Le président du Parlement, Nabih Berry, dont la formation qu'il dirige, Amal, et son allié le Hezbollah, sont pointés du doigt pour avoir poussé le Premier ministre désigné Moustapha Adib à se récuser samedi et à renoncer à former un nouveau cabinet, s'est défendu contre de telles accusations, affirmant qu'il restait attaché à l'initiative française pour une sortie de crise au Liban. Pour sa part, l'ancien Premier ministre et chef du courant du Futur, Saad Hariri, a prévenu, sans les nommer, ceux qui ont entravé selon lui l'initiative du président Emmanuel Macron qu'ils allaient "s'en mordre les doigts de remord". Un peu plus tard, l'entourage d'Emmanuel Macron, qui tiendra une conférence de presse dimanche, indiquait que la démission de Moustapha Adib constitue une "trahison collective des partis libanais" mais que la France restera aux côtés du Liban pour l'aider à sortir de la crise qu'il traverse.
"Personne n'est plus attaché que nous à l'initiative française mais quelqu'un l'a torpillée", a affirmé M. Berry, selon un communiqué de son bureau de presse. "Les réformes sont au coeur de l'initiative française et c'est le gouvernement qui doit mettre en place ces réformes, une fois adoptées", a rappelé M. Berry. "Je pense que toutes les formations parlementaires sont en faveur de ces réformes et le Parlement est celui qui est le plus enthousiaste pour les adopter. Nous restons attachés à l'initiative française et son contenu", a conclu Nabih Berry.
Moustapha Adib a annoncé peu après 11h, samedi, à l'issue d'un entretien avec le président Aoun, son incapacité à former un nouveau gouvernement. Le chef de l'Etat a accepté sa récusation, et a annoncé qu'il prendra "les mesures nécessaires prévues par la Constitution".
"Vous avez perdu un ami"
"Une nouvelle fois, la classe politique au Liban donne au monde un exemple criant de son échec dans la gestion des affaires publiques et de son approche de l'intérêt général", a pour sa part déploré M. Hariri dans un communiqué. "Les Libanais connaissent ceux qui ont bloqué la mission de Moustapha Adib et nous n'avons pas besoin de les nommer car ils se sont dévoilés, au Liban et sur la scène internationale", a ajouté M. Hariri.
"A ceux qui applaudissent l'échec de l'initiative du président français, Emmanuel Macron, nous disons : vous allez vous en mordre les doigts, après avoir perdu un ami et une opportunité exceptionnelle qui pourrait difficilement se reproduire pour mettre fin à l'effondrement économique du pays (...)", a prévenu le leader sunnite. Il a toutefois affirmé que l'initiative Macron "n'est pas tombée". "Ce qui est tombé, ce sont les agissements qui mènent le pays au chaos", a conclu M. Hariri, en remerciant le président français pour ses efforts, et le Premier ministre désigné "qui a assumé ses responsabilités".
Diab réagit
Le Premier ministre sortant, Hassane Diab, qui avait démissionné le 10 août, a estimé que "la récusation vient compliquer davantage les choses en alourdissant les difficultés auxquelles font face le Liban et les Libanais". "J'appelle le président français à rester au côté du Liban durant cette période difficile et à poursuivre ses efforts et maintenir son initiative pour aider le pays", a ajouté M. Diab, appelant les forces politiques locales à "cesser leurs pratiques et leurs tiraillements qui menacent ce qui reste" du Liban. "La récusation du Premier ministre désigné nécessite une nomination rapide d'une personnalité qui puisse faire face à la situation difficile que traverse le pays", a enfin estimé Hassane Diab.
Quant aux anciens Premiers ministres Tammam Salam, Nagib Mikati et Fouad Siniora, qui soutenaient Moustapha Adib, ils ont estimé que les efforts du Premier ministre désigné "se sont heurtés à une multitude d'obstructions locales et internationales". "(...) Il est désormais clair que les parties qui exercent une hégémonie sur le pouvoir continuent d'être dans un état de déni et de refus face aux énormes dangers auxquels fait face le Liban", ont-ils ajouté, dans une allusion à peine voilée au Hezbollah.
Bahaa' Hariri, frère de l'ancien chef du gouvernement Saad Hariri a, quant à lui, affirmé qu'il est désolant d'observer "cette insistance à préférer les intérêts politiques personnels à l'intérêt général". Selon lui, il est devenu nécessaire qu'une "réforme globale soit faite pour que le Hezbollah et les seigneurs de guerre n'utilisent pas leur droit de veto contre l'avenir du Liban". "Nous avons besoin d'un gouvernement non communautaire qui comprenne des personnes compétentes et impartiales, a-t-il ajouté. Les jours de soumission aux besoins du Hezbollah et des seigneurs de guerre doivent être derrière nous. Les seigneurs de guerre ne construisent pas le pays".
Pour sa part, le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, a affirmé que "la récusation de Moustapha Adib a confirmé ce que l'on savait : impossible de réfléchir à un sauvetage sans un gouvernement véritablement indépendant". "Nommer des ministres de la part de partis au pouvoir a prouvé son échec et a mené le pays vers la situation actuelle", a encore estimé le leader chrétien, qui a salué Moustapha Adib, "le premier responsable libanais à démissionner lorsqu'il a réalisé qu'il ne pouvait pas agir selon ses convictions". "Dorénavant, on ne peut plus former de gouvernement en dehors des principes fixés par M. Adib et pour lesquels il s'est récusé", a conclu Samir Geagea.
"Il n'y a pas de salut à l'ombre de ce système destructeur qui cède face à la volonté du Hezbollah et de ses armes, a écrit le chef des Kataëb Samy Gemayel sur son compte Twitter. J'appelle chaque député à prendre une décision courageuse et à démissionner du Parlement, afin que le peuple libanais puisse sauver son avenir. "
"Avortement de l'initiative française"
Le chef des Marada, Sleiman Frangié, qui s'est rendu à la résidence patriarcale estivale à Dimane où il a été reçu par le chef de l'Eglise maronite, Béchara Raï, s'est dit "surpris" de la récusation de Moustapha Adib. "L'initiative française est une opportunité en or pour le Liban et risque de ne plus se reproduire", a prévenu le leader chrétien.
Le leader druze Talal Arslane s'est quant à lui dit "désolé de la démission de Moustapha Adib" lui faisant assumer la responsabilité de "l'avortement de l'initiative française car il n'a pas dirigé personnellement le dossier du gouvernement, laissant sa gestion à un groupe qui n'a aucune légitimité constitutionnelle ou juridique dans le processus de formation des gouvernement", en référence aux ex-Premiers ministres.
Le Courant patriotique libre de Gebran Bassil, gendre du président Michel Aoun qui a fondé la formation, a de son côté affirmé être "attaché à l'initiative du président Macron", appelant le chef de l'Etat français à "la maintenir, en ayant comme priorité la formation d'un gouvernement de mission qui mette en oeuvre les réformes convenues et qui soit composé de ministres capables d'appliquer ce programme, sans lier la formation du cabinet à des conditions préalables concernant sa taille ou sa forme".
Dans un entretien à L'Orient-Le Jour, la veille de la récusation de Moustapha Adib, le leader druze Walid Joumblatt avait affirmé que "ceux qui bloquent les tractations sont des criminels".
Le mufti jaafarite cheikh Ahmad Kabalan a de son côté estimé que "la récusation de M. Adib à un moment où le Liban s'effondre économiquement et financièrement est une catastrophe, et un véritable avortement de l'initiative française". "C'est le moment de sauver le pays et le protéger de l'effondrement, a-t-il ajouté. Nous appelons tout le monde à être des Libanais patriotiques loyaux à leur pays et leur peuple, loin du jeu des nations dans la région". "Une fois de plus, nous disons que nous sommes attachés à l'initiative française à travers un gouvernement inclusif dans lequel sont représentées toutes les forces qui veulent vraiment des réformes et luttent pour l'unité de ce pays et son intégrité territoriale", a conclu le mufti.
"Quelle irresponsabilité !"
Sur le plan international, le coordonnateur spécial de l’ONU pour le Liban, Jan Kubis, connu pour son franc-parler, a qualifié les dirigeants politiques d'irresponsables. ""Quel degré d'irresponsabilité, lorsque l'avenir du Liban et de sa population sont en jeu ! Politiques, avez-vous vraiment saboté cette chance unique créée par la France ?", s'est-il interrogé sur Twitter. "Quand allez-vous cesser de jouer à vos jeux habituels, de manière à écouter le cri du peuple et ses besoins, en ayant comme priorité l'avenir du Liban ?"
Le 10 août, six jours après la gigantesque explosion au port de Beyrouth qui a fait plus de 190 morts et 6.500 blessés, le gouvernement de Hassane Diab avait démissionné, sous la pression de la rue. Moustapha Adib, qui était ambassadeur du Liban en Allemagne, avait alors été nommé pour former un nouveau cabinet, quelques heures avant l'arrivée du président français, Emmanuel Macron, à Beyrouth, le 1er septembre.
Moustapha Adib était appelé à former, conformément à l'initiative française visant à sortir le Liban de sa crise, un cabinet de "mission" restreint, regroupant des spécialistes indépendants. Le principal obstacle rencontré par le Premier ministre désigné dans ses tractations concernait le portefeuille des Finances, réclamé par le Hezbollah et le mouvement Amal. Ces deux formations exigent qu'une "personnalité chiite" soit nommée à la tête de ce ministère qui, selon elles, doit être exclu du principe de rotation des portefeuilles défendu par M. Adib et soutenu par plusieurs parties dont les anciens Premiers ministres sunnites, avec à leur tête Saad Hariri. Et elles exigent de proposer elles-mêmes les noms des autres ministres chiites au sein du cabinet. Il y a quelques jours, M. Hariri avait toutefois fait une ouverture, en acceptant qu'un chiite, indépendant, reste à la tête du ministère des Finances, cette fois-ci seulement.
Avec la récusation de M. Adib, le Liban est de nouveau dans l'impasse, au niveau de la formation du nouveau cabinet. Une situation d'autant plus grave que les bailleurs de fonds étrangers répètent qu'aucune aide structurelle ne sera allouée au Liban sans le lancement de réformes désormais bien identifiées.
commentaires (34)
en tous cas M.Diab les a KELLOUN eu les chiites & pt't aussi m aoun , a les accuser d'avoir sabote le seul projet valable jamais prepare depuis 1988, prepare de plus par quelqu'un qui a VRAIMENT DE LA DIGNITE !
Gaby SIOUFI
08 h 31, le 27 septembre 2020