Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Vient de paraître

« 961 heures à Beyrouth », un « livre mezzé »

Elle était venue au Liban en 2018, un autre temps, collecter les saveurs de notre cuisine et le parfum de nos légèretés parsemées dans la ville. Ryoko Sekiguchi les réunira dans un livre, « 961 heures à Beyrouth » (éditions P.O.L.), qui sort, deux terribles années plus tard, avec un goût intact, mais le parfum amer des jours heureux.

« 961 heures à Beyrouth », un « livre mezzé »

Ryoko Sekiguchi, auteure de « 961 heures à Beyrouth », traductrice et passionnée de gastronomie. Photo DR

Il se déguste lentement, par petits chapitres, 321 au total, comme autant de plats imprégnés de saveurs, d’ingrédients, de rencontres et de lieux découverts durant son séjour qui aura duré du 7 avril au 15 mai 2018, soit 961 heures exactement. « 961, comme l’indicatif téléphonique du Liban, une étrange coïncidence », souligne Ryoko Sekiguchi (prononcez Yoko) à L’Orient-Le Jour. Ce livre de cuisine est plutôt un livre de cuisines, celle du Liban, celle du Japon, et tout ce qui, d’une manière inattendue, les réunit. Un livre de cuisine particulier, métissé, sans recettes, mais « ponctué de retours en arrière, de narration, d’histoires », nous précise l’auteure franco-japonaise passionnée de gastronomie, également traductrice et fille de cuisinière.

Ryoko Sekiguchi avait été invitée dans le cadre d’une résidence d’écriture à Beyt el-Kottab par le président de la maison internationale des Écrivains à Beyrouth, Charif Majdalani, qui avait aimé son livre Ce n’est pas un hasard. « Un livre en forme de chroniques que j’avais écrit juste après la triple catastrophe qui a touché le Japon le 11 mars 2011 : séisme, tsunami et accident de la centrale nucléaire de Fukushima », précise-t-elle, avant d’ajouter : « J’ai accepté sans même encore connaître Beyrouth. » Et ce n’est pas un hasard que 961 heures à Beyrouth sorte dans un Liban plongé dans une crise économique violente et surtout après la double explosion du 4 août.

Lire aussi

Dans l’assiette de hommos de Bernard Hage, tout son humour noir

« Pour cette nouvelle résidence, nous avions décidé de franchir le pas et d’aller vers une écrivaine d’une autre culture et d’une autre nationalité, explique Charif Majdalani. Notre choix s’est porté sur Ryoko Sekiguchi, auteure francophone d’origine japonaise, surtout après avoir lu plusieurs de ses livres et plus spécialement Fade. Elle y était d’une très grande finesse dans l’analyse du goût et le rapport entre la langue et la capacité à dire le goût, le rapport entre la langue et la perception du goût, et donc la cuisine. Je savais aussi qu’elle avait travaillé sur la cuisine comparée, notamment entre le Japon et l’Iran et le Japon et la France. Il était donc très intéressant de lui commander, dans ce cadre, un livre sur la comparaison entre les traditions culinaires, la cuisine et les questions de goût entre l’Extrême-Orient, l’Orient (Iran-Liban) et la France. Un travail qu’elle ferait à partir de son expérience. » Arpentant une soixantaine de restaurants, partageant nombre de déjeuners et dîners dans les maisons, et après avoir goûté à 320 plats locaux, « elle est devenue une connaisseuse du paysage de la restauration libanaise. D’ailleurs elle avait même écrit une carte culinaire de Beyrouth, parue aux éditions Menu Fretin ».

Un livre de cuisine et d’amitié.

« Une Japonaise à Beyrouth qui vient de France »

Ce sont donc 961 heures de la vie de cette femme qui ne connaissait rien à Beyrouth et sa gastronomie, sauf que c’était une « cuisine des parfums », « quelque chose de sensuel », dit-elle. Ces parfums, elle les saisira un à un, au détour d’un lieu, d’une adresse, d’une rencontre, d’un geste en cuisine, d’une dégustation. Au détour de récits de guerre, de confessions partagées par des gens qu’elle connaissait à peine. Elle retiendra surtout le parfum du jasmin, de l’anis, de la kebbé, de la mouloukhyé, moroheiya au Japon. Celui de l’ail, de la betterave. Celui de la montagne, d’un musée et celui, surtout, des « mille visages de la nostalgie ». Une nostalgie présente dans de nombreux chapitres et qui prend aujourd’hui, pour le lecteur libanais à la recherche d’un temps perdu, une connotation différente. « Il est évident, et elle-même le dit dans son livre, poursuit Charif Majdalani, que c’est un livre sur avant, avant la crise et le 4 août. Ce qui est poignant, intéressant et un peu triste, parce que ce monde de la création culinaire est parti en morceau. » « Mais, tient-il à préciser, les goûts ne se perdent pas, surtout que la cuisine et les goûts sont ce qui persiste avec la religion quand on a perdu une partie de sa culture d’origine. On peut perdre la langue, les habitudes, pas le goût. Ce qu’on a perdu et qui fait de ce livre un livre nostalgique, c’est qu’on a perdu le paysage gastronomique, les lieux où notre gastronomie se développait. Mais tout ce que Ryoko dit sur le goût persiste et quelle que soit la manière dont on reconstruira, on retrouvera, et on ne les a pas perdues, nos habitudes et les saveurs que nous mettons en scène dans la cuisine. »

Le goût des autres

Alors quand on demande à l’auteure de 961 heures à Beyrouth s’il y avait une saveur à retenir de son passage au Liban, elle répond : « Elle serait salée, comme le zaatar frais. » Une émotion ? « L’anis. Un peu comme une connaissance que je connaissais vaguement, mais jamais de manière intime, avec qui j’ai pu dîner en tête à tête et qui m’a raconté sa vie. » Un plat ? « La kefta arménienne qui garde la trace des mains qui la font. C’est très émouvant. »

Lire aussi

Lamia Ziadé : Durant les six mois d’écriture de ce livre, je n’ai fait que pleurer...

Hommage à notre cuisine, certes, mais surtout à une ville qui attend de pouvoir redevenir comme avant, Ryoko Sekiguchi, revenue pour quelques jours au début de la thaoura, trouve les mots qu’il faut et qui forcément nous touchent. « Pouvais-je sentir l’odeur de Beyrouth ? Humer le parfum de sa peau ? » s’interroge-t-elle. « Quitter cette ville, ce n’est pas la fin du repas, c’est une pause avant de prendre un nouveau plat », confiant également dans les dernières pages de son livre de cuisine imprégné d’amitié : « Les Libanais sont un peuple émouvant, or être émouvant n’est pas synonyme de faiblesse, comme on peut être enclin à penser. Ne pas avoir besoin de dissimuler ses émotions, c’est une force. Vivre avec émotion est une force, et je l’ai sentie par deux fois en ce lieu, l’année dernière avec la cuisine et cette année avec la révolution. »

« 961 heures à Beyrouth » (et 321 plats qui les accompagnent), (éditions P.O.L.), est en vente à la Librairie Antoine.

Bio express

Ryoko Sekiguchi, écrivain, traductrice, vit en France depuis 1997.

Parmi ses livres : 961 heures à Beyrouth (éd. P.O.L.), Nagori (P.O.L.), La voix sombre (P.O.L.).

Parmi ses traductions : Louange de l’ombre avec Patrick Honnoré (éd. Picquier).

A traduit en japonais de nombreux auteurs dont Atiq Rahimi, Patrick Chamoiseau, Simone de Beauvoir.

Il se déguste lentement, par petits chapitres, 321 au total, comme autant de plats imprégnés de saveurs, d’ingrédients, de rencontres et de lieux découverts durant son séjour qui aura duré du 7 avril au 15 mai 2018, soit 961 heures exactement. « 961, comme l’indicatif téléphonique du Liban, une étrange coïncidence », souligne Ryoko Sekiguchi (prononcez Yoko) à...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut