Le sous-secrétaire d’État américain pour les Affaires du Proche-Orient, David Hale, est attendu ce soir à Beyrouth, pour une visite officielle dont la durée n’a pas été précisée, au cours de laquelle il aura une série d’entretiens avec les responsables libanais, mais aussi avec des représentants de la société civile et des activistes au sein de la contestation populaire. La visite, annoncée la semaine dernière, s’inscrit dans le cadre d’une dynamique diplomatico-politique occidentale qui s’est mise en place en faveur du Liban après la terrible explosion de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium stockées au port de Beyrouth, ravageant plusieurs quartiers de la capitale. L’innommable irresponsabilité politique et administrative qui a conduit à ce désastre ayant coûté la vie à plus de 170 personnes (171 selon un dernier bilan mardi, alors qu’une trentaine d’individus restent portés disparus) fait qu’aujourd’hui le Liban se trouve dans une phase charnière engageant son avenir, s’accorde-t-on à dire dans divers milieux locaux et occidentaux. L’onde de choc provoquée par l’explosion, qui a révélé l’étendue de l’incurie de la classe gouvernante et son inaptitude à gérer les affaires publiques, est trop puissante pour que les choses restent en l’état, et la démission du gouvernement, lundi, n’est rien qu’une pierre dans l’édifice vermoulu qu’une grande partie de Libanais voudraient voir s’écrouler. Leur appel récurrent à un changement, depuis le 17 octobre 2019, devenu plus pressant récemment, a trouvé un écho tout aussi puissant auprès des capitales occidentales amies.
Le discours de David Hale à Beyrouth s’articulera ainsi autour d’un point principal, souligne-t-on de source diplomatique occidentale, à savoir que les Libanais doivent avoir leur mot à dire dans le choix de leurs représentants au pouvoir. Un message qui intervient au moment où les dirigeants libanais, toujours aussi indifférents aux appels de la rue, maintiennent les mêmes pratiques politiciennes en ce sens qu’ils comptent aujourd’hui s’entendre entre eux sur la nature, la composition et l’identité du successeur de Hassane Diab, avant de lancer le processus constitutionnel devant déboucher sur la nomination d’un nouveau chef du gouvernement. De même source, on indique que le responsable américain n’est porteur d’aucune proposition aux Libanais, démentant ainsi des informations ayant récemment circulé et selon lesquelles il envisagerait de discuter avec les autorités de la formation d’un nouveau gouvernement et de leur soumettre une proposition de règlement du dossier de la délimitation des frontières maritimes avec Israël qui les rassurerait. Les États-Unis considèrent que les Libanais ont suffisamment souffert de l’absence de services élémentaires, notamment de l’électricité, puis, avec la crise financière, de l’évaporation de leurs économies, de la dévaluation de leur monnaie et de la perte de leurs emplois. Aujourd’hui, ils réalisent que leurs dirigeants ne peuvent même pas assurer leur sécurité, déplore-t-on de mêmes sources. Durant ses discussions avec les officiels libanais, David Hale devrait réitérer le point de vue de Washington quant à une sortie de crise, difficilement possible avec le Hezbollah qui contrôle pratiquement tous les rouages de l’État. Il devrait donc faire passer le message selon lequel les Libanais ont désespérément besoin d’un changement et devraient être écoutés.
« Un game changer »
Washington voit dans l’explosion du 4 août le genre d’événements qui changent la donne (un game changer), à l’instar de la France, dont le président, Emmanuel Macron, en visite à Beyrouth jeudi dernier, avait affirmé qu’ « il y aura un avant et un après 4 août » au Liban. M. Macron avait sans détour jugé que les autorités ne peuvent plus se permettre de ne pas réaliser des réformes profondes si elles veulent bénéficier du soutien de la communauté internationale. Un discours que David Hale devrait aussi tenir à Beyrouth tout en réaffirmant que son pays se tient toujours prêt à soutenir le Liban. Si les autorités libanaises n’engagent pas des réformes structurelles sérieuses, elles commettraient une grave erreur, soutient la source diplomatique occidentale qui estime qu’il n’est plus possible pour le pays du Cèdre, plongé dans une corruption endémique, de maintenir les mêmes pratiques.
Selon le Wall Street Journal, Washington pourrait en outre bien accentuer ses pressions sur le Liban et irait jusqu’à imposer des sanctions anticorruption contre d’importants responsables politiques et hommes d’affaires proches du Hezbollah, notamment Gebran Bassil, « afin de réduire l’influence » du parti chiite. Le prestigieux quotidien américain cite des « responsables américains et des sources familières avec ces plans » et précise que « l’explosion (...) a accéléré les efforts à Washington pour inscrire sur la liste des sanctions des leaders libanais alignés sur le Hezbollah (...) ». Le quotidien américain mentionne aussi, selon ces sources, d’éventuelles sanctions contre des personnes proches de l’ex-Premier ministre Saad Hariri. « Certains responsables américains veulent agir vite afin que des pénalités constituent un message selon lequel le Liban doit changer de trajectoire, alors qu’il cherche des milliards de dollars d’aide pour reconstruire Beyrouth », souligne le quotidien. Pour les responsables américains cités par le WSJ, « sanctionner des individus méticuleusement sélectionnés vise à orienter la formation du nouveau cabinet à travers deux objectifs : pousser la classe politique à cibler la corruption endémique (...) et s’assurer que le Hezbollah n’aura pas la main sur les décisions du gouvernement ». « Nous ne frapperons pas la tête, nous ciblerons d’abord les genoux », affirme une source au WSJ.
What we have is a recidivist and a repeat offender political class at the helm. The situation will not get better until we have better men in charge.
12 h 23, le 13 août 2020