Maintenir le contact avec le Vatican, entretenir la relation avec Bkerké, renforcer l’alliance avec le Hezbollah, essayer d’obtenir un rendez-vous auprès de responsables français : comme à son habitude, Gebran Bassil veut être sur tous les fronts en même temps. L’initiative du patriarche maronite Béchara Raï, qui appelle à une conférence internationale pour le Liban et à consacrer le principe de neutralité positive dans le système politique libanais, met le leader chrétien dans une position délicate pour deux raisons : d’une part, elle vise surtout son principal et désormais seul allié, le Hezbollah ; d’autre part, elle lui dispute le droit de parler au nom de la défense des chrétiens, qui constitue le cœur de sa rhétorique. Les prises de position du patriarche ont mis en lumière une volonté d’en finir avec l’accord de Mar Mikhaël (conclu entre le CPL et le Hezbollah en 2006) qui permettait au parti chiite de bénéficier d’une large couverture chrétienne. Le chef du Courant patriotique libre cherche aujourd’hui à limiter les dégâts.
Obsédé par sa survie politique et le maintien de son leadership sur la scène chrétienne, il ne peut pas tourner le dos à Bkerké. Mais soutenir la démarche du patriarche, qui bénéficie notamment d’un large appui des Forces libanaises, le contraindrait à revoir toute sa stratégie politique basée sur le fait que son deal avec le Hezbollah doit lui permettre à terme d’accéder à la présidence. Le leader chrétien est donc forcé de faire de grands écarts en permanence, comme faire un pas vers Bkerké tout en s’opposant à l’appel du patriarche à une conférence internationale.
Ayant très tôt flairé que l’initiative de Bkerké deviendrait un sujet politique de premier plan, Gebran Bassil a tout de suite envoyé une délégation chez le patriarche il y a trois semaines environ. Afin d’éviter toute position qui pourrait mettre la formation dans un certain embarras politique, la délégation du CPL a certes discuté du principe de neutralité, mais surtout insisté sur la nécessité de mettre en œuvre les réformes, et avant tout l’audit juricomptable de la Banque du Liban. Gebran Bassil se veut le fer de lance de la lutte contre la corruption et se place comme le principal opposant sur la scène politique au gouverneur de la Banque centrale Riad Salamé qu’il veut écarter. Plus récemment, le parti fondé par Michel Aoun a estimé, depuis Bkerké, qu’il fallait d’abord favoriser le dialogue interne. Une façon, quelque part, d’enterrer le projet d’une conférence internationale, compte tenu du contexte actuel où aucune entente nationale ne peut voir le jour sur un dossier aussi sensible.
Visite au Vatican
Gebran Bassil veut à tout prix éviter la rupture avec Bkerké, qui se traduirait par une perte de popularité auprès des chrétiens. Mais il ne rate pas une occasion de contrer les initiatives du patriarche, comme lorsqu’il a choisi d’envoyer un message au Vatican, le 23 février dernier, par le biais d’une délégation qu’il a dépêchée auprès du nonce apostolique. Selon un diplomate européen, la lettre de Gebran Bassil au Vatican critiquait de façon indirecte les positions du patriarche Raï, insinuant que ses propositions ne reflétaient pas la volonté de la rue chrétienne. Dans son message, le CPL a plaidé, en priorité, pour le renforcement du rôle des chrétiens, s’appuyant sur une déclaration du pape François datant du 8 février dans laquelle il affirmait qu’« affaiblir la communauté chrétienne risque de détruire l’équilibre interne du Liban et la réalité libanaise elle-même ». « Le patriarche Raï a exprimé son mécontentement à l’encontre de l’action de Bassil, et la relation entre les deux n’est plus au beau fixe depuis un moment », affirme une source proche de Bkerké. D’autant plus que Mgr Raï tient Bassil pour responsable de l’échec de sa récente tentative de rapprocher le président de la République, Michel Aoun, et le Premier ministre désigné, Saad Hariri, en vue d’accélérer la formation d’un gouvernement.
Une version démentie par le CPL. « Les contacts avec le patriarche ne se sont pas interrompus et Bassil a demandé un rendez-vous à Bkerké pour expliquer son point de vue », soutient un proche du chef du CPL. Dans le même temps, Gebran Bassil chercherait à préparer une visite au Vatican, ou alors à se rendre en Irak pour participer à l’accueil du souverain pontife à Bagdad à la fin de cette semaine, dans l’espoir de se réunir avec des responsables du Saint-Siège et de partager sa vision des choses. En parallèle, il tente d’obtenir des rendez-vous à Paris avec les responsables qui gèrent le dossier libanais. Problème : le leader du CPL est persona non grata dans la capitale française et de plus en plus isolé sur la scène diplomatique, particulièrement depuis qu’il a été sanctionné par les États-Unis. Sa récente rencontre avec l’ambassadrice de France, Anne Grillo, s’inscrit dans une volonté de briser cet isolement. Mais en off, les diplomates français ne cachent plus que Paris fait assumer au gendre du président la responsabilité essentielle du blocage gouvernemental et déclarent comprendre la position de Saad Hariri.
commentaires (18)
Les relations entre la tête de l'église maronite et le Vatican date du VII siècle, difficile à un membre de la Communauté de s'immiscer entre les deux parties. Il fait de la politique et du bruit pour emballer un peu ses suiveurs et naturellement il essaie de faire parler de lui comme tout le monde. Ce type d'activité s'inscrit dans le mode de calcul "moi et Bill Gates sont milliardaires". Cet article est négatif pour lui en apparence mais au fond il lui apporte du crédit. La pire des insultes pour un(e) politique est que la presse cesse de parler d'elle ou de lui !
Shou fi
21 h 39, le 04 mars 2021