Se récuser, ne pas se récuser… Telle est la question pour Saad Hariri. Le Premier ministre désigné entretient depuis des semaines le suspense à ce sujet, laissant penser que lui-même n’a pas encore trouvé la réponse. Un flou qui s’expliquerait en partie par le fait que la décision de se retirer de l’arène à un moment aussi critique risque de coûter cher au chef du courant du Futur. Ce dernier pourrait, en effet, avoir plus à perdre qu’à gagner en laissant le champ libre au chef de l’État et au camp aouniste.
Le retour à Beyrouth, lundi, du leader sunnite a relancé les spéculations sur ses calculs à court terme. Saad Hariri pourrait en effet tenter un dernier coup en soumettant au chef de l’État une mouture que ce dernier pourrait refuser une fois de plus. C’est l’une des éventualités que le Premier ministre désigné aurait examinées avec Nabih Berry lors de leur tête-à-tête lundi dernier. Mais avant d’entreprendre quoi que ce soit, le Premier ministre désigné compte faire un tour de table avec ses partenaires locaux, les anciens chefs de gouvernement, et régionaux, égyptien et qatari, pour sonder leur opinion.
Dans le camp haririen, le discours officiel reste aussi monocorde que déroutant : il n’est pas question pour l’heure d’envisager une récusation qui reste cependant une option. La question est donc de savoir quand ou plutôt dans quelles conditions ce dernier se déciderait à le faire. De toute évidence, le leader sunnite fera en sorte d’essayer d’y laisser le moins de plumes possible.
Amortir les pertes
La récusation peut-elle être considérée comme une défaite cuisante et une capitulation face au chef de l’État ? « Cela dépend de comment Saad Hariri présenterait sa démission. La mise en scène et la justification d’une telle décision sont très importantes », analyse pour L’Orient-Le Jour un ancien responsable politique issu du camp souverainiste. Selon cette optique, l’idée est donc de faire en sorte de bien véhiculer le message suivant : il se récuse, mais ne se retire pas de la vie politique.
L’un des scénarios envisagés serait donc de repousser cette éventualité au plus tard possible, c’est-à-dire à la date la plus proche des législatives. Un cas de figure qui suppose qu’un gouvernement visant à préparer les élections se mette en place.
Certains analystes sont catégoriques : Saad Hariri risque gros s’il se retire maintenant. Michel Aoun criera victoire et consacrera ainsi un précédent selon lequel le chef de l’État chrétien aura réussi à faire plier le Premier ministre sunnite. Une victoire pour le camp aouniste qui serait vue d’un très mauvais œil par la base sunnite, plus que jamais remontée contre le mandat. Le Premier ministre désigné pourrait également perdre la face devant ses soutiens arabes, au premier rang desquels les Émirats arabes unis et l’Égypte, qui depuis le début de cette bataille de prérogatives l’encouragent à tenir bon. Le bras de fer autour de la formation du gouvernement est devenu, avec le temps notamment, une affaire de revanche sunnite locale et régionale.
L’importance du timing
C’est ce qui fait dire à certains observateurs que s’il finissait par opter pour la récusation, Saad Hariri devrait choisir le timing opportun de sorte à embarrasser le président. Tout dépendra donc du prisme à travers lequel on regarde sa récusation. Pour Joseph Bahout, directeur du Issam Fares Institute for Public Policy and International Affairs de l’AUB, Saad Hariri aurait intérêt à le faire dans la mesure où il abrégerait la pénible épreuve engagée avec le président de la République, sachant qu’il partage partiellement avec lui la responsabilité de la crise et ses conséquences. « Il pourra à la limite investir cette récusation en montrant patte blanche à l’Arabie saoudite et en prouvant indirectement que ce n’est pas lui qui est à l’origine du blocage », commente M. Bahout. En se retirant, il saboterait ainsi la dernière année du sexennat de Michel Aoun en le privant d’un gouvernement et refilerait ainsi la patate chaude à ce dernier. « C’est un rêve que caresse d’ailleurs le chef du législatif Nabih Berry, qui s’est juré de faire la guerre au chef de l’État même s’il doit passer par Saad Hariri qu’il instrumentalise dans ce règlement de comptes », commente l’expert.
Saad Hariri n’acceptera de se retirer qu’après avoir protégé ses arrières et validé l’identité de celui qui prendra sa place. Le futur candidat devra avoir également reçu l’aval des anciens chefs de gouvernement, mais aussi du Hezbollah – conscient de l’importance de préserver les équilibres fragiles que le parti chiite en particulier tient à ménager – et de son vieil ami Nabih Berry, qui devra également donner son feu vert au successeur.
S’il devait se décider à rendre son tablier, le chef du courant du Futur œuvrera, estime un analyste du 14 Mars, à ménager son image et son prestige de leader sunnite au Liban en faisant en sorte que son retrait soit orchestré par la plus haute instance de la communauté, Dar el-Fatwa. Tout comme le mufti Abdellatif Deriane avait renouvelé le 12 juin dernier son soutien à Saad Hariri, il lui donnera publiquement sa bénédiction pour le retrait. Ce serait, dit l’analyste cité plus haut, une manière de calmer sa base et de légitimer ce retrait momentané de la politique. Une façon de lancer sa campagne électorale pour les législatives prévues en 2022.
Mais selon l’ancien député Farès Souhaid, Saad Hariri ne consentira à se récuser que s’il peut en encaisser le prix, c’est-à-dire obtenir en contrepartie la démission concomitante du chef de l’État. « Pour le moment, les deux tirent bénéfice de ce bras de fer en défendant bec et ongles leurs prérogatives pour redorer leur blason au sein de leurs communautés respectives », conclut M. Souhaid.
commentaires (13)
Attendrissante ,cette photo. wow...quel couple.
Marie Claude
09 h 30, le 08 juillet 2021