"L'heure de vérité a sonné". Ces propos ouverts à de multiples interprétations ont été lancés mercredi par Saad Hariri à sa sortie d'un entretien de près d'une demi-heure avec le président Michel Aoun à Baabda. En provenance du Caire, le Premier ministre libanais désigné a présenté au chef de l'Etat une nouvelle mouture de 24 ministres. M. Hariri a dit attendre une réponse demain de la part de M. Aoun concernant sa proposition, "afin de pouvoir agir en conséquence", alors que le PM désigné envisagerait sérieusement de se récuser après plusieurs mois de blocage politique.
"Demain nous serons fixés"
Saad Hariri, tout juste rentré d'une visite au Caire lors de laquelle le président égyptien, Abdel Fattah el-Sissi, lui a apporté son soutien et lui aurait demandé de ne pas jeter l'éponge, est arrivé à Baabda avec une enveloppe dans la main contenant la mouture en question. "J'ai présenté au président de la République une mouture de 24 ministres spécialistes, en accord avec la feuille de route française et l'initiative du président du Parlement, Nabih Berry", a déclaré M. Hariri, le visage fermé, aux journalistes qui l'attendaient à sa sortie de l'entretien avec M. Aoun. "Un tel gouvernement, à mon avis, est capable de stopper l'effondrement dans le pays, et je souhaite une réponse du président Aoun demain afin de pouvoir agir en conséquence", a lancé le chef du courant du Futur. "Cela fait neuf mois que nous tentons de former un gouvernement et le temps de vérité est arrivé. Si Dieu le veut, demain nous serons fixés", s'est contenté d'ajouter le PM désigné, sans évoquer la question de sa possible récusation ni répondre aux questions des journalistes. Une interview télévisée avec le Premier ministre désigné est attendue jeudi soir.
Le Liban est sans gouvernement actif depuis août 2020, après la démission du cabinet de Hassane Diab intervenue dans la foulée de la double explosion dans le port de Beyrouth. Saad Hariri avait été désigné en octobre et il est depuis empêtré dans un imbroglio politico-personnel avec le chef de l'Etat et son camp politique, dirigé par son gendre Gebran Bassil. La mise sur pied d'un cabinet est pourtant cruciale pour mettre en œuvre des réformes, condition sine qua non à des aides internationales qui permettraient d'aider le Liban à se sortir d'une crise profonde, marquée par une hyperinflation, la paupérisation de la moitié de la population et des pénuries de produits de première nécessité. Le 22 mars dernier, M. Hariri avait transmis à M. Aoun une mouture d'un cabinet de 18, comportant les noms des ministrables et leurs confessions, à laquelle ce dernier n'avait pas donné suite. Les deux hommes s'opposent sur les prérogatives de chacun en matière de formation et sur le tiers de blocage que le camp du président est accusé de vouloir s'assurer. Le président Berry, soutenu par le leader druze Walid Joumblatt, avait tenté de débloquer l'impasse en proposant une initiative qui repose sur un cabinet de 24 ministres sans tiers de blocage.
"Ni refus ni accord"
La réaction de la présidence à la visite de M. Hariri n'a pas tardé. Sur son compte Twitter, Baabda a ainsi affirmé que le chef de l'Etat a reçu de la part de M. Hariri "une mouture qui contient de nouveaux noms et une nouvelle répartition confessionnelle des portefeuilles et qui diffère de ce qui avait été convenu par le passé". "Le Premier ministre désigné a demandé au président de la République de lui donner une réponse jeudi matin. Le président Aoun a dit à M. Hariri que la mouture proposée fera l'objet d'examen et de concertations pour en tirer les conclusions", ajoute Baabda, sans plus de précision. Selon des sources au sein du palais présidentiel, citées par notre correspondante Hoda Chédid, le chef de l'Etat "effectue une évaluation sérieuse de la mouture présentée par M. Hariri". "Il n'y a ni refus ni accord". Toujours selon notre correspondante, le président Aoun pourrait ne pas donner de réponse demain à Saad Hariri et demander davantage de temps pour évaluer la mouture en question. Cette dernière n'a pas été rendue publique, mais selon notre correspondante, Saad Hariri a choisi une personnalité sunnite pour le portefeuille de l'Intérieur, ce qui risque de provoquer un nouveau clash avec le chef de l'Etat.
Forcing diplomatique
Citant des sources proches du dossier, Hoda Chédid précise que la pression internationale actuellement exercée sur les différentes parties pourrait écarter actuellement l'éventualité d'une récusation du Premier ministre désigné.
Dans ce contexte de forcing diplomatique international, le conseiller du président français Emmanuel Macron pour les affaires de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, Patrick Durel, mène depuis hier des concertations avec plusieurs responsables. Le diplomate français a ainsi réitéré mercredi devant le président Aoun "la nécessité de former un nouveau gouvernement le plus vite possible" et d''entamer la mise en place des réformes évoquées par la France et la communauté internationale". La veille, il avait demandé à M. Hariri de former un cabinet sans tarder ou de nommer la personnalité qui puisse mener cette mission après lui, selon notre chroniqueur politique Mounir Rabih. Patrick Durel, qui s'est également entretenu avec Nabih Berry, Walid Joumblatt, et le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, doit encore se réunir avec le chef du groupe parlementaire du Hezbollah, le député Mohammad Raad.
Lundi, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avait annoncé qu'un "consensus" avait été trouvé entre les Etats membres de l'Union européenne afin de mettre en place "avant la fin du mois" un "cadre juridique" de sanctions visant des responsables libanais accusés d'être impliqués dans l'impasse politique. La menace de telles sanctions est brandie depuis plusieurs mois.
De son côté, le nonce apostolique, Mgr Joseph Spiteri, qui a été reçu mercredi par le président de la République, a estimé que "sans gouvernement, il ne peut y avoir de vraies solutions à ce que traverse le Liban" en grave crise depuis deux ans. Il a de nouveau appelé les responsables à "un dialogue" et à "ne plus camper sur leurs positions" afin de trouver une solution aux crises que traverse le pays.
commentaires (6)
Aoun n'acceptera jamais un gouvernement qui ne garantisse pas à Gebran Bassil de devenir président en 2022. En effet, sa seule chance de ne pas entrer dans l'histoire comme le prire président de tous les temps est de faire nommer quelqu'un de pire que lui à la présidence. Malheureusement le choix est très restreint...
Gros Gnon
00 h 11, le 15 juillet 2021