Hier, place des Martyrs, les préparatifs allaient bon train en vue de la manifestation, prévue aujourd’hui à 15h, à laquelle les différents groupes de la contestation ont appelé. Non loin des drapeaux qui flottent déjà sur la place, une pancarte a été placardée sur un mur. On y lit : « La révolution du 17 octobre est contre les symboles de la criminalité, du vol et de la corruption. Et la résistance (islamique contre Israël) est notre dignité et notre fierté. » À côté, un individu brandit une pancarte sur laquelle l’on peut lire un texte au ton autrement plus provocateur : « Que celui qui veut ôter ses armes à la résistance nous montre de quoi il est capable pour nous défendre face à l’ennemi. » Cette image (voir photo) résume toute la polémique qui agite la planète révolutionnaire depuis plusieurs jours.
Depuis que des groupes de contestataires ont appelé à un rassemblement le 6 juin place des Martyrs, dans le centre de Beyrouth, le bruit court que l’un de ses principaux slogans sera un appel au désarmement du Hezbollah et à l’application de la résolution 1559 (désarmement des milices) du Conseil de sécurité de l’ONU. Or, l’application de la 1559 n’a jamais été au cœur des revendications de la thaoura et ne le sera pas plus demain, assurent à L’Orient-Le Jour plusieurs activistes. Seul le Forum des jeunes, soutenu par Baha’ Hariri et présidé par l’avocat Nabil el-Halabi, semble tenir à cette revendication. « Il est compréhensible d’aspirer à un État normal où il y aurait monopole des armes aux mains des forces armées, mais ce n’est pas le moment ni les circonstances pour faire assumer à cette révolution un objectif tel que celui-là, affirme Camille Mourani, activiste indépendant. Ces bruits circulent depuis quatre à cinq jours, et il nous a fallu beaucoup d’efforts pour en réparer les effets. Certains tentent par tous les moyens de faire échouer notre mouvement. »
Pour Serge Dagher, coordinateur des relations politiques du parti Kataëb, il est plus que probable que ces rumeurs soient l’œuvre de services de renseignements. « Les objectifs de la manifestation de samedi sont clairs : dénoncer la cherté de vie, appeler au changement du pouvoir et à des élections législatives anticipées », dit-il. La participation déclarée de son parti n’a-t-elle pas contribué à faire grossir la rumeur ? « Nous prenons part à tous les rassemblements depuis le 17 octobre, mais il plaît à certains de prétendre que c’est la première fois que nous y sommes, répond-il. Notre position par rapport aux armes du Hezbollah n’est pas un secret, mais la manifestation du 6 juin n’est en aucun cas le moment pour la mettre en avant. C’est de l’intox pure. »
Pour Nizar Hassan, de Li Hakki, « il y aurait une propagande des deux côtés, de la part de partis de l’opposition (au gouvernement) qui voudraient mettre cette revendication en avant, et de la part du Hezbollah et de ses alliés qui en profitent pour accuser les militants de traîtrise afin de les décrédibiliser, dans l’intention claire de faire échouer le mouvement ».
Khalil Hélou, général à la retraite et membre du groupe des militaires retraités au sein du mouvement de la contestation, ne trouve pas surprenant, quant à lui, qu’un tel slogan soit scandé sur les places de la révolution. « Il y a toujours eu plusieurs sons de cloche dans les rassemblements », dit-il, sans que ce slogan de désarmement soit pour autant au cœur du rassemblement, comme c’est le cas maintenant, selon lui.
Cofondateur du groupe Khat Ahmar, l’un des organisateurs, Sami Saab, remet les pendules à l’heure. « Les manifestants protesteront demain contre l’échec de ce gouvernement et de cette classe politique, affirme-t-il. Nos revendications n’ont pas changé, mais de nombreuses parties auraient intérêt à faire couler ce mouvement. Nous voulons mobiliser le maximum de forces vives possibles, pourquoi sortirions-nous un slogan qui divise ? » Ali Mourad, du groupe de la Commune du 17 octobre, refuse de conférer à cette affaire une dimension qu’elle n’a pas. « Certaines personnes ont exprimé leur opinion, et elles sont libres de le faire, mais aucun groupe crédible de la contestation n’a adopté ce slogan », assure-t-il.
De Nabatiyé et de Baalbeck
Si les groupes de la contestation nient donc d’une seule voix que ce slogan soit au centre de leur action, le mal semble déjà fait en certains endroits. Ainsi, à Nabatiyé où le mouvement de contestation est très vivace, les avis sur la manifestation d’aujourd’hui divergent, selon notre correspondante Badia Fahs. Certains refusent désormais de se joindre au rassemblement à Beyrouth, que ce soit par conviction ou par crainte. Ce slogan a laissé des traces dans les esprits des habitants de cette zone qui vit où l’influence du Hezbollah est significative, probablement en raison du fait que ce parti et ceux qui lui sont proches ont mis en garde la population contre le fait que de telles manifestations peuvent lui être nuisibles et servir la cause d’Israël, son ennemi juré. Toutefois, note notre correspondante, l’influence de ces rumeurs sera limitée car, malgré les débats houleux que suscite ce slogan au sein de la société de Nabatiyé, cela n’empêchera pas de nombreux contestataires de descendre à Beyrouth samedi par leurs propres moyens. Preuve en est la manifestation qui a eu lieu hier dans les rues de la ville, avec promesse de se retrouver à Beyrouth. De même, de nombreux contestataires de Baalbeck s’apprêtent aussi à se rendre à la capitale, selon notre correspondante Sarah Abdallah. Elle ajoute que beaucoup d’autres manifestants viendront de la Békaa centrale, soulignant que le Forum des jeunes (appuyé par Baha’ Hariri) et le parti Sabaa ont mis des bus à disposition des manifestants.
Malgré les tensions, les contestataires interrogés ne redoutent pas particulièrement des conflits dans les rues ou des contre-manifestations, même si celles-ci ont lieu. D’ailleurs, disent-ils, les forces de sécurité doivent avoir pour mission de protéger les manifestants. Par ailleurs, un message véhiculé par des sources proches des milieux du Hezbollah, hier en soirée, incitait les partisans à ne pas descendre dans la rue contre les manifestants et à ne pas provoquer de conflits avec quiconque, même en cas de slogans scandés contre les armes du parti.
Les élections anticipées, pas du goût de tout le monde
L’autre slogan qui divise est celui des élections législatives anticipées, principalement revendiquées par les partis Kataëb et Sabaa. « Cette revendication ne fait effectivement pas l’unanimité, mais ce qui est sûr, c’est que tout le monde veut le changement, et nous sommes ouverts à toutes les suggestions », assure Serge Dagher. Les autres activistes préfèrent axer les revendications sur les questions sociales, trouvant qu’il est risqué et irréaliste de demander à ce gouvernement d’organiser des élections en vertu d’une loi taillée sur les intérêts des politiciens, préférant œuvrer pour une période de transition qui comprendrait un changement de gouvernement. Khalil Hélou, lui, préfère que le mouvement de contestation s’organise en prévision des élections de 2022 (dans leur délai prévu, donc). Il ne s’agit pas d’une course au pouvoir, ajoute Nizar Hassan.
S’il est un point où tout le monde est d’accord, c’est bien que cette manifestation est une étape dans une lutte continue, qui devrait mener idéalement vers une sorte d’organisation du mouvement de contestation.
Il ne faut pas mélanger torchons et serviettes. La manifestation d'aujourd'hui concerne la famine qui menace les Libanais semblable à celle de 1915. Aux malintentionnés de ne pas mêler Israél à des problèmes qui ne le concernent point. Ne mêlez pas la "résistance" aux problèmes intérieurs libanais, changez le disque ! Les manifestants ne sont pas dupes, ils savent où "on" va les mener. ..
12 h 51, le 06 juin 2020