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Culture - Rencontre

Dans la famille des Darwiche Conteurs, nous demandons la fille Najoua

La fille du grand Jihad Darwiche partage avec une certaine fougue l’expérience de cet héritage d’une parole adressée et toujours renouvelée.

Dans la famille des Darwiche Conteurs, nous demandons la fille Najoua

Najoua Darwiche sur scène. Photo DR

Najoua Darwiche décide d’être conteuse en 2014, après avoir travaillé dans le monde du spectacle. La même année, elle assure la première partie du spectacle d’Aldebert à l’Olympia, devant plus de 2 000 personnes : une carrière narrative et internationale est lancée. Sa grand-mère libanaise était conteuse, et dans le village de Marwaniyé, au-dessus de Saïda, elle racontait de nombreuses histoires à sa famille, à ses voisins, et à tous ceux qui le souhaitaient. « Mon père, Jihad Darwiche, nous a transmis à ma sœur et moi cet amour pour les contes. D’ailleurs, nous avons monté un spectacle tous les trois, Les Darwiche Conteurs. On l’a joué pour la première fois à la demande du festival Arabesques de Montpellier, sous un format de balade. Depuis, on le présente plusieurs fois par an, en faisant comme si on ouvrait la porte de notre salon. On invite les gens à entrer, et on leur raconte nos contes de famille, et ceux que l’on porte chacun en nous, car nous avons aussi des univers très différents. On reprend par exemple le conte préféré de mon enfance, qui est une adaptation des Mille et Une nuits », précise celle qui a reçu la médaille de bronze aux Jeux de la francophonie en 2017. « C’est l’histoire d’un marchand qui possède quarante chameaux, et qui rencontre un derviche, qui lui propose de récupérer un trésor. Et je rêvais de découvrir ce butin, j’avais même demandé à mon père de ne plus raconter cette histoire en public pour me laisser le temps de mener mes recherches… Et il a tenu parole pendant plusieurs années ! » poursuit la conteuse en riant.

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Les premiers spectacles de Najoua Darwiche s’articulent autour de la reprise de contes traditionnels. « C’est avant tout un métier de répertoire, je reprends des histoires patrimoniales, pour lesquelles je n’ai pas besoin d’une scène de théâtre, dit-elle. Je n’écris pas forcément le texte et je travaille davantage les images que les mots; l’approche ressemble à celle d’un réalisateur de cinéma, et les histoires sont envisagées comme des souvenirs. Par exemple, dans mon premier spectacle Pas chassés sur la courbe du monde, qui est un récital de contes aussi bien poétiques que philosophiques, amoureux ou absurdes, il y a un récit populaire italien, drôle et loufoque, qui met en scène trois vieilles sœurs. La plus jeune va réussir à épouser le prince grâce à un stratagème. En racontant, j’observe le tableau de ces femmes sur leur balcon, elles regardent passer les gens, puis le prince qui arrive sur son cheval. L’une d’elles lance son mouchoir parfumé, et je le regarde danser dans l’air, pour se poser sur l’épaule du seigneur. Je suis entièrement dans mon scénario, et je raconte ce dont je suis témoin. Mon second spectacle, Le goût des mots, est également un spectacle tout-terrain : je le joue aussi bien sur la place d’un village que dans une forêt, dans une prison ou dans une maison de retraite », enchaîne la conteuse, dont les spectacles sont régulièrement présentés en France, mais aussi en Suisse, au Congo, au Québec, en Grèce, au Maroc, au Liban…

Najoua Darwiche : « Ce qui m’intéresse dans mon travail, c’est de créer des espaces de rencontre pour les gens, autour d’une parole symbolique. » © Marianne Waquier

« Revoir les moments du passé s’imprimer sur le décor »

L’artiste franco-libanaise, qui a grandi à Avignon, vient de terminer son dernier spectacle, Celle qui ne savait plus rêver. « Je l’ai monté pour des scènes équipées, et je mélange écriture personnelle et conte traditionnel », indique la conteuse. Il s’agit d’une autofiction qui raconte l’histoire d’une femme d’aujourd’hui, prise entre la nostalgie de son enfance, marquée par le rêve et l’imaginaire, et le désir de réenchanter son quotidien d’adulte, dont elle fuit la monotonie par la danse, la fête et les paradis artificiels. Petit à petit, le personnage se reconnecte avec sa propre histoire. Darwiche a pu montrer quelques étapes de ce travail dans le cadre d’un festival à Brest, et au théâtre des Carmes d’Avignon ; des représentations sont prévues à Pouancé, et au festival des arts du récit, à Grenoble, au mois de mai. « Celle qui ne savait plus rêver est le premier volet d’un triptyque, autour du thème de l’identité, et du caractère essentiel des rêves et de la poésie, dans une société qui prône de plus en plus la rentabilité, la rapidité, le factuel et le tangible », commente une artiste en mal de communication directe avec son public, dans le contexte actuel. « Ce qui m’intéresse dans mon travail, c’est de créer des espaces de rencontre pour les gens, autour d’une parole symbolique : quand je raconte une histoire, on est tous réunis et pourtant, on est chacun dans son rêve. Lorsque j’avais dix ans, j’ai accompagné mon père à la nuit du conte d’un petit village des Alpes-Maritimes, Coursegoules, où s’installaient différents artistes, qui racontaient des histoires jusqu’au lever du soleil. Le public passait de scène en scène, j’étais dans mon duvet, j’écoutais les paroles de mon père, et je m’endormais au milieu de tous ces gens. Je n’oublierai jamais cette sensation de liberté intense, parce qu’on était tous ensemble à rêver dans l’espace public », se souvient Najoua Darwiche.

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Après avoir fondé deux festivals de contes à Nantes, où elle réside depuis quatre ans, l’artiste a lancé en octobre 2020 une émission mensuelle diffusée sur la radio associative Prun’, intitulée Héroïnes, dédiée aux artistes féminines, engagées dans le domaine de la parole, que ce soit par le conte, la poésie, la chanson, le théâtre. « Il s’agit également de faire entendre des histoires menées par des héroïnes féminines, qu’elles soient timides, fragiles, ou plus brillantes. Entre les récits, j’insère des chansons de tous les styles, hip hop, rap, pop... Rapidement une équipe de conteuses s’est constituée autour de moi pour animer l’émission, sur laquelle nous avons des retours très positifs. Plusieurs auditeurs découvrent le monde du conte, et ils se rendent compte de sa dimension actuelle et très moderne, au-delà de son image un peu surannée », explique la jeune femme, dont les émissions sont accessibles en podcast sur le site de la radio à l’adresse suivante : https ://www.prun.net/emission/5eRY-he roines.Suite aux explosions du mois d’août à Beyrouth, la mairie d’Avignon a souhaité organiser, entre le 2 et le 12 juin, une semaine culturelle autour du Liban, et c’est Jihad Darwiche qui est chargé de sa programmation. « Plusieurs artistes seront au rendez-vous, et nous sommes en train de préparer, Zeina Abirached et moi, un spectacle inédit, pour clore l’événement, où nous allons confronter nos deux univers artistiques et notre histoire avec le Liban. » L’artiste indique qu’elle va s’appuyer sur différents récits, comme un conte écrit par son père, al-Zireh, du nom d’une petite île au large de Saïda, et qui raconte une histoire d’amour entre une princesse et un berger. Il sera aussi question de l’enlèvement d’Europe, d’Adonis et d’Astarté, pour une exploration mythologique, narrative, visuelle et sonore. « Ma sœur, Layla, proposera un spectacle familial, en solo, centré sur des contes du Proche-Orient », annonce Najoua Darwiche avec enthousiasme. Et on se laisse facilement emporter par son élan, qui promet de belles surprises aux spectateurs d’Avignon. « Quand je me promène sur le port de Tyr, je vois les bateaux phéniciens chargés de marchandises, mettre les voiles vers les terres lointaines.

Je vois les bateaux d’Alexandre le Grand, je me retourne vers la ville, et là, c’est le vacarme ; voitures, motos foncent à toute allure, des klaxons, des vendeurs ambulants, des taxis, des groupes d’écoliers, partout, dans ce pays, le passé et le présent se mélangent sans cesse. Je regarde les vergers en terrasses et je rêve. Être et avoir été sans cesse, j’ai quatre yeux, je regarde la ville et je souris au paradis, je marche, je pleure. Je pleure un pays que je n’ai jamais vu, je pleure le paradis perdu, je pleure les mains de ma grand-mère. Est-ce que l’on peut regretter un temps que l’on n’a pas vécu ? Peut-on être mélancolique d’un lieu que l’on ne connaît pas ? Je regarde par-delà les panneaux publicitaires. Revoir les moments du passé s’imprimer sur le décor, entendre les fantômes rire et courir. » Lien vers l’émission

Héroïnes : https ://www.prun.net/emission/5eRY-heroines

Najoua Darwiche décide d’être conteuse en 2014, après avoir travaillé dans le monde du spectacle. La même année, elle assure la première partie du spectacle d’Aldebert à l’Olympia, devant plus de 2 000 personnes : une carrière narrative et internationale est lancée. Sa grand-mère libanaise était conteuse, et dans le village de Marwaniyé, au-dessus de Saïda, elle...

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