La guerre des communiqués à laquelle se sont livrés hier le courant du Futur et le Courant patriotique libre au sujet de la formation du gouvernement est symptomatique de l’état de dégradation des relations entre les deux camps adverses. En dépit de l’escalade verbale à laquelle les deux parties se sont livrées et du ton particulièrement belliqueux utilisé de part et d’autre, ce énième bras de fer entre les deux protagonistes pourrait ouvrir une brèche dans le mur, de l’avis de certains.
Dans les faits, et selon des informations relayées par plusieurs médias, Michel Aoun aurait suggéré au directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, qui fait la navette entre la Maison du Centre et Baabda depuis quelques semaines, la formule suivante : cinq ministres comptés dans son lot auxquels il faut ajouter un ministre pour son allié arménien, le Tachnag. Cela signifie que Baabda renoncerait donc au tiers de blocage qui était la pierre d’achoppement principale dans les tractations.
Mais la proposition ne s’arrête pas à ce stade puisque le président a demandé en contrepartie l’obtention du ministère de l’Intérieur, en plus d’un autre ministère de taille, la Justice, qu’il avait déjà négocié en amont. Autre condition rédhibitoire qu’il aurait placée, le refus du groupe parlementaire aouniste d’accorder la confiance au Premier ministre en contrepartie de ce que Baabda a présenté comme étant un sacrifice consenti à M. Hariri.
C’en était une de trop. Pour le courant du Futur, ces exigences frisent « l’insolence » et exacerbent la méfiance déjà élevée entre les deux parties. « Ce n’est pas d’une initiative qu’il s’agit, mais d’une manœuvre en bonne et due forme », aurait lancé Saad Hariri devant Abbas Ibrahim qui effectuait la médiation. Pour le Premier ministre désigné, il s’agit d’un cadeau piégé à plus d’un niveau.
En acceptant la mouture de dix-huit ministres également répartis entre les différents camps politiques, une formule qui était la sienne dès le départ, M. Hariri accorderait ainsi au président le beau rôle. Ce dernier passerait pour celui qui a fait des concessions et renoncé à un cabinet de 20 ou 22 comme le réclame son camp depuis des mois.
Mais c’est surtout le portefeuille de l’Intérieur exigé par Baabda qui constitue le gros lot pour les aounistes s’ils devaient l’obtenir. Considéré comme le plus régalien des ministères, il est d’autant plus important qu’il concentre en son sein des pouvoirs inouïs. Outre les responsabilités sécuritaires majeures dont ce ministère est en charge, il constitue un minigouvernement administratif et dispose d’un important pouvoir de gestion des divisions territoriales, puisque les municipalités et les mohafazats relèvent de lui. C’est surtout à ce département qu’échoit l’organisation des élections. En 2022, trois consultations majeures sont attendues : les législatives, les municipales et la présidentielle.
« Si Saad Hariri renonce à ce dernier rempart du pouvoir que constitue l’Intérieur, il risque d’en payer le prix fort », affirme l’ancien directeur général des Forces de sécurité intérieure et ancien ministre de la Justice Achraf Rifi.
« Après toutes les concessions qu’il a déjà consenties dans le cadre du compromis présidentiel, il risque de perdre tout ce qui lui reste comme popularité dans la rue sunnite », ajoute l’ancien ministre.
Mais c’est également un autre facteur qui semble tracasser Saad Hariri s’il devait abandonner ce ministère-clé. Le chef du courant du Futur craint ainsi qu’en briguant ce ministère, le camp aouniste ne s’en prenne à l’actuel directeur des FSI, Imad Osman, aux prises avec la justice dans plusieurs dossiers. Une manœuvre qui, aux yeux des haririens dont Osman est très proche, rappelle étrangement une chasse aux sorcières.
Pour le Premier ministre, ce serait une épée de Damoclès que ses adversaires politiques brandiraient constamment au-dessus de sa tête. Autant d’appréhensions que Saad Hariri auraient clairement exprimées devant Abbas Ibrahim avant de lui faire part de son refus.
La valse des communiqués
C’est dans l’optique de ce marchandage qu’il faut donc comprendre la bataille médiatique qui a eu lieu hier et qui a servi au courant du Futur comme au CPL de plateforme de dénonciation mutuelle.
Dans un communiqué, Saad Hariri a démenti qu’il y ait eu une telle « offre », soulignant que ni le général Ibrahim ni personne d’autre ne l’a informé qu’il est officiellement mandaté par le président de la République pour la lui transmettre. Un moyen pour le courant haririen de ne pas assumer la responsabilité du blocage. Le vice-président de la formation, Moustapha Allouche, a pourtant reconnu qu’il y a eu un tel marché, précisant à L’Orient-Le Jour que Saad Hariri n’acceptera de confier l’Intérieur qu’à « une personne neutre » non partisane.
Revenant sur le package deal proposé par le chef de l’État, le communiqué du Futur a voulu démonter la logique défendue par le camp du président et le courant aouniste.
« Si le groupe parlementaire du CPL ne va pas accorder sa confiance et va s’opposer au gouvernement, qu’est-ce qui justifie alors que le président de la République obtienne un tiers des membres du gouvernement (cinq plus un sur 18), comme le prétendent les auteurs de la fuite ? » s’interroge le courant du Futur.
Dans un tweet, Hussein el-Wajeh, conseiller de Saad Hariri, a repris les rênes et placé les conditions du marché : trois ministres spécialistes et non partisans sélectionnés par le chef de l’État si le groupe aouniste ne veut pas accorder la confiance au futur gouvernement. Et trois de plus s’il s’engage à le faire.
Entre-temps, le CPL avait déjà fait monter les enchères et accusé le Premier ministre d’avoir « pris en otage » le gouvernement et de tergiverser pour des raisons « externes connues ». Une allusion claire au souhait attribué à Saad Hariri d’obtenir l’aval de l’Arabie saoudite avant de trancher.
Le chef du courant du Futur avait déjà répondu à ces accusations feutrées qui avaient été relayées le matin dans le quotidien al-Akhbar. Le journal, connu pour sa proximité du Hezbollah, l’accusait d’avoir refusé en vrac la proposition du président et d’attendre pour cela le feu vert de Riyad. « Contrairement au Hezbollah qui attend toujours sa décision de l’Iran, Saad Hariri n’attend l’aval d’aucune partie extérieure pour former le gouvernement, ni l’Arabie saoudite ni aucune autre partie. Il attend plutôt l’approbation du président Aoun avec les modifications que le Premier ministre Hariri a proposées publiquement dans son discours retransmis en direct le 14 février, et non par des fuites dans la presse, comme cela semble être le cas aujourd’hui », conclut le texte.
La guerre des communiqués à laquelle se sont livrés hier le courant du Futur et le Courant patriotique libre au sujet de la formation du gouvernement est symptomatique de l’état de dégradation des relations entre les deux camps adverses. En dépit de l’escalade verbale à laquelle les deux parties se sont livrées et du ton particulièrement belliqueux utilisé de part et d’autre, ce...
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En attendant, le peuple et son agonie est le cadet de leurs soucis. Avec ce qu'ils ont accumulé comme fortune, ils pourraient s'occuper à s'accuser pendant des siècles. Il y a longtemps que la conscience a déserté le cerveau et le cœur de ces hommes. Il n'y a malheureusement plus rien à attendre ou à espérer de l'intérieur du pays. Il faut, ou une révolution sanglante, ou une intervention étrangère.
Citoyen
14 h 31, le 05 mars 2021