« Cela suffit d’utiliser le Liban et le Moyen-Orient pour des intérêts et des profits étrangers ! » Ces propos ne sont pas ceux d’un homme politique local ou d’un diplomate occidental. Ils ont été prononcés par le pape François en personne lors de la journée de prière organisée pour la paix au Liban le 1er juillet. Dans ses termes et son contenu, la réunion avec les chefs des Églises chrétiennes, invitées au Vatican, a mis en relief la profondeur de la crise au Liban. Elle a aussi surligné le fossé qui sépare – et ce n’est pas un fait inédit – les vues du Vatican de celles de la principale force politique chrétienne du pays.
Le tandem Michel Aoun-Gebran Bassil a vendu le sexennat comme le moment de la « présidence forte » et de la « protection des droits des chrétiens ». Chacune de leurs décisions, de l’alliance avec le Hezbollah aux batailles pour la formation du gouvernement, a été présentée sous cet angle. Pourtant, la situation des chrétiens dans le pays a rarement été aussi mauvaise, à tel point que le Vatican s’inquiète sérieusement que le Liban ne finisse par se vider peu à peu de cette communauté. « Le message du pape, c’est que les chrétiens doivent rester au Liban, cohabiter pacifiquement avec les membres d’autres communautés, et qu’il faut pour cela construire des institutions étatiques solides et mettre en avant la citoyenneté », résume un habitué du Vatican. Toute la logique du pape François s’oppose à une vision sectaire, séparatiste, qui consiste à penser que le langage communautaire est le plus à même de protéger les droits des chrétiens. C’est dans le même ordre d’idées que le souverain pontife a effectué ses visites en Irak, où il a rencontré l’ayatollah Sistani, aux Émirats arabes unis, et a œuvré pour un dialogue approfondi avec l’université d’al-Azhar.
Une conspiration
« Le pape ? Combien de divisions? » ironisent les détracteurs de cette approche au Liban, en reprenant la célèbre citation de Staline. Mais ces derniers oublient que le Vatican a joué un rôle important dans la bataille politique et culturelle durant la seconde partie du XXe siècle, et que durant la guerre civile libanaise, il a gardé une position forte en faveur de la préservation du Liban sans jamais céder aux tentations sécessionnistes. « Le Vatican est capable d’influencer la communauté internationale pour assurer la protection du Liban », veut croire un proche de Bkerké.
Au sein du camp aouniste, la garantie de la préservation chrétienne n’est pas perçue de la même façon. Depuis son retour au pays en 2005, Michel Aoun a su exploiter la frustration chrétienne, en présentant un discours de revanche par rapport à Taëf, qui a mis symboliquement fin à la domination politique chrétienne et a ouvert l’ère du pouvoir sunnite. C’est ce qui lui a permis d’obtenir une majorité chrétienne écrasante au Parlement en 2005, puis en 2009 et en 2018, après son accession à la présidence. Mais quelques mois à peine après son arrivée à Baabda, la mécanique s’est enrayée. La rue s’est enflammée. Le bloc présidentiel s’est effrité. Les ennemis d’hier, partenaires momentanés, sont revenus en force. À Baabda, on est persuadé que tous ces événements ne sont pas une coïncidence, mais plutôt une conspiration contre le « président chrétien fort ». Dans la rue, le discours semble toutefois avoir perdu une grande partie de son effet, en raison de l’effondrement accéléré du pays. Une descente aux enfers inacceptable pour une communauté qui a longtemps constitué une bonne partie de l’élite du pays.
Les chrétiens ont en effet été au cœur de la construction du Liban moderne, de la philosophie de l’idée libanaise, de l’élaboration du système économique basé sur l’idée d’en faire la Suisse de l’Orient en attirant des fonds étrangers. Ils étaient les propriétaires des grandes agences, entreprises, institutions financières et touristiques. L’ironie a voulu qu’ils connaissent un recul terrible à un moment où le président avait promis de les protéger.
Échec
La double explosion au port de Beyrouth, qui a détruit le 4 août dernier plusieurs des quartiers chrétiens historiques de la capitale, a été pour beaucoup un tournant. De nombreux chrétiens en imputent la responsabilité au Hezbollah – accusé par certains d’être à l’origine de l’importation du nitrate d’ammonium qui a causé la déflagration –, pourtant principal allié de Michel Aoun. La destruction du port a été aussi perçue comme le symbole de la fin d’un Liban qui faisait traditionnellement le lien entre l’Est et l’Ouest, dont le secteur bancaire attirait des capitaux étrangers et dont le tourisme était prisé par les Arabes. Sous le mandat Aoun, tous ces acquis et fondations ont été détruits : le port, le secteur bancaire, les établissements touristiques, les industries, les grandes entreprises commerciales, et même les écoles et les hôpitaux.
Les opposants à Michel Aoun estiment que c’est sa politique et ses pratiques qui ont éloigné le Liban de son identité. « Aoun a choisi l’Iran et l’alliance avec l’Est, le but étant de s’éloigner des Arabes, contributeurs fondamentaux et historiques de l’économie libanaise », dit un homme politique opposé au président. Ce dernier s’est lancé dans son projet en pariant sur ce qu’on appelle « l’alliance des minorités » face à l’océan sunnite. C’est ce que confirme une personnalité de son cercle étroit, membre de la « cellule du samedi », un groupe de personnes qui se réunissait tous les samedis pour consulter le président depuis son arrivée à la présidence. Le chef de l’État considère pour sa part que ce qui se passe le vise personnellement, et que c’est l’œuvre des « chefs de milice » ou piliers de Taëf qui ont réussi à mettre la main sur les prérogatives du président et l’empêcher de mener à bien son plan de réformes. Mais dans les cercles privés, il admet que son projet a échoué. Ce que son gendre, Gebran Bassil, refuse jusqu’à maintenant de reconnaître.
Malheureusement il vit dans un autre monde!!!
09 h 05, le 08 juillet 2021