme un automate, c’est comme si je ne vivais pas. Peut-être même ne suis-je restée en vie que pour m’occuper de ma fille. Mais dans mon for intérieur, je suis morte, et je me dis que chaque jour qui passe me rapproche du moment où je vais revoir mon fils. Je vis dans le seul espoir de le retrouver en pensant que toutes les femmes qui perdent un enfant doivent ressentir la même chose. Finalement, je suis quelqu’un qui vit dans l’espoir de mourir et à chaque fin de journée, je regarde le calendrier avec soulagement. » C’est ainsi que Mireille Khoury, la mère d’Élias, tué dans l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, raconte son incommensurable tristesse.

Élève de l’école Jesus and Mary, Élias Khoury, 15 ans, habitait le quartier d’Achrafieh, à une centaine de mètres du port de Beyrouth, entre l’église Saint-Antoine des maronites et le siège d’Électricité du Liban. Grièvement blessé au moment de l’explosion qu’il filmait depuis sa chambre, il est resté dans le coma 14 jours avant de rendre l’âme. Sa mère et sa sœur, ainsi que sa grand-mère et son oncle maternels, qui vivent sur le même palier, ont été blessés.

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Interviewée par L’Orient-Le Jour, au téléphone à sa demande, Mireille Khoury se souvient des minutes qui ont précédé l’explosion. « Je travaillais sur mon ordinateur assise sur mon lit, lorsque Élias est venu me dire qu’un incendie avait éclaté au port de Beyrouth, puis ma fille Nour, 21 ans, l’a suivi et nous nous sommes demandé ce qu’il se passait. Quand nous avons entendu les sirènes des pompiers, Élias est allé dans sa chambre face aux silos pour filmer et envoyer les films à ses amis. Je me suis ensuite levée et j’ai regardé l’incendie de la fenêtre. Mais quand j’ai vu des lumières étranges, au milieu de la fumée, je me suis dit qu’il fallait s’éloigner. Au moment de l’explosion, je me trouvais à côté de la porte m’apprêtant à quitter la chambre. Si Élias n’était pas venu m’informer de l’incendie, je ne me serais jamais levée, peut-être même que je serais morte car le mur de ma chambre s’est effondré sur mon lit », raconte-t-elle.

Attendre un miracle qui n’a pas eu lieu

Mireille évoque les premiers instants après le cataclysme. « Mon mari a réussi à transporter Élias à l’Hôtel-Dieu après avoir tenté sa chance dans plusieurs autres établissements, alors que ma mère et mon frère ont été à l’hôpital Saint-Joseph de Dora. Quant à mon frère, il a reçu un coup de fil d’un ami lui disant ta nièce gît par terre devant l’hôpital Abou Jaoudé à Jal-el-Dib et c’est ainsi que Nour a pu être admise à l’hôpital Serhal de Rabieh. »

C’est à moto, conduite par une personne qu’elle ne connaît pas à l’instar de centaines d’autres blessés du 4 août, que Mireille Khoury a été transportée, sans carte d’identité ou téléphone, à l’hôpital Rizk. Elle y a accédé par une porte secondaire, l’entrée principale étant saturée de morts et de blessés. « J’avais tellement mal que je sentais que j’allais m’évanouir. À une infirmière, j’ai donné mon nom, je lui ai dit que j’étais seule et que toute ma famille a été blessée. Je lui ai d’ailleurs demandé d’appeler les membres de ma famille et je voudrais aujourd’hui la remercier, elle se reconnaîtra », soupire Mireille, qui se souvient de chaque détail de cette journée funeste.

Elle attendra plusieurs heures avant d’être soignée. Blessée au bras et souffrant de plusieurs fractures au dos, elle restera hospitalisée pendant 14 jours.

Son fils aussi. Quatorze jours. C’est la durée pendant laquelle Élias est resté dans le coma 14 jours avant de rendre son dernier soupir. Comme s’il avait attendu le rétablissement de sa mère pour qu’elle puisse prendre part à ses funérailles qui avaient été organisées dans son école, ses camarades de classe en habit du dimanche portant son cercueil.

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« Durant mes 14 jours à l’hôpital, les gens tentaient de me faire comprendre qu’Élias n’allait pas bien. Mais moi, je voulais un miracle. À aucun moment, je n’ai pensé qu’il ne s’en remettrait pas. Tout le monde avait tant prié pour lui, même les gens qui n’avaient jamais mis les pieds dans une église. Quand mon mari me disait Élias ne va pas bien, je lui répondais garde ta foi en Dieu. Quand j’allais lui rendre visite à l’hôpital, je disais aux infirmières : Vous allez voir une lumière divine dans sa chambre et il se réveillera. Mais le miracle n’a pas eu lieu, le Seigneur en a voulu autrement, la sagesse de Dieu est différente de la nôtre », dit-elle.

« J’ai pu lui rendre visite deux fois en allant en ambulance de l’hôpital Rizk à l’Hôtel-Dieu. L’avant-dernière fois, c’était à ma sortie de l’hôpital, j’étais sur une chaise roulante, puis le lendemain je suis repartie à l’hôpital avec mon mari et ma fille. Si j’avais su qu’il s’agissait là du dernier adieu, j’aurais passé la nuit chez lui », ajoute-t-elle. « Certaines personnes perdent leurs enfants, mais au moins leur maison est préservée, ainsi que les affaires de leurs enfants et leurs lits, où ils peuvent dormir pour sentir leur odeur par exemple, mais moi j’ai même perdu cela », dit-elle encore avec calme.

Justice internationale

Mireille Khoury, qui a tout perdu dans l’explosion du port, n’a pas retapé sa maison. Elle habite désormais un autre quartier d’Achrafieh, où son fils l’avait encouragée à déménager avant l’explosion. Elle n’a pas beaucoup d’espoir que l’enquête aboutisse, tout en estimant que les deux juges qui se sont succédé dans cette affaire « ont les mains propres, ont travaillé de tout cœur et fait de leur mieux ». « Dès le début, je me suis tournée vers la justice internationale (avec un collectif de familles de victimes) car les choses finissent toujours en queue de poisson au Liban, et l’enquête n’aboutira pas en l’absence de pression internationale », estime-t-elle.

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« Ceux qui dirigent le Liban pensent à tort que le peuple, le pouvoir et l’argent leur appartiennent. Ils ne se rendent pas compte qu’ils sont payés et donc employés par le peuple. Ce n’est pas à nous d’appeler à la levée de l’immunité parlementaire, des députés qui exercent leur vrai métier doivent protéger les droits du peuple qui a voté pour eux. Ce sont les délégués du peuple auprès de l’État », s’insurge-t-elle. Mireille participe aux manifestations des parents des victimes, tout en restant un peu à l’écart de la foule. Elle tient toujours la même pancarte où l’on peut voir d’un côté l’adolescent souriant et où l’on peut lire de l’autre « Justice for Elias ».

Parlant de son fils, elle dit : « Élias était l’enfant que chaque mère rêvait d’avoir. Il était bon et intelligent. Il aimait tout le monde. Il était poli. J’ai toujours été stricte avec mes enfants, mais je n’ai jamais eu à lui faire beaucoup de remarques pour étudier. » « Mes deux enfants sont le rêve de chaque parent. Je vois le monde à travers eux, quand ils sourient je vois le monde entier me sourire. Quand tous les deux étaient à mes côtés je ne voulais rien d’autre. Que Dieu préserve les enfants de tout le monde », confie-t-elle un peu avant de raccrocher.

« Je vis comme un automate, c’est comme si je ne vivais pas. Peut-être même ne suis-je restée en vie que pour m’occuper de ma fille. Mais dans mon for intérieur, je suis morte, et je me dis que chaque jour qui passe me rapproche du moment où je vais revoir mon fils. Je vis dans le seul espoir de le retrouver en pensant que toutes les femmes qui perdent un enfant doivent ressentir...

commentaires (4)

Votre fils est devenu un ange bienveillant et vous protège à son tour !

Wow

13 h 26, le 02 août 2021

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • Votre fils est devenu un ange bienveillant et vous protège à son tour !

    Wow

    13 h 26, le 02 août 2021

  • Votre histoire me bouleverse et cette injustice sera réparée pour les milliers de familles comme vous auxquelles nos politiques ont brisé vos rêves. Espérant que cette pression viendra de l'étranger au vu de la situation catastrophique du pays. Je suis avec vous par la pensée et la pression que nous exerçons sur les instances internationales. Respect et courage madame.

    TAHA Hicham

    12 h 09, le 02 août 2021

  • On ne peut que prier pour vous Madame car personne ne peut imaginer la souffrance que vous vivez. Que La Sainte Vierge veille sur vous et sur vos proches

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 26, le 02 août 2021

  • Que Dieu vous vienne en aide madame, en tant que parent je n'ose imaginer ce que vous ressentez . Que Dieu vous accorde la justice que vous attendez et vous aide à penser vos plaies.

    rayelie

    07 h 20, le 02 août 2021

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