Depuis l’entretien téléphonique de 60 minutes dimanche soir entre le président français Emmanuel Macron et son homologue américain Joe Biden, les spéculations vont bon train au Liban. D’autant que dans le communiqué officiel publié par l’Élysée au sujet de cet entretien, il était question d’une volonté de coopérer sur les dossiers du Moyen-Orient, notamment « l’accord sur le nucléaire iranien et le Liban ». Pour certaines parties libanaises, c’est la preuve que le dossier libanais reste au cœur des préoccupations des deux parties et ce qu’on appelle « l’initiative française » devrait donc être relancée au cours des prochaines semaines.
Mais d’autres parties libanaises relèvent le fait que le communiqué publié par la Maison-Blanche, toujours au sujet de cet entretien téléphonique, ne mentionne nullement le Liban, parlant plutôt d’une coopération au sujet de la Chine, de la Russie et du Moyen-Orient. Ce qui signifie, selon ces parties, que le dossier libanais n’est pas une priorité, en tout cas pour la nouvelle administration américaine, et les Français tous seuls ne peuvent pas faire grand-chose, selon ce qu’a montré l’expérience des derniers mois.
C’est dans ce contexte de divergence dans les interprétations des deux communiqués publiés par l’Élysée et par la Maison-Blanche que l’ambassadrice des États-Unis Dorothy Shea a pris hier le chemin de Baabda, de Aïn el-Tiné et du domicile du président du Conseil désigné, après plusieurs semaines d’absence.
Selon les informations recueillies auprès de diverses sources, la tournée de l’ambassadrice des États-Unis auprès des responsables libanais avait essentiellement un caractère informatif, Mme Shea s’étant contentée de poser des questions sur la situation générale, la formation du gouvernement, les développements dans le processus d’audit juricomptable et d’autres dossiers d’actualité. Le seul sujet sur lequel elle aurait émis un souhait, c’est celui des négociations sur le tracé des frontières maritimes, assurant au président de la République, qui supervise ces négociations, que l’administration américaine est favorable à leur reprise, de préférence avec de nouvelles idées, les précédentes ayant abouti à un refus israélien de poursuivre le processus.
S’il est bien sûr encore trop tôt pour se faire une idée claire de la politique de la nouvelle administration américaine au sujet du Liban, il semble toutefois qu’elle soit plus malléable que celle de la précédente, au moins à ce stade.
Ajouté à la volonté de l’Élysée de mentionner le dossier libanais dans le communiqué publié au sujet de l’entretien téléphonique avec le nouveau président des États-Unis, cet élément confirme l’existence d’une nouvelle marge de manœuvre accordée aux Français dans la gestion du dossier libanais.
Selon une source diplomatique européenne, le fait que le communiqué de la Maison-Blanche ne mentionne pas le Liban ne signifie pas que ce dossier n’a pas été évoqué par les deux présidents, mais simplement que la Maison-Blanche ne le considère pas comme étant de la plus haute importance. Aux yeux de Washington, le dossier libanais est pratiquement une déclinaison du contentieux avec l’Iran. Pour la France, par contre, il s’agit d’un dossier qui existe en tant que tel, même s’il a des implications régionales, que ce soit dans le cadre de l’approche avec l’Iran ou les pays arabes. De plus, la volonté de l’Élysée de le mentionner dans le communiqué, publié suite à l’entretien téléphonique entre Emmanuel Macron et Joe Biden, montre que la France considère que son initiative est toujours d’actualité, voire qu’il est temps de la relancer, toujours selon la source diplomatique européenne. D’ailleurs, dans leurs cercles fermés, les Français reconnaissent que l’administration de Donald Trump n’avait pas facilité la mission de la France au Liban, d’abord en multipliant les déclarations dans les médias pour dire qu’il existe des divergences entre les approches française et américaine sur le Liban, et ensuite en choisissant ce timing précis pour imposer des sanctions à des personnalités libanaises, provoquant ainsi une radicalisation des positions au Liban. Avec l’administration Biden, qui a d’autres priorités et qui laisse une place au multilatéralisme et aux concertations avec les partenaires internationaux, avec à leur tête l’Union européenne dans les dossiers d’intérêt commun, la France a donc forcément une plus grande marge de manœuvre pour agir et selon la même source, elle compte l’utiliser.
Jusqu’à présent, la formation d’un gouvernement de spécialistes ou de technocrates, ayant la bénédiction des parties politiques, reste la meilleure solution pour mettre le Liban sur les rails d’une sortie de crise, en procédant aux réformes nécessaires et lui permettre de renouer le dialogue avec la communauté internationale. Toutefois, l’expérience des derniers mois a montré aux Français qu’une partie au moins de la classe politique en place ne veut pas engager les réformes nécessaires et compte sur la dégradation de la situation sociale, économique et financière pour rester en place et s’imposer comme la seule solution possible. Comment dans ce cas la France peut-elle envisager de relancer son initiative au Liban, sans retomber dans les mêmes pièges et se heurter aux mêmes blocages ? Pour rappel, il faut préciser que le premier choix de Paris était qu’un gouvernement entièrement formé de spécialistes soit mis en place (présidé par l’ambassadeur Moustafa Adib), mais elle a dû s’incliner devant la volonté de la plupart des parties de confier la mission au chef du courant du Futur Saad Hariri. Autrement dit, la position de la France n’est pas rigide, mais cette fois, il lui faut des résultats concrets. Il y a donc sans doute une opportunité à saisir. Paris en tout cas est prêt, mais il faut aussi que les Libanais le soient. Sinon le dossier libanais sera oublié jusqu’à ce que les contours de la prochaine étape dans la région se précisent.
commentaires (6)
Tous les pays savent que le pillage du Liban et des Libanais a commencé depuis bien longtemps. Si on compte les années ou la Famille Hariri et ses Agents étaient au pouvoir on peut facilement reconnaitre ou réside une grande part du mal Libanais, lequel et tout le monde le sais aussi a été amplifié par la république et la présidence parallèle de Hizb-Allah. Comment Mr. Macron peut espérer des reformes réelles si les "réformateurs" désignés sont à la source du mal? La France nous dits aider vous pour qu'on puisse vous aider, la vraie question qui a réellement besoin de réponse est : si on continue à prouver que nous ne pouvons pas nous aider nous-même, alors que faire? Est-ce agir comme le note un des titres de l’OLG le 27.01.21 ?
Joseph Bouchi
12 h 58, le 27 janvier 2021