Les consultations parlementaires contraignantes pour la désignation d’un nouveau Premier ministre ont été ajournées d’une semaine, a annoncé, hier à 21h, le bureau de presse de la présidence de la République. Ces consultations, qui étaient prévues ce matin au palais présidentiel, se tiendront donc le jeudi 22 octobre. Ce report est destiné à satisfaire la demande de certains blocs parlementaires « en raison de l’émergence de difficultés qui nécessitent d’être surmontées », selon la présidence. Une source proche du dossier assure que c’est l’absence d’un appui chrétien consistant à la candidature de Saad Hariri qui a fait capoter les consultations. En effet, aucun consensus au sein du bloc du Liban fort de Gebran Bassil n’a émergé sur cette candidature, tandis que les Forces libanaises avaient décidé de ne pas l’appuyer, « nonobstant les liens d’amitié et la solidarité historiques qui lient Saad Hariri et Samir Geagea, comme piliers du 14 Mars », selon leurs sources. La décision de report a provoqué la colère du président de la Chambre, Nabih Berry, qui a affirmé dans un communiqué lapidaire être hostile à tout report, « même d’un seul jour ».
L’ajournement de dernière minute compromet le pas qui allait être franchi aujourd’hui vers la formation d’un nouveau gouvernement. Après une tournée politique de deux jours effectuée mardi et hier par une délégation du courant du Futur, sous la conduite de la députée Bahia Hariri, un consensus étriqué semblait pourtant s’être fait au finish sur la personne de l’ancien chef de gouvernement, Saad Hariri, qui s’était présenté comme le « candidat naturel ». Ce dernier allait être nommé grâce, notamment, à l’appui des blocs parlementaires de Nabih Berry, de la Rencontre démocratique de Walid Joumblatt, des Marada de Sleimane Frangié et du courant du Futur. Le bloc du Liban fort de Gebran Bassil, lui, s’était résigné à s’en remettre au chef de l’État pour le choix d’un Premier ministre, une délégation de pouvoir que certains jugent anticonstitutionnelle. C’est là que gît la « difficulté » évoquée par le communiqué présidentiel. Une première version de cette « délégation de pouvoir » contestable s’était produite en 1998, quand sous le mandat du président Émile Lahoud, elle avait opéré en faveur de Rafic Hariri. Ce dernier avait refusé à l’époque d’en bénéficier.
Pour éviter la réédition de ce scénario, et prévenir une désignation qui signifierait la réapparition d’une « alliance quadripartite » entre le tandem chiite, le Parti socialiste progressiste et le courant du Futur, de sorte que le Premier ministre serait élu principalement par des forces musulmanes, le chef de l’État a préféré donner à MM. Hariri et Bassil une semaine supplémentaire pour s’entendre sur la forme du gouvernement. C’était donc la couverture chrétienne qui faisait le plus défaut, au regard notamment des réserves exprimées par M. Bassil, lors de la récente commémoration du 13 octobre 1990, en particulier celle de voir un « politique » présider « un cabinet de spécialistes ». « Certes, même s’il ne disposait pas des voix du bloc du Liban fort, M. Hariri aurait disposé, en cas de désignation, de ce qu’il est convenu d’appeler la » couverture constitutionnelle « du chef de l’État en personne. De toute évidence, le chef historique et le chef actuel du Courant patriotique libre n’ont plus voulu la lui accorder », estime une source politique chrétienne.
Une autre incertitude avait également plané sur le sort des consultations : celle du vote druze. Toute la journée, M. Hariri devait faire face à un silence hostile de Walid Joumblatt et à un tweet sarcastique de Talal Arslane. Toutefois, il semble qu’un discret contact de Paris ait fini par convaincre le chef du PSP de s’ouvrir aux avances politiques de M. Hariri. Un entretien en soirée entre les deux hommes avait fini par convaincre M. Joumblatt de se joindre aux consultations parlementaires – ce qu’il avait refusé de faire en un premier temps –, révèle notre correspondant politique Mounir Rabih.
Relance de l’initiative française
Avec la désignation de Saad Hariri pour former le nouveau gouvernement, c’est l’initiative du président Emmanuel Macron qui devait recevoir à nouveau l’approbation des diverses forces politiques, ce qui explique qu’en soirée, selon certaines sources, la France avait fortement plaidé pour le non-ajournement des consultations. Ce programme de réformes en six points est en effet considéré comme « la dernière chance » du Liban d’accéder à une aide de la communauté financière internationale de nature à sortir l’État libanais de l’abysse financier où il se trouve, de commencer à régler ses dettes internationales et nationales, et de relancer l’économie et l’emploi. Ce fait en lui-même aurait assuré au président du Conseil désigné une couverture française et américaine, et peut-être même une neutralité bienveillante de la part de l’Arabie saoudite.
On ne saurait trop insister sur cet aspect des choses, dans la mesure où, lors de la prestation télévisée au cours de laquelle il s’était porté candidat, M. Hariri avait posé comme condition à sa désignation un accord sans réserve aux réformes préconisées. Un accord qui devait lui éviter les chicanes interminables sur les détails qui ont paralysé l’action de tous les gouvernements précédents.
Même si le report d’une semaine aboutit finalement à la désignation de Saad Hariri, des sources bien informées s’attendent toutefois à ce que la formation du gouvernement, en dépit de l’urgence, prenne du temps. Leur raisonnement est que le Hezbollah n’accordera pas à Saad Hariri ce qu’il a refusé à Emmanuel Macron, qu’il voudra nommer « ses » ministres, même s’il s’agira de spécialistes, et que les autres blocs pressentis pour participer au gouvernement voudront bénéficier des mêmes privilèges. En outre, notant que l’on est déjà à la mi-octobre et qu’il ne reste qu’un peu plus de deux semaines avant la présidentielle américaine, ces sources considèrent qu’au regard de l’importance de ce scrutin pour l’avenir de la région, deux semaines d’attente ne sont rien. Les jours qui viennent vérifieront ces pronostics ou les infirmeront.
commentaires (17)
Le président de la République a eu raison de repousser les consultations car la candidature de Saad Hariri est anachronique. Il est hors jeux n'en déplaise à ses quelques supporters. Rappelons que le taux de participation des dernières élections était de 18%. Saad Hariri est donc illégitime dans ses prétentions de bien représenter la communauté sunnite. Sans oublier les qu'il est piètre gestionnaire avec les faillites retentissantes de ses entreprises au Liban en France, en Turquie, en Afrique du Sud et en Arabie Saoudite. Il n'a pas qualité à prétendre à ce poste. Le minimum de décence après tous ses propres aveux serait qu'il annonce son retrait de la vie publique.
Guy de Saint-Cyr
23 h 42, le 17 octobre 2020