Le patriarche maronite Béchara Raï a de nouveau tenu des propos très critiques à l'encontre du président de la République, Michel Aoun, et du Premier ministre désigné, Saad Hariri, alors que les relations entre ces deux derniers sont au plus bas du fait d'un bras-de-fer politique autour de la formation du prochain gouvernement. Cette tâche avait été assignée à M. Hariri le 22 octobre. Le cabinet de Hassane Diab avait démissionné le 10 août dans la foulée de l'explosion meurtrière au port de Beyrouth. Le chef de l'Église maronite a estimé que si les relations entre les deux hommes ne s'amélioraient pas, il ne pourrait y avoir de nouveau gouvernement.
"Condamnés à s'entendre"
"Il est vraiment triste et honteux que le désaccord injustifié autour de l'application de l'article 53/4 de la Constitution soit à l'origine des relations tendues entre le président de la République et le Premier ministre désigné, au point de se répondre par communiqués interposés, comme s'il s'agissait de barricades qui minent encore plus l'unité interne ", a dénoncé Béchara Raï dans son homélie dominicale au siège patriarcal de Bkerké. "Le président de la République se doit d'être au-dessus des conflits et des partis, et le Premier ministre se doit de comprendre tout le monde et se libérer de tout le monde (...)", a rappelé le prélat. "Si la relation entre les deux hommes ne s'améliore pas, nous n'aurons pas de gouvernement. Ils sont condamnés à s'entendre sur la formation d'un cabinet de mission nationale comprenant une élite d'experts et non des membres affiliés aux chefs et aux partis", a-t-il prévenu. Selon lui, "insister sur le blocage provoque la révolte des affamés et entraîne le pays vers l'effondrement. Il s’agit d’une logique conspiratrice et destructrice à laquelle il faut mettre un terme pour sauver le Liban".
Le nouveau gouvernement est attendu depuis la démission du cabinet de Hassane Diab, le 10 août, suite à la double explosion au port de Beyrouth qui a fait plus de 200 morts. Il n'a cependant pas encore vu le jour en raison des divergences entre le Premier ministre désigné et le chef de l'État, transformées en vives tensions entre leurs camps respectifs et marquées par des échanges réguliers d'accusations et de critiques. Le 1er septembre, lors de sa deuxième visite au Liban en moins d'un mois, le président français, Emmanuel Macron, avait présenté une initiative pour le redressement économique et financier du pays. Dans cette feuille de route figuraient plusieurs priorités, en tête desquelles la formation d'un "cabinet de mission", dont toutes les formations politiques libanaises s'étaient engagées à faciliter la mise sur pied dans un délai de quinze jours. Mais à ce jour, cette initiative ne s'est toujours pas concrétisée. M. Macron a fait savoir vendredi qu'il comptait se rendre une troisième fois au Liban afin de réactiver cette initiative.
"Vous pavez la voie aux casseurs"
Entre temps, la situation au Liban, frappé de plein fouet par le coronavirus, ne cesse de se dégrader, notamment avec un confinement généralisé et strict qui affecte les classes les plus défavorisées. Ainsi, Tripoli, ville la plus pauvre du pays, a connu des émeutes au cours de la semaine écoulée, faisant un mort et plus de 300 blessés dans des affrontements entre protestataires et forces de l'ordre.
"Nous condamnons, bien entendu, fermement la violence qui accompagne les manifestations à Tripoli. Nous déplorons les attaques contre les institutions publiques et les propriétés privées, et contre l'armée et les forces de sécurité libanaises", a réagi Mgr Raï. "Mais au lieu de faire des analyses, chers responsables politiques, sur qui se tient derrière les manifestants, dans le but de justifier vos manquements, il aurait été plus bénéfique pour vous d'anticiper l'explosion croissante et de traiter la pauvreté dans les quartiers de Tripoli et la faim dans le pays", a souligné le prélat. "Vous-mêmes vous pavez la voie aux casseurs et à ceux qui les instrumentalisent", a accusé Mgr Raï. "Arrêtez d'ignorer les vraies causes. Celles-ci sont socio-économiques et financières. La pauvreté, la faim et le désespoir motivent les manifestants, et vous, vous ne faîtes que vous renvoyer la responsabilité, y compris pour ce qui est de former un gouvernement", a-t-il fulminé.
Peuple orphelin"
"Le peuple libanais n'a jamais été orphelin comme il l'est aujourd'hui. Il se tourne vers d'autres pays plutôt que le sien. Au lieu d'organiser ses propres élections, il attend les élections des autres. Au lieu de voir une réforme dans les institutions de son pays, il se tourne vers les institutions de la communauté internationale. Au lieu de faire confiance à ses responsables, il met toute sa confiance dans des responsables étrangers. A défaut de pouvoir compter sur la justice de son pays, il réclame la justice internationale", s'est désolé Béchara Rai. "Pourriez-vous en tirer une leçon et exercer vos responsabilités ?", s'est-il enfin interrogé.
commentaires (9)
Raï : Si la relation entre Aoun et Hariri ne s'améliore pas, nous n'aurons pas de gouvernement tant mieux il y aura moins de voleurs pour voler le peuple
youssef barada
21 h 48, le 31 janvier 2021