En dépit des médiations entreprises ouvertement ou dans les coulisses en vue d’un compromis autour d’une formule gouvernementale qui favoriserait la mise sur pied de la nouvelle équipe Hariri, le blocage reste total et les deux principales parties au conflit, à savoir le président Michel Aoun et le Premier ministre désigné Saad Hariri, continuent de camper chacune sur sa position.
Le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, engagé dans une mission de bons offices, est loin cependant de baisser les bras et poursuit ses contacts dans l’espoir de dégager des idées sur lesquelles MM. Aoun et Hariri pourraient bâtir une entente pour une formule gouvernementale dans laquelle il n’y aurait ni vainqueur ni vaincu.
Une tâche des plus difficiles cependant pour l’homme réputé pour défaire les nœuds les plus tenaces et régler les situations les plus compliquées. Et pour cause : dans le conflit Aoun-Hariri, plusieurs paramètres entrent en jeu. Les deux plus importants, qui sont intrinsèquement liés, restent l’un d’ordre personnel et l’autre en lien avec l’avenir politique aussi bien de Saad Hariri que de celui du gendre du président, le chef du CPL Gebran Bassil.
Au plan personnel, la confiance est totalement absente entre la Maison du Centre et Baabda, depuis l’effondrement du compromis présidentiel qui avait permis à Michel Aoun d’accéder à la tête de la République et dont les deux principaux piliers, rappelle-t-on, étaient les Forces libanaises et le courant du Futur. Avec les échanges de critiques et d’accusations entre les deux parties, qui ont parfois atteint des niveaux inégalés de violence, les ponts sont restés totalement rompus entre la Maison du Centre et Mirna Chalouhi (siège du CPL) en dépit des tentatives de Michel Aoun de convaincre M. Hariri de prendre contact avec Gebran Bassil, après sa désignation pour former la nouvelle équipe ministérielle.
Des sources politiques qui suivent de près les efforts de médiation estiment que si la mission de Abbas Ibrahim s’avère aujourd’hui particulièrement difficile, c’est parce que l’ombre de la présidentielle de 2022 commence à planer sur le pays, ce qui explique entre autres l’épreuve de force entre Baabda et la Maison du Centre autour de l’attribution des portefeuilles de la Justice et de l’Intérieur, le ministère qui doit préparer et organiser les législatives de 2022.
Non seulement les aounistes soupçonnent Saad Hariri d’être derrière les sanctions américaines contre Gebran Bassil, selon les mêmes sources, mais ils considèrent que le Premier ministre désigné est favorable à l’élection du chef des Marada Sleimane Frangié à la tête de l’État, à la fin du mandat Aoun, et qu’il est soutenu en cela par le chef druze, Walid Joumblatt, et le président de la Chambre et chef du mouvement Amal, Nabih Berry. Dans les milieux aounistes, on impute également au Hezbollah l’intention de soutenir la candidature de Sleimane Frangié à Baabda, si jamais les sanctions américaines continuent de barrer la voie à une accession de Gebran Bassil à la première magistrature de l’État.
C’est ce qui aurait contribué entre autres à secouer les relations entre le CPL et le Hezbollah engagés aujourd’hui dans un chantier de révision/consolidation de l’accord de Mar Mikhaël, à travers des commissions internes.
La page du conflit Hariri-Bassil aurait pu être tournée si le Premier ministre désigné avait accepté de rencontrer le chef du CPL dans le cadre de ses consultations pour la formation du gouvernement, répondant ainsi à un vœu exprimé par le chef de l’État. Mais de sources proches de la Maison du Centre, on assure que Saad Hariri n’avait rien à voir avec les sanctions contre le chef du CPL. On ajoute que le Premier ministre désigné avait consulté tous les groupes parlementaires, dont celui du CPL, avant de plancher sur la composition de son équipe et qu’il était donc inutile de voir le chef de ce groupe seul.
À cette explication, s’ajoute aussi le fait que M. Hariri ne souhaite pas rétablir le contact avec Gebran Bassil au moment où il essaie de se rapprocher de nouveau de l’Arabie saoudite, d’autant plus que ce dernier fait l’objet de sanctions imposées par Washington.
Dans cette perspective de rapprochement avec les pays du Golfe, qui explique sa visite aux Émirats arabes unis récemment, le Premier ministre désigné souhaite mettre en place une équipe ministérielle dont la composition et le programme répondraient aux vœux de la communauté internationale.
Dans les milieux aounistes, on considère cependant que la donne pourrait changer avec l’arrivée du démocrate Joe Biden à la Maison- Blanche, en ce sens que la politique des sanctions qui était appliquée par l’administration du président Donald Trump pourrait être révisée et que le chef du CPL serait le premier à en bénéficier.
Ces données font dire aux sources qui suivent de près les efforts de médiation que le blocage risque ainsi de se prolonger jusqu’au printemps, le temps que la politique de l’administration Biden au sujet du Proche-Orient se clarifie, notamment en Syrie, avec la présidentielle prévue dans ce pays et par rapport à l’Iran. Le camp du président de la République est persuadé que le chef du CPL sera de nouveau dans la course à Baabda, ce qui expliquerait le durcissement de position de Michel Aoun qui, compte tenu de l’intransigeance du Premier ministre désigné au sujet de la composition de son équipe – dans laquelle il refuse que le tandem CPL/Baabda puisse avoir la minorité de blocage –, a fini par ne plus vouloir de Saad Hariri pour diriger le dernier gouvernement de son mandat.
Les motifs de ce blocage sont parvenus au chef de l’Église maronite, le patriarche Béchara Raï, qui a essayé, rappelle-t-on, d’œuvrer pour une réconciliation Aoun-Hariri et qui, en désespoir de cause, continue de hausser le ton critiquant vivement les dirigeants qui font primer selon lui leurs intérêts au détriment d’un pays en chute libre sur tous les plans et d’une population saignée à blanc.
commentaires (12)
J'epère seulement que les milieux aounistes, savent que le justice américaine ce n'est pas celle de Ghada Aoun.
DJACK
02 h 27, le 28 janvier 2021