Le patriarche maronite, Béchara Raï, qui s'est entretenu mercredi à Baabda avec le chef de l'Etat, Michel Aoun, semblait, dans un revirement, apporter son soutien au président de la République dans le bras de fer qui l'oppose au Premier ministre désigné, Saad Hariri, concernant la formation du gouvernement. Ainsi, après avoir critiqué le président Aoun il y a quelques jours, l'accusant de violer la Constitution à l'instar des autres dirigeants, le chef de l'Eglise maronite a modéré ses propos, appelant le PM désigné à hâter la formation du cabinet, "avec le président de la République", dans le respect de la Constitution.
"Feuille de route" du Vatican
A sa sortie de réunion, le patriarche a rappelé que son entretien avec le président Aoun avait pour but d'informer ce dernier de la teneur des discussions qui ont eu lieu à Rome avec le pape François, dans le cadre de la journée de prière pour le Liban organisée le 1er juillet au Vatican. "Je voulais lui dire que le discours du pape François constitue, pour les chefs des Églises, une feuille de route que nous œuvrerons à concrétiser", a déclaré M. Raï. Ce jour-là, le souverain pontife avait adressé un message d'espoir aux Libanais, les suppliant de ne pas se décourager, tout en enjoignant les dirigeants politiques à œuvrer pour trouver des solutions à l'effondrement actuel.
Interrogé ensuite par les journalistes sur ce qu'il dirait à Saad Hariri, Mgr Raï a répondu : "Je lui dirai de hâter, le plus vite possible, la formation du gouvernement avec le président de la République, dans le respect de l'esprit de la Constitution, car avec chaque jour de retard, le navire sombre de plus en plus, et nous nous retrouvons victimes de cette impasse. Ces propos, je les lui ai dits il y a un moment, et je les répète aujourd'hui".
Le Liban est sans gouvernement effectif depuis la démission de l'équipe de Hassane Diab dans la foulée de l'explosion meurtrière du 4 août 2020 au port de Beyrouth. Nommé en octobre de la même année pour former le nouveau cabinet, le leader du courant du Futur, Saad Hariri, n'arrive toujours pas à accomplir sa mission, en raison notamment d'un conflit politico-personnel l'opposant au chef de l’État et son gendre, le leader du Courant patriotique libre, Gebran Bassil. MM. Aoun et Hariri s'écharpent autour des prérogatives de chacun dans le processus de formation du gouvernement, notamment en ce qui concerne la nomination des ministres chrétiens. Pendant ce temps-là, le Liban poursuit sa descente aux enfers, marquée par une paupérisation de la population et des pénuries de biens essentiels - essence, électricité, médicaments. Une chute que rien ne semble pouvoir arrêter, en l'absence d'un cabinet réformateur.
Aoun et la violation de la Constitution
Le patriarche a dans ce contexte rappelé que lui-même, "ainsi que la classe au pouvoir, appellent à un gouvernement d'experts non-partisans", conformément à la feuille de route française, restée lettre morte jusque-là. "Toute solution passe par la formation d'un gouvernement", a-t-il insisté. "Nous en sommes arrivés là, aujourd'hui, à cause de l'absence d'un gouvernement. Cela endommage l'économie, le commerce, le tourisme (...), et le pays se meurt".
Dans ses propos, mercredi, Mgr Raï semble avoir adopté un ton plus conciliant envers le président Michel Aoun, après l'avoir accusé il y a quelques jours de "violer la Constitution, à l'instar de tous les autres dirigeants". Interrogé sur ce point par les journalistes, le prélat maronite a tenté de minimiser la portée de ses critiques. "Les journaux semblent s'être focalisés sur l'expression +Il (le président Aoun) viole la Constitution+", a-t-il regretté. "J'avais dit que tout le monde violait la Constitution. Mais personne n'est concerné par le pays plus que le président de la République", s'est défendu Mgr Raï.
Enfin, le patriarche maronite a semblé donner du crédit à la thèse selon laquelle le Liban serait victime d'un plan international qui le viserait. "J'ai évoqué lors de mon homélie dominicale, avant mon départ pour Rome, un tel plan, en indiquant qu'il semblerait qu'il vise le Liban. Je ne serai pas étonné de voir qu'un tel plan existe" pour porter atteinte au Liban, a-t-il affirmé, en réponse aux journalistes.
Mardi, le Premier ministre sortant Hassane Diab, a tenu des propos allant dans le même sens. Dans un discours prononcé devant plusieurs ambassadeurs, il s'était plaint d'un "blocus imposé (au Liban par la communauté internationale), et qui n’a aucune incidence sur les corrompus". Il s'est attiré une réponse cinglante de l'ambassadrice de France à Beyrouth, Anne Grillo. La diplomate a rappelé à M. Diab "que l’appauvrissement du pays était une responsabilité qui lui incombait ainsi qu’aux dirigeants, et que l’effondrement était "le résultat délibéré d’une mauvaise gestion depuis des années".
"Une discussion importante a eu lieu hier au Grand sérail. Une nouvelle dynamique doit placer au centre le bien public, l'espoir du peuple, la responsabilité politique et la performance. Il n'y a pas de temps à perdre", a pour sa part commenté mercredi la nouvelle coordinatrice spéciale des Nations Unies, Joanna Wronecka, sur son compte Twitter. "Pour le Liban et son peuple, l'ONU est pleinement engagée et solidaire", a-t-elle ajouté.
commentaires (14)
Finalement, ce sont les maronites qui ont détruit ce pays. Honte à nous.
Achkar Carlos
22 h 14, le 07 juillet 2021