
Des soignants attendent à l'entrée d'un centre de vaccination contre le coronavirus au Liban. Photo João Sousa
La campagne de vaccination, au Liban, n'en est qu'au tout début de sa deuxième semaine, et la voilà déjà entachée par une polémique concernant la vaccination de députés.
Grave polémique puisque la Banque mondiale, principal bailleur de fonds pour l'achat de doses de vaccins dans un Liban enfoncé dans une grave crise économique, a menacé d'une suspension de ce financement en cas de violation des règles et conditions établies pour assurer une distribution équitable du vaccin. Une mise en garde lancée après une information rapportée par le journaliste Timour Azhari relative à la vaccination, aujourd'hui, de députés et fonctionnaires de plus de 70 ans du Parlement. Interrogé par M. Azhari, le secrétaire général du Parlement Adnan Daher, qui a annoncé cette inoculation, a assuré que cette campagne se fait "en accord avec les procédures". Il a également souligné, rapporte le journaliste, que les médias ne pourraient pas assister à cette vaccination. Une source parlementaire avait confirmé à L'Orient-Le Jour le lancement de cette opération de vaccination mardi, dans la bibliothèque du Parlement. L'agence Markazia avait de son côté précisé que Nabih Berry, le chef du Parlement, aurait refusé de se faire vacciner, souhaitant respecter l'ordre des priorités.
A notre publication sœur L'Orient Today, M. Daher a assuré que les députés vaccinés avaient été enregistrés sur la plateforme ad-hoc. Dans un bref communiqué repris notamment sur l'Agence nationale d'Information (Ani, officielle), M. Daher a précisé que les 16 députés avaient été vaccinés "en présence d'une équipe du ministère de la Santé et de la Croix rouge libanaise" et que "leur tour était venu" pour se faire inoculer. Il a justifié cette procédure en arguant du rôle des membres du Parlement et du fait qu'ils n'ont pas suspendu leurs réunions pendant la pandémie, évoquant "la crainte qu'ils ne transmettent le virus" s'ils le contractent. S'exprimant devant la presse, il a encore souligné que la procédure avait eu lieu au Parlement pour éviter tout "encombrement" dans les hôpitaux.
La Croix-rouge libanaise a réagi sur Twitter en affirmant qu'elle n'a "pas de rôle de supervision, de coordination ou de planification dans la campagne de vaccination contre le Covid-19". "Nos ambulanciers sont présents à la demande des autorités sanitaires, sur les sites de vaccination anti-Covid pour les personnes âgées de plus de 75 ans, afin d'assurer une prise en charge d'urgence et un transport vers les hôpitaux en cas de besoin", ajoute la CRL.
"Faute grave"
Les justifications de Adnan Daher n'ont pas semblé convaincre le président du comité scientifique pour la vaccination contre le Covid-19 au Liban, Abdel Rahman Bizri, qui a condamné la vaccination au siège du Parlement de ces députés, estimant qu'il s'agit d'une "violation" de la stratégie mise en place et d'une "faute grave". Alors qu'il avait évoqué, plus tôt dans la journée, sa démission du comité, il a tempéré ses propos lors d'une conférence de presse, annonçant que cette décision, ainsi que d'éventuelles mesures contre les personnes responsables, étaient suspendues jusqu'à demain 18h, heure à laquelle doit se réunir le comité scientifique sur la vaccination. Le médecin a précisé que toute décision dépendra notamment des justifications éventuelles émanant des responsables de cette "faute grave" et à leur promesse qu'une telle violation ne se répétera plus. Il a ajouté que, s'il avait la volonté de démissionner pour protester contre cet incident, il avait pris cette décision de reporter sa décision après des discussions avec des membres du comité scientifique et des représentants de la Banque mondiale, et notamment le directeur régional pour le Moyen-Orient, Saroj Kumar Jha.
Le président du comité scientifique pour la vaccination contre le Covid-19 au Liban, Abdel Rahman Bizri, lors de sa conférence de presse. REUTERS/Aziz Taher
"Pas de corruption"
Répondant en début de journée au tweet de Timour Azhari, Saroj Kumar Jha avait affirmé sur Twitter que les modalités d'inoculation de ces députés "ne respectent pas le plan national décidé en accord avec la Banque mondiale". "Nous enregistrerons les violations des conditions de vaccination établies, sur lesquelles nous nous étions mis d'accord afin d'assurer une vaccination juste et équitable. Tout le monde doit s'inscrire et attendre son tour", a-t-il écrit, ajoutant le hashtag "pas de corruption".
The vaccination of Lebanese MPs today is a “breach of terms and conditions agreed with [World Bank] for fair and equitable vaccination,” World Bank head says. #MafiaState #Corruption #YesWasta https://t.co/CeBfp0y1my
— Timour Azhari (@timourazhari) February 23, 2021
S'il y avait confirmation de violations, la Banque mondiale "pourrait suspendre son financement des vaccins et son soutien dans la lutte contre la pandémie à travers le Liban", a encore menacé M. Kumar Jha dans un second tweet. "J'en appelle à la responsabilité de chacun, indépendamment de votre poste, inscrivez-vous et attendez votre tour", a-t-il martelé.
Upon confirmation of violation, @WorldBank may suspend financing for vaccines and support for COVID19 response across Lebanon!! I appeal to all, I mean all, regardless of your position, to please register and wait for your turn.
— Saroj Kumar Jha (@SarojJha001) February 23, 2021
Selon la source parlementaire citée plus haut, Nabih Berry tentait, à la mi-journée, d'entrer en contact avec Saroj Kumar Jha.
Le président Aoun et son épouse vaccinés
La BM et la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) ont signé le 12 février un accord de partenariat, qui court jusqu'en décembre 2021, afin de superviser de manière indépendante la campagne de vaccination au Liban. Selon ces mesures, toute personne désirant se faire vacciner doit s'inscrire sur la plateforme ad hoc du ministère et attendre un rendez-vous.
Le coup d'envoi de la campagne de vaccination avait été donné le 15 février au pays du Cèdre. Aux 28.500 doses du vaccin Pfizer/BioNTech livrées le 13 février, se sont ajoutées les doses de la deuxième cargaison de 31.500 doses de ce même produit, arrivées samedi à l'aéroport de Beyrouth et qui ont commencé à être administrées lundi dans plusieurs centres du pays.
En soirée, la présidence de la République a confirmé que le chef de l'Etat, Michel Aoun, son épouse, Nadia Aoun, et "dix collaborateurs proches", se sont fait vacciner contre le coronavirus, sans pour autant préciser la date exacte de leur vaccination ni l'identité des dix collaborateurs en question.
40% des centres de vaccination ne respectent pas les mesures
Dans son premier rapport hebdomadaire sur la situation vaccinale, la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) au Moyen-Orient, chargée de la surveillance de la campagne, a, par ailleurs, noté que 40% des centres de vaccination ne respectaient pas les mesures prévues. Dans 15% des cas, les gestes barrières et les mesures de distanciation n'étaient pas respectées. 42% des patients n'ont en outre pas été informés des effets secondaires potentiels du vaccin. En outre, le transport du vaccin n'était pas bien organisé dans 38% des cas, relève l'organisation internationale.
1st week report of the Third Party Monitoring of #COVIDVaccination in #lebanon:
— IFRC Middle East and North Africa (@IFRC_MENA) February 23, 2021
- 85% of sites respected physical distancing.
- 54% had clear signage for complaints.
- 100% stored the #vaccine appropriatly.
- 40% of sites breached the national #vaccination plan. pic.twitter.com/8dPsBKTIH6
C'est dans ce contexte que le Dr Abou Charaf a déploré le fossé existant entre la stratégie "théorique" de vaccination au Liban et sa mise en œuvre sur le terrain, soulevant des "failles" et une "organisation lente, chaotique et loin d'être transparente". "De nombreuses violations ont eu lieu dans des centres de vaccination. Des groupes non prioritaires et des personnes non enregistrées sur la plateforme ont reçu le vaccin. Des médecins, dentistes, pharmaciens, infirmiers - en première ligne - et des personnes âgées de plus de 75 ans n'ont pas pu obtenir le vaccin. Ils ont appelé la ligne du ministère dédiée aux vaccins et personne n'a répondu", a rapporté le médecin et syndicaliste. "C'est inacceptable", a-t-il jugé, rappelant que "31 médecins libanais sont déjà décédés des suites du coronavirus". "Nous n'avons pas encore commencé la deuxième série de vaccinations et déjà la situation est insupportable. Les choses ne peuvent pas continuer ainsi", a-t-il estimé, concédant que "les fonctionnaires du ministère de la Santé sont soumis à une forte pression". Le président de l'Ordre des médecins a encore exhorté à "revenir à une plus grande transparence et à inviter le secteur privé à contribuer à cette tâche et à participer à la vaccination sous la tutelle du ministère", mettant en garde contre "une catastrophe" si cela n'était pas fait. "Il faut accélérer la vaccination pour que les variants du virus ne se multiplient pas, pour atteindre une immunité de groupe et pour protéger les personnes à risque. Le vaccin est notre seul espoir pour sortir de ce tunnel sombre", a encore affirmé le médecin.
Le président du syndicat des hôpitaux privés, Sleiman Haroun, a de son côté pris le contre-pied des accusations sur la "lenteur" du processus. Il a souligné que des "difficultés logistiques" avaient ralenti la vaccination la semaine dernière mais que les choses "commençaient à s'améliorer". Il a par ailleurs indiqué que, s'il restait des doses de vaccins supplémentaires dans les établissements, les hôpitaux disposaient de listes de personnes "en attente" qui pourraient se faire inoculer.
"Motifs extérieurs"
Pour sa part, Walid Khoury, conseiller du président Michel Aoun pour les affaires de santé, a imputé la lenteur de la campagne de vaccination à "des motifs extérieurs liés à la quantité de doses prévues pour le Liban", estimant que le rythme de la vaccination devrait accélérer avec l'arrivée du vaccin AstraZeneca qui est "facile à conserver et utiliser" dans le pays, à partir de début mars. Dans un entretien sur les ondes de la "Voix du Liban", M. Khoury a souligné que 70 % de la société pourrait être vacciné d'ici un an, permettant d'atteindre une immunité collective.
Le directeur de l'hôpital gouvernemental Rafic Hariri de Beyrouth, le docteur Firas Abiad, a de son côté souligné que, si l'agrandissement du centre de vaccination de l'établissement qu'il dirige a commencé, "pour parvenir à une capacité de 1.500 injections par jour", seules 154 personnes ont été vaccinées lundi dans ce centre et 80 personnes devront être inoculées ce mardi. Lundi, le Dr Abiad avait déploré un nombre "encore trop faible d'inscriptions sur la plateforme de vaccination en dehors de Beyrouth et du Mont Liban", du fait notamment d'une inégalité d'accès aux technologies numériques.
Outre le vaccin Pfizer-BioNTech, le ministre sortant de la Santé, Hamad Hassan, a annoncé vendredi la signature d'un contrat pour l'importation d'un million et demi de doses du vaccin AstraZeneca/Oxford. Des doses de ce vaccin et du russe Spoutnik V devraient être réceptionnées dans les prochaines semaines. Le ministère de la Santé a parallèlement commencé à étudier le dossier des vaccins chinois. Selon le dernier bilan des autorités, le pays a enregistré 59 décès et 2.723 nouvelles contaminations au cours des dernières 24h.
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La crasse de la terre. Le desert des tartares
Robert Moumdjian
12 h 09, le 24 février 2021