Face à la grave polémique déclenchée mardi par la vaccination de plusieurs députés et responsables parlementaires en violation présumée des règles en place, plusieurs élus ayant été vaccinés, notamment le vice-président de la Chambre, Elie Ferzli, tentaient mercredi de se justifier pour répondre à l'indignation populaire.
Mardi, environ une vingtaine de députés et responsables au Parlement se sont fait vacciner au sein de l'Hémicycle, en violation des règles en place et alors qu'ils font pas partie des publics prioritaires. La présidence libanaise a également confirmé que le chef de l'Etat, Michel Aoun, son épouse et dix de ses "proches" collaborateurs ont été vaccinés au palais de Baabda, à une date non précisée. Ces vaccinations ont suscité la colère de la population alors que seuls le corps médical et les personnes âgées de plus de 75 ans doivent être vaccinées durant la première phase du processus. La Banque mondiale, principal bailleur de fonds pour l'achat de doses de vaccins dans un Liban empêtré dans une grave crise économique, a menacé de suspendre ce financement en cas de violation des règles et conditions établies pour assurer une distribution équitable du vaccin. Cette polémique intervient alors que la campagne de vaccination n'en est qu'à sa deuxième semaine, le pays ayant jusque-là réceptionné environ 60.000 doses au total.
"Où est le mal ?"
Lors d'une conférence de presse ce midi au Parlement, Elie Ferzli a affirmé que "26 députés ont été contactés pour recevoir le vaccin anti-Covid et ce, en vertu du mécanisme en place car ils sont tous âgés de plus de 70 ans". Toute personne qui se fait vacciner actuellement doit toutefois être âgée de plus de 75 ans, ou faire partie du corps médical en première ligne dans la lutte contre le coronavirus.
Selon le vice-président du Parlement, "seuls onze députés ont été inoculés au sein de l'Hémicycle et tous étaient âgées de 70 ans ou plus". "Le reste des députés s'est fait vacciner dans des hôpitaux durant les jours précédents", a-t-il ajouté. M. Ferzli a également indiqué qu'un total de 22 personnes, comprenant députés et fonctionnaires du Parlement, ont été vaccinées. "Des doses restantes ont été données à un groupe de membres de la Croix-rouge", a-t-il également dit. Elie Ferzli a en outre fait savoir que le député Ayoub Hmayed, âgé de 66 ans, et qui était présent au Parlement hier, n'a pas pu se faire vacciner, n'ayant pas l'âge requis. "Où est le mal si des députés ont été contactés par un fonctionnaire du Parlement afin de se faire vacciner, en coordination avec le ministère de la Santé ?", s'est interrogé Elie Ferzli.
"Des représentants de la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge se sont rendus au Parlement, envoyés par la Banque mondiale, cette institution de +Farrouch Marrouch+, celui dont j'ignore le nom", a encore pesté Elie Ferzli, en écorchant le nom du directeur régional pour le Moyen-Orient de la Banque mondiale, Saroj Kumar Jha.
Pour l'heure, ni le ministre sortant de la Santé, Hamad Hassan, ni son ministère, n'ont jusqu'à présent communiqué à ce sujet. Tentant encore de se justifier, le vice-président du Parlement a rappelé que "25 députés et 25 fonctionnaires de la Chambre ont déjà été contaminés par le coronavirus, notamment quatre élus lors de réunions à l'Hémicycle".
"Hypocrite et menteur"
Dans des propos accordés au journaliste Timour Azhari, correspondant au Liban de la fondation Thomson Reuters, Elie Ferzli s'est montré plus virulent. Il lui a affirmé que le directeur régional pour le Moyen-Orient de la Banque mondiale, Saroj Kumar Jha, qui avait mis en garde contre une vaccination irrégulière de députés dès lundi, était un "hypocrite et un menteur". "S'il ne présente pas d'excuses, je ne le laisserai pas rester au Liban", a affirmé Elie Ferzli au journaliste. Mardi, "Saroj Kumar Jha avait affirmé sur Twitter que s'il y avait confirmation de violations, la Banque mondiale "pourrait suspendre son financement des vaccins et son soutien dans la lutte contre la pandémie à travers le Liban".
Interrogé par L’Orient-Le Jour, M. Ferzli a confirmé les propos qu'il a accordés à Timour Azhari, notamment le fait d'avoir traité de menteur M. Kumar Jha. "J’ai envoyé un message au siège de la Banque mondiale à Washington pour demander une enquête concernant leur représentant au Liban", a-t-il en outre révélé.
"Cette affaire est prise très au sérieux par la Banque mondiale. L’essentiel ce ne sont pas les propos de M. Ferzli, mais l’affaire de la vaccination et le fait qu’elle pourrait enfreindre les modalités convenues avec le gouvernement libanais", a affirmé à L'OLJ une source proche du dossier. "Pas malin de s’attaquer ainsi au directeur régional, car la BM pourrait, in fine, décider de relocaliser son siège régional hors du Liban", a ajouté cette source.
Dès mardi, plusieurs élus qui se sont fait vacciner au Parlement ont tenté de se justifier en affirmant notamment s'être enregistrés sur la plateforme électronique dédiée à la campagne de vaccination. Aujourd'hui, d'autres se sont exprimés. Sur Twitter, le député Anwar Khalil a affirmé s'être inscrit sur la plateforme électronique le 28 janvier. "Le 22 février, j'ai reçu sur mon téléphone portable un message selon lequel mon nom est listé parmi la catégorie de personnes visées par le vaccin. Je me suis rendu à l'hôpital de l'Université américaine de Beyrouth et non au Parlement. J'y ai été vacciné en sachant que j'ai 83 ans. Que Dieu pardonne aux calomniateurs", a-t-il écrit.
Le député Ali Osseirane a lui aussi affirmé s'être inscrit sur la plateforme et avoir été contacté lundi soir par le Parlement pour se faire vacciner le lendemain, en coopération avec le ministère de la Santé. "Je présente mes excuses à tous les Libanais pour l'erreur commise", a-t-il dit. L'élu Moustapha Husseini, a également affirmé s'être inscrit sur la plateforme et faire partie des personnes "vulnérables en raison d'un manque d'immunité". "J'ai attendu un message pour me confirmer ma date de rendez-vous mais j'ai finalement été contacté lundi par le Parlement (...)", explique le député, qui dénonce une campagne de calomnies dans les médias. Quant au député Nehmé Tohmé, il a démenti faire partie des élus vaccinés, affirmant avoir été vacciné jeudi dernier à l'Hôtel-Dieu.
Le docteur Firas Abiad, directeur de l'hôpital gouvernemental Rafic Hariri de Beyrouth, a pour sa part indirectement réagi à la polémique mercredi, affirmant qu'il serait difficile de regagner la confiance de la population sur ce plan. "Le facteur le plus précieux sur le plan des politiques de santé publique est la confiance. Tout comme le temps, la confiance, lorsqu'elle est perdue, est difficilement regagnée", a prévenu le médecin sur Twitter, sans mentionner explicitement la polémique sur la vaccination des députés. "La confiance ne peut être donnée. Elle se gagne et se construit graduellement à travers des exploits répétés caractérisés par la transparence (...)", a-t-il ajouté.
Le président du comité national chargé de la vaccination contre le Covid-19, Abdel Rahman Bizri, qui s'est indigné mardi de la vaccination des députés et qui était sur le point de présenter sa démission, a finalement décidé de la geler, à la suite de pressions exercées sur lui, jusqu’après la réunion du comité qui doit se tenir aujourd’hui à 18h. Selon notre publication sœur L'Orient Today, Thalia Arawi, membre de ce comité, a, elle, présenté sa démission à la suite de ce scandale.
Quel zouave. Pachidermique
03 h 45, le 26 février 2021