Depuis l’interview télévisée qu’il a accordée jeudi dernier à la chaîne MTV, le leader du courant du Futur semblait parier sur l’urgence pour le Liban de former un gouvernement de mission tel que préconisé par le président français Emmanuel Macron et la communauté internationale. Mais aujourd’hui, il semble que son initiative soit menacée d’enlisement, les partis chrétiens compliquant de plus en plus la tâche de Saad Hariri. Alors que l’ancien Premier ministre mène une véritable course contre la montre pour assurer un appui solide à sa candidature « naturelle » à la présidence du Conseil avant jeudi, date des consultations parlementaires contraignantes prévues à Baabda, le leader du Courant patriotique libre Gebran Bassil a, hier, fait clairement barrage à un retour du chef du Futur au Sérail sauf… s’il se plie à ses conditions.
S’exprimant à l’issue d’une messe célébrée hier à l’occasion de la 30e commémoration de la bataille du 13 octobre 1990 (menée par les forces syriennes contre le général Michel Aoun, alors chef du gouvernement de transition), Gebran Bassil s’est déchaîné contre son ancien partenaire. « Nous ne savions pas que le président (français) Emmanuel Macron avait nommé un haut-commissaire pour surveiller la mise en application de son initiative et soumettre les groupes parlementaires à des épreuves afin de tester leur engagement sur ce plan », a lancé le leader du CPL. Il réagissait ainsi aux propos tenus jeudi soir par Saad Hariri, qui avait annoncé qu’une délégation du courant du Futur mènera des contacts avec les protagonistes, principalement articulés autour de l’initiative française et sa concrétisation.
S’en prenant à Saad Hariri mais sans le nommer, M. Bassil a tonné : « Celui qui veut diriger un gouvernement de technocrates doit d’abord être lui-même technocrate, ou céder la place à un technocrate. » Gebran Bassil a en outre souligné qu’un homme politique a le droit de songer à diriger un cabinet politique. « Quant à celui qui veut mêler les deux formules, il doit savoir comment le faire, sans faire le malin, et loin des démonstrations de force médiatiques », a ajouté le député aouniste de Batroun. Encore une pique en référence à la dernière interview de Saad Hariri lors de laquelle ce dernier s’était livré à une diatribe contre le tandem Baabda-CPL.
À travers ses propos incendiaires, Gebran Bassil exprimait son opposition à la nouvelle nomination de Saad Hariri au poste de Premier ministre, anticipant la visite attendue ce matin d’une délégation composée des députés Bahia Hariri (Saïda), Hadi Hobeiche (Akkar) et Samir Jisr (Tripoli), le directoire du parti, à son siège à Sin el-Fil. Une réunion similaire est également prévue avec le chef du groupe parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad.
Au vu du contexte des rapports gelés depuis des mois entre le Futur et le CPL, certains observateurs confient ne pas être surpris par l’attaque de Gebran Bassil contre Saad Hariri. D’autres estiment qu’il s’agit de surenchères politiques normales pendant une phase de négociations politiques et gouvernementales.
Quoi qu’il en soit, le veto du CPL à la nomination du chef du courant du Futur pour former le cabinet est certainement à interpréter sous un angle communautaire. Une fois de plus, le CPL retire à Saad Hariri la couverture chrétienne requise pour qu’il mette sur pied une équipe ministérielle. La position aouniste complète celle des Forces libanaises. Car le parti de Samir Geagea, qui multiplie les signes d’opposition au pouvoir en place et de soutien au mouvement de contestation, persiste et signe : l’heure est à la mise en place d’un gouvernement intégralement formé de spécialistes. Une façon pour le parti de justifier sa volonté de ne pas appuyer la candidature de Saad Hariri, avec qui les rapports sont particulièrement perturbés, comme l’ont montré aussi bien les propos de M. Hariri concernant ses relations avec Samir Geagea, lors de son interview de jeudi dernier, que le communiqué publié vendredi par les FL pour mettre les points sur les i et répondre au leader du Futur.
C’est donc une fois de plus un Saad Hariri en quête de couverture chrétienne qui tente de préparer son retour au Sérail. Mais s’il ne bénéficie pas du soutien des deux partis chrétiens majoritaires, l’ex-chef du gouvernement jouit de l’appui du leader des Marada Sleimane Frangié. Une position que ce dernier a clairement exprimée à l’issue de sa rencontre avec les trois députés haririens à Bnechii. Étaient présents Tony Frangié et Farid Haykal el-Khazen, respectivement députés de Zghorta et du Kesrouan. « Nous allons nommer Saad Hariri lors des consultations parlementaires », a annoncé Sleimane Frangié, rappelant qu’il avait appuyé cette candidature devant Emmanuel Macron, lors de la rencontre élargie à la Résidence des Pins, le 1er septembre dernier. Réaffirmant son attachement à l’initiative Macron, M. Frangié a souhaité que le gouvernement se forme « aisément ».
Comme pour se réserver une place au sein du prochain gouvernement, M. Frangié a lancé : « Je ne crois pas qu’il existe des personnes réellement indépendantes. Mais il y a des gens qui correspondent à un poste bien déterminé, conformément à l’initiative française. »
Bahia Hariri a, quant à elle, souligné que la discussion a principalement porté sur l’initiative française. Selon la députée de Saïda, les entretiens visent à s’assurer de l’attachement des groupes parlementaires au plan Macron. « Nous n’anticipons pas les consultations parlementaires, mais discutons du plan d’action dans la prochaine phase », a-t-elle ajouté.
Elle a tenu des propos similaires à l’issue d’une réunion de la délégation haririenne avec les trois députés Tachnag, Hagop Pakradounian, Hagop Terzian et Alexandre Matossian. Réitérant l’appui du parti arménien à l’initiative Macron, M. Pakradounian a déclaré que la formation prendra sa décision au sujet de la nomination du Premier ministre à la suite d’une réunion de son comité politique prévue aujourd’hui.
Meerab et Moukhtara
La délégation s’est rendue en soirée à Meerab pour une réunion avec Samir Geagea. Le débat s’est articulé autour de l’initiative Macron sans évoquer la question des noms, comme l’a fait savoir Bahia Hariri. Selon une source FL, M. Geagea a exprimé son refus de collaborer avec la majorité parlementaire actuelle et s’est dit favorable à des législatives anticipées. Le groupe FL devrait annoncer sa position finale au cours d’une réunion qu’il tiendra aujourd’hui. Dans certains milieux politiques, on estime que les Forces libanaises ne nommeront aucune personnalité lors des consultations de demain.
Les regards seront entre-temps braqués sur une possible énième normalisation des rapports entre le courant du Futur et le Parti socialiste progressiste. Le leader druze Walid Joumblatt avait fait part lundi, dans un entretien accordé à la chaîne al-Jadeed, de son refus de recevoir la délégation haririenne. Des sources proches de Bahia Hariri confient cependant à L’Orient-Le Jour que les contacts avec Moukhtara ne sont pas rompus et qu’une réunion de la délégation du Futur avec M. Joumblatt demeure possible.
commentaires (16)
Mr. Bassil et Nasrallah soyez tranquilles car c'est Mr. Trump qui va gagner et le Liban malheureusement avec vous deux va payer les pots cassés ??
Eleni Caridopoulou
18 h 00, le 14 octobre 2020