
File d’attente devant un centre de vaccination. Photo João Sousa
Il a fallu un peu plus d’une semaine pour qu’un premier scandale vienne entacher la campagne nationale de vaccination contre le Covid-19. Cette campagne a été marquée depuis son coup d’envoi le 14 février par plusieurs dérogations, comme la vaccination sans rendez-vous observée dans certains hôpitaux, dénoncée d’ailleurs à maintes reprises par le ministère de la Santé. Le scandale remonte à hier. Il éclabousse 16 parlementaires et cinq fonctionnaires de l’hémicycle ayant reçu le vaccin au siège même du Parlement, en pleine infraction aux règles et conditions établies dans le cadre de la stratégie nationale pour assurer une distribution équitable du vaccin. Au nombre de ces règles : la vaccination dans les centres accrédités par le ministère de la Santé à cet effet et non pas par « service à domicile », et le respect des priorités.
La polémique suscitée par ces dérogations est d’une ampleur telle que la Banque mondiale, principal bailleur de fonds de la campagne de vaccination, a menacé de suspendre son financement. De son côté, le président du comité national chargé de la vaccination contre le Covid-19, Abdel Rahman Bizri, était sur le point de présenter sa démission, mais a décidé finalement de la geler, suite aux pressions exercées sur lui, jusqu’après la réunion du comité qui devrait se tenir aujourd’hui à 18h.
Pour couper court à la polémique suscitée par cette information, rapportée au départ par le journaliste Timour Azhari sur son compte Twitter, le secrétaire général du Parlement, Adnan Daher, a tenu une brève conférence de presse soulignant que les vaccins ont été administrés au Parlement « en présence d’une équipe du ministère de la Santé et de la Croix-Rouge libanaise, qui est l’intermédiaire avec la Banque mondiale et qui est représentée par Ala’ Hajar, Nadine Khoury et le Dr Hussam Charkaoui ». M. Daher a en outre affirmé que tous ceux qui ont reçu le vaccin sont « enregistrés sur la plateforme de vaccination et font partie du groupe prioritaire ».
Ce qui n’est pas totalement vrai. Selon la stratégie nationale, reçoivent le vaccin en priorité les membres du personnel soignant ainsi que les personnes âgées de plus de 75 ans, sachant que ce groupe prioritaire est divisé en sous-groupes. Ainsi, ont reçu et continuent de recevoir le vaccin en premier les membres du personnel soignant en contact direct avec les patients du Covid-19 ainsi que les personnes âgées de plus de 85 ans. Or, sur les seize parlementaires vaccinés hier, seuls six ont plus de 75 ans : Wehbé Katicha (78 ans), Abdel Rahim Mrad (79 ans), Albert Mansour (82 ans), Anouar Khalil (83 ans), Mohammad Kabbara (77 ans) et Moustapha Husseini (75 ans). Les autres ont entre 69 et 74 ans : Élie Ferzli (71 ans), Michel Moussa (72 ans), Salim Saadé (71 ans), Ali Osseirane (74 ans), Nicolas Nahas (74 ans), Ghazi Zeaïter (72 ans), Yassine Jaber (70 ans), Anis Nassar (70 ans), Assaad Hardane (69 ans) et Fayez Ghosn (70 ans).
Les fonctionnaires privilégiés sont Adnan Daher (79 ans), Mohammad Moussa (80 ans), Riad Ghannam (72 ans), Nicolas Menassa (72 ans) et Simon Mouawad (57 ans). En soirée, Timour Azhari a affirmé avoir été notifié par Adnan Daher que les députés qui se sont fait vacciner sont au nombre de douze.
Assurant en outre que tous les députés se sont enregistrés sur la plateforme de vaccination, M. Daher a justifié ce service privilégié en arguant du rôle des parlementaires qui, selon lui, n’ont pas suspendu leurs réunions pendant la pandémie, évoquant « la crainte qu’ils ne transmettent le virus » s’ils le contractent. Il a encore prétexté que la procédure s’est déroulée place de l’Étoile pour éviter tout « encombrement » dans les hôpitaux. Des informations qui ne sont pas entièrement justes. Selon des sources informées citées par la chaîne LBCI, toutes les personnes vaccinées au Parlement n’ont pas suivi la procédure établie dans le cadre de la stratégie.
Prémices du scandale
Les prémices du scandale se sont fait sentir lundi, lorsque le Dr Bizri reçoit un appel du directeur régional pour le Moyen-Orient de la Banque mondiale, Saroj Kumar Jha, qui lui a fait part d’une « information qu’il a reçue selon laquelle une équipe du ministère de la Santé allait se rendre le lendemain au Parlement pour y faire vacciner un groupe de députés », raconte-t-il à L’Orient-Le Jour. « J’ai directement appelé le ministère de la Santé et l’ai averti d’une telle démarche, poursuit le Dr Bizri. On m’a assuré qu’une telle chose n’aura pas lieu. » À sa grande surprise, c’est tout le contraire qui s’est produit. En effet, plusieurs députés contactés par L’OLJ ont confié que le secrétariat général du Parlement les a appelés pour les inviter à venir se faire vacciner le lendemain.
« De telles erreurs non justifiées nuisent à la campagne, à l’image du ministère de la Santé et aux députés eux-mêmes, martèle le Dr Bizri. Après tout, la vaccination est un long processus d’au moins neuf mois. Si nous ne posons pas des garde-fous dès le départ et ne gardons pas la campagne à l’abri des pressions politiques et du clientélisme, elle va échouer. Il est important de la protéger pour en sortir avec le moins de dégâts et d’erreurs possible. » Et d’assurer : « Le comité a un rôle consultatif. Nous émettons des recommandations. Nous ne prenons aucune décision. »
Ce qui est sûr, c’est que les doses de vaccin sont distribuées aux centres de vaccination avec l’accord du ministère de la Santé. Qui a alors donné l’ordre pour ce traitement de faveur ? L’administration observait hier un mutisme absolu. Tant le ministre sortant Hamad Hassan que son équipe étaient injoignables. Aucun communiqué n’a même été publié. Quant au conseiller du ministre, Mohammad Haïdar, il a affirmé à notre journal avoir eu vent de cette dérogation « par les médias ». Lui-même médecin, il a assuré avoir consacré sa journée d’hier à ses patients. « Si la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FIRC) était présente, c’est que le processus s’est déroulé en toute transparence », a-t-il noté.
Documentation des infractions
Des délégués du FIRC étaient bel et bien présents, place de l’Étoile, « comme c’est le cas avec tous les centres de vaccination accrédités », affirme à L’OLJ Rana Sidani Cassou, chargée de communication à la FIRC. Elle explique que suivant la procédure suivie, la FIRC reçoit chaque matin une liste des centres qui seront opérationnels. « Le Parlement figurait sur cette liste », avance-t-elle, s’abstenant de tout autre commentaire. « Nous documentons toutes les infractions observées et les envoyons à la Banque mondiale qui nous a mandatés pour cette mission », dit-elle.
De son côté, la CRL a réagi sur son compte Twitter affirmant qu’elle n’a « pas de rôle de supervision, de coordination ou de planification dans la campagne de vaccination contre le Covid-19 ». « Nos ambulanciers sont présents, à la demande des autorités sanitaires, sur les sites de vaccination anti-Covid pour les personnes âgées de plus de 75 ans, afin d’assurer une prise en charge d’urgence et un transport vers les hôpitaux en cas de besoin », a conclu la CRL.
Par ailleurs, quelques heures après la connaissance de ce scandale, des informations ont circulé sur les réseaux sociaux selon lesquelles un traitement de faveur similaire a bénéficié aux locataires du palais de Baabda. Le bureau de presse de la présidence de la République n’a pas démenti ces informations. Dans un communiqué, il a précisé que le chef de l’État Michel Aoun, son épouse Nadia et dix membres de l’équipe proche du président ont reçu récemment le vaccin et qu’ils sont tous inscrits sur la plateforme. Qu’en est-il des dix fonctionnaires ? Font-ils réellement partie des groupes prioritaires ?
commentaires (19)
une seule punition pour ces gens audessus de la loi NE PAS LES AUTORISER A PRENDRE LA DEUXIEME DOSE AVANT QUE TOUS LES LIBANAIS QUI LE VEULENT SOIT VACCINNES CAD PAS AVANT FIN 2022
LA VERITE
15 h 59, le 24 février 2021