Le dollar américain poursuit sa montée vertigineuse par rapport à la livre libanaise, les commerces ferment leurs portes, les gens en colère ferment les routes... et rien ne se passe sur le plan gouvernemental. C’est dans ce contexte de blocage que le chef de l’État s’est exprimé hier soir. D’abord, pour expliquer sa position à l’opinion publique libanaise en précisant que s’il n’a pas parlé avant, c’était pour laisser la place aux négociations. Ensuite, pour pousser le président du Conseil désigné à bouger. Aoun répond ainsi indirectement à la demande de Hariri qui avait estimé que c’est au chef de l’État de faire le premier pas.
Cette démarche suffira-t-elle à provoquer un déblocage ? Les prochains jours le diront, mais pour l’instant, les positions restent très éloignées, notamment entre le Courant patriotique libre et le courant du Futur.
Pour les milieux proches du CPL, la situation actuelle ressemblerait dramatiquement à ce qui s’était passé en 1990 et puis plus tard, en 1992. Tous les moyens sont utilisés pour faire pression sur le général Michel Aoun, devenu aujourd’hui président. En 1990, il devait accepter les conditions de l’accord de Taëf imposées par une équation régionale et internationale qui retirait la plupart des prérogatives du chef de l’État pour les transférer en principe au Conseil des ministres réuni. La guerre entre Aoun et le chef des Forces libanaises Samir Geagea en 1989 et 1990 avait déjà affaibli les chrétiens qui se sont présentés aux négociations en rangs divisés. L’accord a été adopté puis est devenu la nouvelle Constitution du pays, et Michel Aoun, qui l’avait refusé et avait tenté d’empêcher son application, a été contraint à l’exil en France pour de longues années, à la suite d’une opération militaire syrienne le 13 octobre 1990.
L’accord de Taëf a très vite montré sa véritable couleur, lorsque les Syriens ont pratiquement pris le contrôle du pays en accord avec les Saoudiens et avec la bénédiction des Américains. L’ancien Premier ministre Rafic Hariri est arrivé en sauveur après les manifestations populaires de mai 1992 qui avaient contraint le gouvernement présidé par Omar Karamé à démissionner. À cette époque aussi, le dollar américain avait atteint des sommets par rapport à la livre, avant de se stabiliser une fois le gouvernement de Rafic Hariri formé. Avec sa personnalité et l’étendue de ses alliances, Rafic Hariri a rapidement concentré la plus grande partie des pouvoirs, instaurant la fameuse « troïka » dont il était en réalité le véritable pilier.
Pour les milieux proches du CPL, ce qui se passe aujourd’hui ressemble donc beaucoup à cette période, les canons syriens en moins. Au lieu d’un 13 octobre militaire, on chercherait à instaurer un 13 octobre économique et social pour pousser le chef de l’État à céder face au Premier ministre désigné. Toutes les pressions économiques, sociales et même populaires seraient exercées pour le faire plier et en même temps pour permettre à Saad Hariri d’arriver en sauveur. Pour les milieux proches du CPL, la hausse vertigineuse du dollar ces derniers jours serait donc anormale, et elle serait le fait de certaines parties locales pour pousser le chef de l’État à céder aux conditions de Saad Hariri pour former le gouvernement. Toujours selon ces mêmes milieux, ceux qui croient pouvoir faire céder le chef de l’État sur des questions qu’il juge fondamentales se trompent. Les milieux proches du CPL rapportent ainsi que pour le président Aoun, ce que demande Saad Hariri est inacceptable. D’abord, il veut former un gouvernement dont il aurait totalement le contrôle, alors que, d’une part, le régime libanais ne lui donne pas toutes ces prérogatives et, d’autre part, il n’a pas montré au cours de toutes ces dernières années qu’il était un homme de réformes et d’assainissement de la gestion de l’État. De plus, aux yeux du chef de l’État, l’application biaisée et tronquée de l’accord de Taëf a lésé les différentes communautés, en particulier les chrétiens, en privilégiant le système confessionnel qui a favorisé la corruption en permettant à trois ou quatre leaders de se barricader derrière leurs communautés pour asseoir leur pouvoir et empêcher toute tentative de réforme. Or, dans son discours d’investiture le 31 octobre 2016, Aoun s’est engagé à lutter contre la corruption, et il estime ne pas avoir le droit de renoncer aujourd’hui, même si, selon les milieux proches du CPL, le principal obstacle interne qui entrave la formation du gouvernement, c’est la demande présidentielle de procéder à l’audit juricomptable au sein de la Banque du Liban et autres administrations publiques.
De toute façon, pour les milieux proches du CPL, tous ceux qui croient pouvoir rééditer le 13 octobre 1990 dans une version économique et sociale se trompent, ainsi que ceux qui croient pouvoir rééditer le scénario de mai 1992. Les circonstances ne sont pas les mêmes, le rapport des forces internes non plus, de même que Saad Hariri n’est pas dans la même situation que celle de son père. La politique de pressions extrêmes exercées sur Aoun pour le faire plier ne réussira donc pas, selon ces milieux. D’ailleurs, Aoun aurait dit à ses proches : « J’ai remis ma casquette de militaire », dans une allusion évidente à sa volonté de se battre jusqu’au bout pour ses convictions, dont la lutte contre la corruption au sein du système en place.
De leur côté, les milieux proches du courant du Futur rejettent totalement cette approche. Selon eux, le camp présidentiel cherche à se présenter comme le seul intègre dans un système pourri pour deux raisons. D’abord, il veut cacher les scandales qui ont touché le chef du CPL, ensuite, il pense ainsi pouvoir gagner la sympathie d’une partie de la population en se présentant une nouvelle fois comme celui qui se bat contre tous. Toujours selon ces milieux, ressusciter le spectre du 13 octobre 1990 ne vise qu’à resserrer les rangs de ses partisans. Ce qui est un indice de sa baisse de popularité auprès d’eux, alors que pour les autres Libanais, ce souvenir ne joue pas en sa faveur puisqu’il marque la date d’une défaite.
Toujours selon ces milieux, le camp présidentiel ne peut pas convaincre les Libanais de la justesse de sa position en utilisant le slogan de la lutte contre la corruption, alors que tout le monde sait qu’il tient à obtenir le tiers de blocage soit directement, soit par des moyens détournés (comme la proposition de former un gouvernement de 20 membres au lieu de 18, sachant que les deux ministres supplémentaires, un druze et un grec-catholique, seront dans la mouvance des 5 +1 de la part présidentielle dans un gouvernement de 18) pour tirer les ficelles du cabinet et renforcer la position du chef du CPL.
Enfin, pour les milieux proches du courant du Futur, il est totalement injuste d’accuser le Premier ministre désigné et ses alliés d’être derrière la hausse vertigineuse du dollar pour pousser le chef de l’État à renoncer à l’audit juricomptable, comme si la situation était normale et que la hausse du dollar par rapport à la livre n’était pas prévisible dans un tel contexte de blocage...
commentaires (12)
Ça ne nous rassure pas de lire que Aoun veut continuer à s’entêter comme à son habitude quitte à détruire le pays pour avoir le dernier mot et ensuite prendre ses jambes à son coup et partir vivre ailleurs avec les milliards volés. NON, cette fois ci il paiera cher son entêtement et n’ira nul part ni lui ni ses alliés à part en enfer puisqu’il est déjà soigneusement préparé par lui. Je n’arrive pas à croire qu’on puisse constater à quel point ce mec est dangereux et nuisible et qu’on le laisse encore disposer comme il veut avec toute sa cour de notre pays et surtout de nos vies. Hariri, Bassil, Aoun , BERRY, surtout lui et tous les autres ne devraient plus toucher à une seule fonction publique. Le peuple a décidé qu’il ne veut plus de cette bande de mafieux. Le Liban sera libre ou ne sera plus, nous leur laisserons des ruines, fruit de leur indigence totale et de leurs mesquineries plutôt que de les laisser encore nous maltraiter plus longtemps. Les libanais sont les seuls à avoir le droit de décider du sort de leur pays et plus aucun vendu ne sera désormais toléré. C’est le seul message qu’il faille leur adresser
Sissi zayyat
17 h 35, le 18 mars 2021