
A Baabda, ce samedi, le Premier ministre désigné Moustapha Adib a annoncé au président Michel Aoun qu'il se récusait. Photo Dalati et Nohra/via AFP
Le Premier ministre libanais désigné, Moustapha Adib s'est récusé, 26 jours après sa nomination, de la formation d'un nouveau gouvernement, sans avoir présenté ne serait-ce qu'une mouture pour son cabinet, alors que le Liban continue de s'enfoncer dans une grave crise économique et politique. M. Adib a annoncé avoir jeté l'éponge après un entretien avec le président de la République, Michel Aoun, au palais de Baabda.
"Je m'excuse de ne pas pouvoir poursuivre la tâche de former le gouvernement", a dit M. Adib, selon un tweet de la présidence de la République. "Que Dieu protège le Liban", a ajouté le responsable, à la fin de sa brève allocution devant les journalistes.
Le président Aoun a accepté la décision du Premier ministre désigné et affirmé qu'il prendra "les mesures nécessaires prévues par la Constitution". "Le président Aoun a reçu le Premier ministre désigné qui lui a fait part des difficultés auxquelles il a fait face dans la formation du gouvernement, puis lui a remis par écrit sa récusation. Le président de la République a remercié le Premier ministre désigné pour ses efforts et lui a dit qu'il acceptait sa récusation. Le chef de l'Etat va prendre les mesures convenables prévues par la Constitution", a écrit la présidence sur Twitter. "L'initiative lancée par le président Emmanuel Macron (lors de la visite du président français au Liban le 1er septembre au Liban, pour la formation d'un "cabinet de mission", NDLR) tient toujours et bénéficie de tout mon soutien, sur la base des principes édictés par le président français", a encore affirmé M. Aoun, selon un communiqué du palais de Baabda. Un peu plus tard, l'entourage d'Emmanuel Macron, qui tiendra une conférence de presse dimanche indiquait que la démission de Moustapha Adib constitue une "trahison collective des partis libanais" mais que la France restera aux côtés du Liban pour l'aider à sortir de la crise qu'il traverse.
"Si un gouvernement n'est pas formé, nous nous dirigeons vers l'enfer", avait mis en garde Michel Aoun, le 21 septembre, en réponse à la question d'une journaliste.
"Excuses aux Libanais"
"Lorsque j'ai été désigné par une large majorité de députés (...), j'ai accepté cette mission en affirmant que je ne dépasserais pas un délai de deux semaines pour la formation d'un gouvernement restreint, de sauvetage, doté d'une mission de réforme précise basée sur les demandes des Libanais (...), à travers une équipe formée d'experts connus pour leur expérience, leur indépendance et leur non affiliation à des partis politiques. Des experts qui ne seraient pas nommés par ceux-ci", a rappelé M. Adib dans son allocution. "J'étais optimiste, étant donné que tous ces critères avaient été approuvés (le 1er septembre, NDLR) par les principaux groupes parlementaires qui s'étaient engagés dans ce sens devant le président français Emmanuel Macron, qui avait alors lancé une initiative de sauvetage du pays (...)", a ajouté M. Adib. "Mais lorsque le processus de formation du gouvernement a atteint ses étapes finales, il s'est avéré que l'accord sur la base duquel j'avais accepté cette mission nationale (...) ne tenait plus. Sachant que les critères que j'ai fixés pour la formation du gouvernement sont désormais voués à l'échec, et parce que j'ai à cœur la cohésion nationale, je me récuse", a expliqué Moustapha Adib, en remerciant le président Aoun et les anciens Premiers ministres qui l'ont "soutenu" dans sa mission. Il a conclu en présentant "des excuses aux Libanais qui comprennent" son incapacité à "réaliser des réformes".
L'impasse après les tractations
Vendredi après-midi, M. Adib s'était déjà rendu à Baabda pour tenir le président Aoun "au courant de l'atmosphère entourant les tractations" mais, encore une fois, n'avait présenté aucune mouture de gouvernement au chef de l'État.
Le 10 août, six jours après la gigantesque explosion au port de Beyrouth qui a fait plus de 190 morts et 6.500 blessés, le gouvernement de Hassane Diab avait démissionné, sous la pression de la rue. Moustapha Adib, qui était ambassadeur du Liban en Allemagne, avait alors été nommé le 31 août pour former un nouveau cabinet, quelques heures avant l'arrivée du président français, Emmanuel Macron à Beyrouth, le 1er septembre.
"Moustapha Adib avait décidé dès vendredi de se récuser, mais après des contacts avec Paris, il a accepté de patienter encore", rapporte notre correspondant politique Mounir Rabih. "Mais à l'issue de l'entretien l'après-midi avec le président Aoun, et la réunion nocturne avec Ali Hassan Khalil, bras droit du leader du mouvement Amal Nabih Berry, et Hussein Khalil, conseiller politique du secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, aucune percée n'a été enregistrée et c'est là que Paris aurait accepté que M. Adib se récuse, en affirmant comprendre sa position", poursuit Mounir Rabih. Selon lui, il va falloir désormais attendre, peut-être plusieurs jours, pour qu'un nouveau Premier ministre soit désigné. Un autre scénario serait que le Hezbollah forme un gouvernement qui lui soit affilié, "mais une telle option est difficilement tenable sur le plan local".
Le Liban dans l'impasse
Moustapha Adib était appelé à former, conformément à l'initiative française visant à sortir le Liban de sa crise, un cabinet de "mission" restreint de spécialistes indépendants. Le principal obstacle rencontré par le Premier ministre désigné dans ses tractations concernait le portefeuille des Finances, réclamé par le Hezbollah et le mouvement Amal. Ces deux formations exigent qu'une "personnalité chiite" soit nommée à la tête de ce ministère qui, selon elles, doit être exclu du principe de rotation des portefeuilles défendu par M. Adib et soutenu par plusieurs parties dont les anciens Premiers ministres sunnites, avec à leur tête Saad Hariri. Et elles exigent de proposer elles-mêmes les noms des autres ministres chiites au sein du cabinet.
Mardi, après un entretien avec le président français Emmanuel Macron, Saad Hariri avait déclaré être d'accord pour que soit nommé, au ministère des Finances, une personnalité chiite indépendante que M. Adib choisirait lui-même, au même titre que les autres ministres, sur la base des critères de compétence, d'intégrité et de non-affiliation partisane. Le chef du Courant du Futur avait précisé que cette attribution du portefeuille à un chiite "ne devrait être valable que pour une fois seulement et ne pourrait pas être considérée comme un précédent valable pour la formation des gouvernements à venir". Cependant, Ali Hassan Khalil et Hussein Khalil avaient réaffirmé jeudi au Premier ministre désigné leur volonté de nommer les ministres chiites qui intégreront le gouvernement, notamment au ministère des Finances. Une nouvelle réunion entre Moustapha Adib et les "deux Khalil", vendredi soir, n'avait débouché sur aucune avancée.
Le récusation de M. Adib indique que le Liban est de nouveau dans l'impasse, au niveau de la formation du nouveau cabinet. Une situation d'autant plus grave que les bailleurs de fonds étrangers répètent qu'aucune aide structurelle ne sera allouée au Liban sans le lancement de réformes désormais bien identifiées. Paris avait exhorté mercredi les partenaires du Liban à exercer des "pressions fortes et convergentes", au côté du président Macron, pour pousser à la formation d'un nouveau gouvernement.
C’était couru d’avance. Ce M. Adib ne parlait qu’aux anciens PM (qu’elle drôle d’idée d’ailleurs ce club d’anciens!) et Berry n’aurait jamais accepté de lâcher la poule aux œufs d’or (étrange qu’on ait laissé se perpétuer ce monopole berryiste sur les Finances!). Bref, on allait dans le mur faute de souplesse et de négo de part et d’autre.
11 h 33, le 27 septembre 2020