Le chef de l'Etat libanais, Michel Aoun, a appelé mercredi soir le Premier ministre désigné, Saad Hariri, à choisir entre deux options : se rendre au palais de Baabda afin de former "immédiatement un gouvernement" en accord avec la présidence ou "céder la place à une autre personne capable" de mener à bien cette mission. Cet appel a été lancé par le président Aoun au leader sunnite dans un très bref discours adressé aux Libanais, au cours duquel il a accusé M. Hariri d'avoir fait perdre "un temps précieux" aux responsables dans la mise sur pied de la nouvelle équipe, ce qui a "entraîné le pays dans une voie sans issue", alors que le Liban souffre d'une crise multiforme de plus en plus aiguë.
Depuis la désignation de Saad Hariri, le 22 octobre, ce dernier ne parvient pas à former son cabinet, en raison de désaccords persistants avec le président Aoun sur la forme du futur cabinet, la répartition des portefeuilles et la nomination des ministres. Les deux responsables ferraillent notamment sur la question de l'octroi du tiers de blocage au président et à la formation qu'il a créée, le Courant patriotique libre (CPL). C'est aussi autour du ministère de l’Intérieur que le bras-de-fer se poursuit entre les camps, aucune des deux parties ne souhaitant lâcher ce portefeuille stratégique à l’aune de trois consultations électorales prévues pour 2022 (municipales, législatives et présidentielle). La bataille se focalise également autour du portefeuille de la Justice, dont l’attribution dépend étroitement de celle de l’Intérieur. Jusque là, les différentes initiatives lancées pour tenter de rapprocher les points de vue ont toutes échoué et les deux principaux protagonistes ne se sont plus vus depuis plus d'un mois. Au cours de ce mois, les Libanais ont exprimé leur colère quotidiennement dans les rues du pays, face à la dépréciation toujours plus rapide de la monnaie nationale, qui s'échangeait autour des 14.000 L.L. pour un dollar après avoir atteint le seuil des 15.000 mardi, les annonces concernant la baisse des subventions, l'hyperinflation et l'incurie des dirigeants.
"Les chocs se succèdent"
Dans son discours aux Libanais, Michel Aoun a estimé que les souffrances des citoyens ont "atteint un niveau qu'aucun peuple ne peut supporter. À l'épidémie qui persévère et dure, se sont ajoutés la pauvreté, la misère, le chômage, l'émigration, la perte du pouvoir d'achat en raison de la hausse insensée du dollar américain par rapport à la livre libanaise, les pénuries de produits essentiels (...)". Il a évoqué une "situation insoutenable, alors que nous ne sommes pas encore remis de la tragédie de l’explosion du port de Beyrouth et de ses répercussions catastrophiques". "Chaque jour, les chocs se succèdent", a-t-il déploré, ce qui "exacerbe l'anxiété des Libanais vis-à-vis de leur incapacité de vivre de manière simple et décente".
Affirmant ne pas avoir voulu s'exprimer jusqu'à présent concernant la crise gouvernementale "pour éviter d'attiser les tensions et de divisions politiques", il a toutefois annoncé avoir décidé de "sortir de son silence pour demander au Premier ministre désigné de venir au palais de Baabda pour former immédiatement un gouvernement, en accord avec le président de la République, tel que c’est prévu dans la Constitution". Il a affirmé que les moutures gouvernementales que lui avait précédemment remises M. Hariri "ne respectent ni l'équilibre national ni la Constitution", ce qui a conduit à la "perte d'un temps précieux et entraîné le pays dans une voie sans issue". "Le peuple en souffrance sera sans pitié vis-à-vis des responsables du blocage et du maintien d'un gouvernement chargé de l'expédition des affaires courantes", a encore averti Michel Aoun. "Personne ne tirera profit de son poste ou des querelles et des échanges d'accusations si la nation s'effondre et que le peuple devient prisonnier du désespoir et de la frustration", a-t-il encore lancé. Et de lancer à Saad Hariri que s'il "ne peut mettre sur pied et présider un gouvernement de salut national, capable de s'attaquer à la situation dangereuse qui sévit dans le pays et dont souffre le peuple libanais, il devra céder sa place à une autre personne capable de le faire".
Dès la fin du discours, un convoi de partisans du Courant patriotique libre (CPL, qu'il a fondé) s'est dirigé vers le palais de Baabda pour lui afficher son soutien. Les automobilistes brandissaient des drapeaux oranges du parti et des portraits du chef de l'Etat, selon l'Agence nationale d'Information (Ani, officielle).
La réponse de Hariri, une présidentielle anticipée
Le Premier ministre désigné a réagi sans tarder au discours de M. Aoun, affirmant qu'il répondrait de la même façon au président afin de lui dire qu'il se rendrait "pour la dix-septième fois" à Baabda, "tout de suite si l'emploi du temps du président le permet", pour "discuter de la mouture remise au président depuis des semaines, afin de pouvoir former immédiatement le cabinet". "Toutefois, si le président est incapable de signer le décret de formation d'un cabinet de technocrates non-partisans, tel que cela est requis, il devra expliquer aux Libanais la véritable raison qui le pousse à faire obstruction à la volonté du Parlement qui a nommé le Premier ministre et qui l'empêche depuis de longs mois d'ouvrir la voie au sauvetage" du pays, a-t-il lancé. Et de souligner, toujours en s'adressant à Michel Aoun, que, le cas échéant, il faudra alors, "pour mettre un terme aux souffrances" des Libanais, "prévoir une élection présidentielle anticipée, ce qui constituera le seul moyen constitutionnel possible pour annuler les effets de son élection il y a cinq ans à la présidence par le Parlement qui m'a nommé Premier ministre désigné il y a cinq mois". Selon la chaîne al-Manar, organe du Hezbollah, Saad Hariri se rendra demain jeudi avant-midi au palais de Baabda. Des informations que des sources au palais présidentiel ont démenties.
Les propos de Michel Aoun sont intervenus quelques heures après ceux d'une source diplomatique française qui a indiqué qu'Européens et Américains doivent accroître les "pressions" sur la classe politique libanaise pour obtenir la formation d'un nouveau gouvernement et cela pourrait in fine aussi passer par des "sanctions". "Il faut un accroissement très fort des pressions sur les acteurs libanais. Le travail des prochaines semaines c'est cela", a déclaré ce diplomate à des journalistes.
Le président français Emmanuel Macron s'est fortement impliqué, en vain jusqu'à présent, pour tenter de débloquer la crise politique au Liban. L'arrivée d'une nouvelle administration à Washington change un tout petit peu la donne même si les Américains restent très hostiles à tout échange avec le Hezbollah, très puissant sur l'échiquier politique libanais et allié de Michel Aoun.
commentaires (36)
Concernant le convoi de partisans du cpl qui s'est rendu à Baabda pour soutenir leur mentor après son discours. Ils étaient combien ces illuminés ?
DJACK
20 h 16, le 18 mars 2021