
Le président libanais Michel Aoun, lors d'un point presse au palais de Baabda, lundi 21 septembre 2020. Photo Dalati et Nohra
Le président libanais, Michel Aoun, a proposé lundi d'abolir la distribution communautaire des portefeuilles dits "régaliens" pour résoudre la crise dans le processus de formation du gouvernement de "mission", entravé par l'attachement du tandem chiite au ministère des Finances. Une initiative qui intervient alors que le Premier ministre désigné, Moustapha Adib, tente depuis trois semaines de former un cabinet conformément à l'initiative française à laquelle s'étaient engagées toutes les formations politiques.
Conformément à ce plan français, qui vise à sortir le Liban de sa crise politique et financière, M. Adib est appelé à former un cabinet "de mission" restreint, formé de spécialistes indépendants. Le principal nœud rencontré dans les tractations avec les formations concerne le portefeuille des Finances, que le Hezbollah et le mouvement Amal réclament. Ces deux formations exigent qu'"une personnalité chiite" soit nommée à la tête de ce ministère qui, selon, eux doit être exclu du principe de rotation des portefeuilles défendu par le Premier ministre désigné et soutenu par plusieurs parties. Alors qu'il était question en fin de semaine dernière d'une éventuelle récusation de Moustapha Adib, il semble que la cellule de crise française chargée du dossier libanais l’ait aussi poussé à patienter.
"Je propose d'abolir la distribution communautaire des portefeuilles dits régaliens et de ne pas les consacrer à des communautés en particulier, afin que les compétences et la capacité à réussir, et non l'appartenance communautaire, soient les seuls critères de choix des ministres", a déclaré le chef de l'Etat lors d'un point presse au palais de Baabda, dénonçant la "stérilité" du système communautaire qui régit le pays. Dans la tradition des tractations gouvernementales libanaises, les quatre ministères dits "régaliens", à savoir les Affaires étrangères, la Défense, les Finances et l'Intérieur - le ministère de la Justice n'a pas ce statut - sont équitablement répartis entre chrétiens (un maronite et un grec-orthodoxe) et musulmans (un sunnite et un chiite).
M. Aoun a ajouté que "les blocs parlementaires ne doivent pas être écartés de la formation du gouvernement car ce sont eux qui accordent la confiance ou non au Parlement", en allusion à la démarche entreprise par le Premier ministre désigné qui refuse toute consultation préalable avec les blocs parlementaires pour le choix des ministres comme ce fut le cas ces dernières années. "De la même façon, il est inacceptable que des ministres ou des portefeuilles soient imposés, notamment par un camp n'ayant pas la majorité parlementaire", a-t-il ajouté, en allusion aux anciens Premiers ministres sunnites qui refusent que le ministère des Finances reste aux mains du tandem chiite.
Le chef de l'Etat a de nouveau critiqué à demi mot le Premier ministre désigné. "Lors des quatre dernières rencontres (avec Moustapha Adib), aucune mouture de gouvernement n'a été proposée", a-t-il déclaré. Dans un communiqué publié dans la matinée, ce dernier avait lancé un appel pour que toutes les parties "coopèrent toutes afin de faciliter la mise sur pied d'un cabinet de mission au programme déterminé".
"Nous nous dirigeons vers l'enfer"
"Nous sommes face à une crise de formation du gouvernement qui ne devrait pas avoir lieu car les échéances qui attendent le Liban ne permettent pas de perdre une seule minute", a déclaré le président Aoun. "Les blocages n'ont pas été réglés. Il n'y a encore aucune solution car toutes celles qui ont été proposées impliquent un vainqueur et un vaincu", a-t-il ajouté. "Nous avons proposé des solutions logiques et modérées, mais elles n'ont pas été acceptées. Il faut donc revenir à la Constitution et la respecter. C'est la seule solution sur la base de laquelle il n'y aurait ni vainqueur ni vaincu", a poursuivi le chef de l'Etat, rappelant que la Constitution ne stipule pas qu'une communauté ait un droit sur les ministères.
"Si un gouvernement n'est pas formé, nous nous dirigeons vers l'enfer", a mis en garde Michel Aoun en réponse à une question d'une journaliste. Relancé par notre correspondante au palais de Baabda, Hoda Chedid, sur le fait que le cabinet ne sera pas prochainement formé, le chef de l'Etat a répondu hors micro : "Qui sait, il peut y avoir un miracle".
Selon notre correspondant politique Mounir Rabih, une sortie de crise autour de l'octroi du ministère des Finances au tandem chiite, en échange d'une déclaration officielle de ces derniers affirmant que l'attribution de ce portefeuille n'était pas un droit inaliénable, est actuellement à l'étude. Selon notre correspondant politique, cette sortie de crise est actuellement examinée par les ex-Premiers ministres. Najib Mikati aurait donné son accord, mais Saad Hariri n'aurait pas encore tranché. L'ex-PM Fouad Siniora est, lui, contre cette solution. Il s'est réuni, dans la journée, avec "des proches" qui ont eux aussi exprimé leur refus, toujours selon Mounir Rabih.
En réponse à une question, le président Aoun a confirmé que des discussions ont eu lieu récemment avec le président français Emmanuel Macron autour de la crise gouvernementale. "Mais c'est nous qui formons le gouvernement, pas le président français", a-t-il ajouté.
Dimanche, le patriarche maronite Mgr Béchara Raï avait encouragé Moustapha Adib à aller de l’avant dans la mise en place d’un cabinet "et à laisser le jeu parlementaire suivre son cours", conformément à la Constitution.
Le Liban vit depuis un an l'une des pires crises économiques, sociales et politiques de son histoire, marquée par une dégringolade de sa monnaie nationale, une hyperinflation et une paupérisation à grande échelle de la population. La crise a été amplifié par la pandémie du Covid-19 et l'explosion tragique le 4 août au port de Beyrouth, ayant catalysé la mobilisation de la communauté internationale.
Inutile de proposer maintenant. Le temps presse. Ce qu'il faut, c'est faciliter la naissance du gouvernement, comme le conçoit le premier ministre désigné, et suivre les étapes constitutionnelles rapides pour la confiance. Puis, vient la déclaration ministérielle habituelle... qui doit être résumée , car on attend un sauvetage de l'extérieur.
22 h 35, le 21 septembre 2020