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Culture - Entretien

Lamia Ziadé : Durant les six mois d’écriture de ce livre, je n’ai fait que pleurer...

Dans son nouvel ouvrage, l’auteure et dessinatrice libano-française embarque ses lecteurs dans la reconstitution, entre grand reportage et carnet intime, de l’explosion au port de Beyrouth. Cette tragédie libanaise de trop qu’elle a elle-même vécue physiquement de loin, mais émotionnellement au plus près de sa famille et de ses amis beyrouthins dévastés. 

Lamia Ziadé : Durant les six mois d’écriture de ce livre, je n’ai fait que pleurer...

Lamia Ziadé dans son appartement parisien. Photo DR

« C’est une malédiction, ton pauvre pays ! » L’exclamation de l’un de ses amis parisiens qui lui rapporte la terrible nouvelle de l’explosion du 4 août dernier donne le ton de Mon port de Beyrouth, récit graphique de Lamia Ziadé qui vient de paraître aux éditions P.O.L.

Un « récit à chaud », plein d’émotion, d’empathie, de larmes et de fureur, de cette apocalyptique déflagration de l’été 2020 qui, en l’espace de quelques secondes, aura mis à terre des quartiers entiers de Beyrouth. L’auteure et illustratrice revient dans cet ouvrage sur les premiers instants et les semaines qui ont suivi ce funeste événement. L’un des plus traumatiques subis par les Libanais, et qu’elle aura elle aussi vécu douloureusement, même de loin, depuis Paris où elle réside, et ce à travers les membres de sa famille touchés.

Elle en restitue, d’un trait à la fois sorti des tripes et extrêmement précis, le chaos et la terreur qui se sont abattus sur la ville et ses habitants ce jour-là ; et égrène au fil des 230 pages intercalées de 200 dessins les funestes répercussions de ce « maléfice » qui a fauché des vies innocentes et soufflé maisons, immeubles et hôpitaux…

Derrière cette porte, l’enfer...

Ces victimes, justement, auxquelles elle rend un touchant hommage dans ce livre en leur redonnant visages, couleurs et identités. Ces victimes pour lesquelles elle hurle aussi sa colère contre l’indifférence de la caste politique criminelle… Mais aussi les « héros » qu’elle ne manque pas d’évoquer. Ces pompiers, ces jeunes bénévoles, ces membres du corps soignant qui ont sauvé tant de vies au péril de la leur. Et dont elle raconte les actions d’un ton admiratif, dans cet ouvrage entrepris comme véritable travail de mémoire partagée.

En jouant sur les titres de ses précédents livres, on pourrait dire que la rédaction de Mon port de Beyrouth a largement rouvert chez Lamia Ziadé les vannes de sa Très grande mélancolie… libanaise. Et qu’en mixant dans ce dernier opus les témoignages recueillis avec ses propres ressentis et souvenirs personnels ainsi que des épisodes en flash-backs de l’histoire contemporaine du Liban, elle lance (aussi) un douloureux Bye Bye Babylone à sa ville natale, déchiquetée par la monstrueuse explosion. Et, en particulier, à son port et ses silos, qui la fascinaient étant enfant, ces symboles d’un âge d’or du pays désormais effacés…

Entretien avec l’auteure pour en savoir plus sur la fabrication de ce « livre du souvenir » qui résonnera évidemment avec plus d’intensité chez les rescapés du drame de Beyrouth, où il est déjà disponible en librairie.

Lamia Ziadé tenait à rendre hommage à l’éclatante Sahar de la Brigade des pompiers…

L’idée de ce livre s’est-elle imposée à vous spontanément ?

Elle n’est pas du tout venue de moi. J’étais tellement effondrée par ce qui s’était passé que je ne faisais que pleurer. J’étais incapable de réfléchir à quoi que ce soit. Lorsque Le Monde m’a contactée le lendemain de l’explosion pour me proposer de leur faire une quinzaine de pages sur le sujet, j’ai d’abord commencé par refuser avant de revenir sur mon refus et de me lancer dans cette entreprise qui m’a pris un mois plein. Une fois ce témoignage fini, je pensais m’arrêter là. C’est mon éditeur qui m’a incitée à poursuivre le projet, à le porter plus loin en le développant dans un livre.

« Cette photo prise par un photographe de presse (Bilal Jawich, NDLR) a fait le tour du monde », écrit dans la légende l’auteure et illustratrice qui l’a redessinée avec son style propre.

Vous avez réussi à rendre attrayant, si l’on ose dire, un sujet aussi douloureux que cette explosion meurtrière. À qui s’adresse en premier ce livre ? Au lectorat français, dans une démarche de reportage pour raconter au plus près ce qu’ont subi les Libanais ou à ces derniers comme une œuvre dépositaire de la mémoire de cette tragédie, summum des événements sanglants qu’ils ont vécus et continuent de vivre ?

Il s’adresse certainement plus aux Libanais. En tout cas, moi, je l’ai écrit en tant que « libanaise » pour témoigner et garder une trace… Avec le sentiment qu’il « fallait » le faire, comme me répétait mon éditeur. Il intéressera peut-être les Français qui aiment mes livres, mais c’est surtout par rapport aux Libanais que j’ai voulu revenir sur ce terrible drame dans un récit dessiné qui a peut-être quelque chose de la démarche du reportage, mais qui est tout simplement ma façon à moi de m’exprimer. Je voulais raconter certaines réalités politiques et sociales mais surtout rendre hommage aux victimes.

L’écriture de ce dernier ouvrage semble plus émotionnelle, plus spontanée et moins basée sur la documentation que celle des précédents. A-t-elle vraiment été très différente ?

Absolument ! Je n’ai pas arrêté de pleurer tout au long de son écriture, qui a duré six mois. Chaque vidéo reçue, chaque image, chaque récit qu’on me rapportait ou que je lisais me remuaient jusqu’aux larmes.

Outre ce côté douloureux, le fait qu’il se passait en permanence quelque chose de nouveau par rapport à cette explosion a également rendu la réalisation de ce livre très difficile. De jour en jour, de nouveaux visages de victimes apparaissaient, de nouvelles informations concernant la charge de nitrate d’ammonium émergeaient, des manifestations avaient lieu… Il fallait que je m’informe en continu, en même temps que j’écrivais et que je dessinais. Je croulais sous les informations et le nombre de sujets que je voulais reproduire était considérable. Ce qui rendait leur sélection très difficile…

Par contre, j’ai fait bien moins de recherches pour cet ouvrage que pour les précédents, ma principale source de documentation étant cette fois Instagram et les réseaux sociaux. Mais j’ai quand même eu recours aux archives de L’Orient-Le Jour pour 2 ou 3 chapitres dans lesquels je reviens sur des moments historiques.

La couverture de l'ouvrage. Photo DR

Au final, sa parution vous a-t-elle apporté un certain réconfort, vous qui semblez avoir été extrêmement traumatisée même de loin par ce terrible drame ?

Je dirais que j’ai été soulagée. Car cela a été vraiment très dur de produire un livre – avec 200 dessins – en six mois, alors que, normalement, je mets deux ans pour le faire. J’étais physiquement épuisée. Je n’aurais pas pu poursuivre ce rythme même une semaine de plus. C’est un sentiment qui n’est peut-être pas à la hauteur du dramatique événement, mais j’y ai vraiment consacré mes journées, week-ends compris, de 7 heures 30 jusqu’à 23h non-stop durant tous ces mois.

Pour mémoire

Beyrouth, mon amour

En même temps, cela m’a permis de me dédouaner un peu du sentiment d’impuissance que je ressens par rapport à tout ce que subit le Liban. Alors que j’aurais voulu être parmi les manifestants pour gueuler, crier, hurler ma révolte, la réalisation de ce livre m’a aidée à me dire que j’aurais, en quelque sorte, contribué à figer certains détails, certaines figures, dans la mémoire collective. À rendre hommage à des personnages marquants dont les actes ou le destin m’ont particulièrement touchée. À l’instar de la femme médecin qui a transporté la petite Alexandra dans l’ambulance ou de l’éclatante Sahar de la Brigade des pompiers…

D’ailleurs, si je suis satisfaite d’une chose dans ce travail, c’est d’avoir pu à travers mon texte et mes dessins redonner un peu de l’éclat de vie qui animaient les visages des disparus, que des photos floues publiées à la hâte dans la presse ne pouvaient pas rendre…

D’un ouvrage à l’autre, vous semblez glisser imperceptiblement de la case artiste-illustratrice vers celle d’auteure, le texte prenant de plus en plus d’ampleur dans vos récits graphiques. Comment l’expliquez-vous ? Pourriez-vous envisager un jour l’écriture d’un roman sans dessin ?

C’est vrai. Cela résulte du fait que j’ai plus d’assurance dans l’écriture, même si ça reste très dur pour moi d’écrire alors que dessiner coule de source.

Écrire un livre sans dessin, peut-être un jour, mais certainement pas un roman. Je ne me sens pas du tout capable d’aller dans la fiction. Jusque-là, dans mes 4 livres, je n’ai fait que raconter mes souvenirs d’enfance et de guerre ou des faits réels, à ma propre façon certes, mais sans y mettre vraiment de l’imaginaire.

En fait, je pense toujours que je ne suis pas du tout écrivaine. D’ailleurs, j’avais décidé de prendre une pause de l’écriture pendant quelques années pour reprendre la peinture et les expositions lorsque ce dernier récit s’est imposé à moi… 

Bibliographie orientale…

– Bye bye Babylone : Beyrouth 1975-1979 (éditions Denoël ; 2010) est son premier ouvrage graphique en lien avec le Liban. Publié suite à l’invasion israélienne du Liban en 2006 qui l’avait choquée profondément, elle y revient, en texte et dessins, sur son enfance durant la guerre civile. Suivront :

– Ô nuit, ô mes yeux (P.O.L ; 2015), récit dessiné du paysage social et artistique du siècle dernier entre Le Caire, Beyrouth, Damas et Jérusalem, il lui a valu le prix Phénix en 2015 ex aequo avec Zeina Abi Rached.

– Ma très grande mélancolie arabe, morceaux choisis d’une traversée du XXe au Proche-Orient.

(P.O.L. ; 2017) couronné du Prix littéraire France-Liban 2017.

« C’est une malédiction, ton pauvre pays ! » L’exclamation de l’un de ses amis parisiens qui lui rapporte la terrible nouvelle de l’explosion du 4 août dernier donne le ton de Mon port de Beyrouth, récit graphique de Lamia Ziadé qui vient de paraître aux éditions P.O.L.Un « récit à chaud », plein d’émotion, d’empathie, de larmes et de fureur, de cette...
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