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Tous à l’épreuve

Classiques, rituelles, prévisibles et même attendues : toutes ces arguties et chicanes que l’on multiplie aux fins d’entraver l’enquête sur la meurtrière explosion du port de Beyrouth, on les voyait venir, à peine le juge d’instruction Tarek Bitar finissait-il de publier une première liste de suspects.


Dans un premier temps, plus d’un de ceux-ci s’était, fort civilement, mis à la disposition de la loi, tandis que le ministre de l’Intérieur souscrivait, sans réserve aucune, aux poursuites engagées contre le très puissant patron de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim. Mais c’était trop vite parlé ; c’était devancer l’oracle. Car en reprochant au magistrat d’avoir livré aux médias ladite liste avant même d’en notifier les principaux concernés, le chef du Hezbollah lançait, lundi, le signal des grandes manœuvres dilatoires. Réflexion faite, le ministre de l’Intérieur préférait alors consulter ses conseillers légaux, pour le cas où Abbas Ibrahim, dont les portraits géants étaient subitement placardés dans la banlieue sud de la capitale, serait interrogé en sa qualité d’accusé, et non de témoin.


Parallèlement s’ébranlait, comme à contrecœur, la poussive procédure relative à une levée de l’immunité parlementaire dont se prévalent certains anciens ministres et actuels députés. Mais de quelle sorte d’immunité ose-t-on encore se prévaloir quand on s’est rendu coupable de conspiration – ou, pour le moins, de négligence criminelle – dans l’exercice de ses fonctions ministérielles ? Pourquoi d’ailleurs se barricader derrière cette immunité si l’on n’a vraiment rien à se reprocher ? Et comment pourrait-on encore s’en remettre au verdict d’une assemblée discréditée qui a elle-même collectionné les atteintes à la Constitution, ironiquement perpétrées, à tous les coups, pour une seule fois ?


Décisif à tout point de vue sera l’aboutissement de l’enquête sur un cataclysme qui a fait plus de 200 morts, des milliers de blessés et détruit près de la moitié de Beyrouth. Bien que vicié jusqu’à la moelle, l’establishment politique libanais n’est pas seul, pourtant, à aborder son moment de vérité ; à décider, par exemple, s’il est réellement acculé, ou non, à s’amputer de quelques doigts gangrenés pour sauver le reste de sa carcasse. Le test du port, c’est le pays tout entier, la magistrature, le peuple, les familles des victimes, la société civile qui sont tenus de le passer, afin que puisse se relever ce pays.


Plus précieuse et vitale que l’air et le pain est désormais la justice pour les Libanais. Car il ne s’agit pas seulement de démasquer et châtier les responsables de la terrible hécatombe. Confondre ceux qui ont pillé la République et affamé les citoyens, ce n’est pas tout non plus. Autant en effet que l’amer présent, c’est l’avenir du pays qui est en jeu. Car aucun investisseur sensé ne contribuera jamais au redressement économique du Liban si sa mise n’est pas garantie de manière fiable par la primauté du droit : formidable gageure, en vérité, si devait demeurer systématiquement impunie la violence, qu’elle soit de nature politique, mafieuse ou autre.


La violence toute proche, c’est le Premier ministre démissionnaire qui en brandissait le spectre hier, devant un parterre d’ambassadeurs étrangers. Mettant en garde contre une imminente explosion sociale, Hassane Diab, qui a décidément perdu tout sens des réalités, a cru bon d’en attribuer la cause au blocus financier international frappant, selon lui, le peuple libanais. Aussi hasardeuse que stupide était cependant la démarche, assortie même d’un grossier chantage à l’exportation du désordre ambiant. Comme de juste, l’imprudent s’est fait vertement ramasser par l’ambassadrice de France, qui ne s’est pas fait faute de lui rappeler à quel point les Libanais étaient victimes de leurs propres et malpropres dirigeants ; à quel point aussi seul le monde extérieur s’est concrètement soucié de leurs souffrances et a tenté d’y remédier. Non moins accablant, au demeurant, est le jugement que portait, la veille, le chef de la représentation britannique, pour qui il y a quelque chose de pourri au cœur du Liban.


Non, pas tout à fait au cœur, Monsieur le chargé d’affaires. Tous les infamants trafics qui ont la crise pour toile de fond n’occulteront jamais les extraordinaires élans de solidarité sociale dont demeurent capables les Libanais, comme on l’a vu au lendemain de la tragédie du port. La pourriture est bien là, hélas, mais son terrain d’élection n’est pas le thorax, il faut le chercher un peu plus haut.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Classiques, rituelles, prévisibles et même attendues : toutes ces arguties et chicanes que l’on multiplie aux fins d’entraver l’enquête sur la meurtrière explosion du port de Beyrouth, on les voyait venir, à peine le juge d’instruction Tarek Bitar finissait-il de publier une première liste de suspects. Dans un premier temps, plus d’un de ceux-ci s’était, fort civilement,...