La commission parlementaire de l’Administration et de la Justice a décidé de prendre part à la bataille de la lutte contre la corruption, devenue un slogan très cher à la classe politique, soucieuse d’adresser des messages positifs à la communauté internationale, pour que soient débloqués les fonds promis au Liban depuis 2018.
Parallèlement au début des négociations officielles entre le Liban et le Fonds monétaire international en vue d’une aide à même de résoudre la crise économique grave, le président de la commission de l’Administration et de la Justice, Georges Adwan, a convié son collègue Hassan Fadlallah, député Hezbollah de Bint Jbeil, à la réunion de la commission tenue hier au Parlement, sachant qu’il n’en fait pas partie.
Connu pour sa lutte acharnée contre la corruption, M. Fadlallah avait même été jusqu’à déclarer en février 2019, depuis la tribune du Parlement, qu’il possédait des documents « qui pourraient mener à l’emprisonnement de grosses pointures ». Vendredi dernier, il avait tenu une conférence de presse dans laquelle il avait dressé le bilan de l’action de son parti en matière de lutte contre la corruption.
Hier, Hassan Fadlallah a répondu favorablement à l’invitation de Georges Adwan. Lors de la réunion, il a présenté aux participants une dizaine de dossiers à partir desquels il avait saisi la justice, dans une tentative de lancer sérieusement la bataille contre la corruption. Les députés en ont alors profité pour examiner la possibilité de demander à la Chambre de former des commissions parlementaires d’enquête. Selon certains milieux, il s’agit d’une façon pour la commission de réagir au retard mis par le pouvoir judiciaire pour se prononcer au sujet de ces dossiers épineux. D’autant que de telles commissions, une fois formées, sont en plein droit de convoquer toute personnalité concernée. Celle-ci est même tenue d’y répondre favorablement, la convocation ayant la même valeur que celle d’un juge.
Une source parlementaire confie dans ce cadre à L’Orient-Le Jour qu’il s’agit principalement des dossiers qui avaient toujours suscité doutes et interrogations, tels que le fuel défectueux, l’électricité (les navires-centrales loués à la compagnie turque Karadeniz), les télécoms, le projet de réhabilitation du réseau des égouts... Un tableau auquel il conviendrait d’ajouter la fameuse polémique portant sur les onze milliards de dollars que le camp du 8 Mars (principalement le Hezbollah et le Courant patriotique libre) accuse ses adversaires du 14 Mars d’avoir dépensés sans en définir les motifs, encore moins les détails. Selon le 8 Mars, c’est cette somme qui aurait entravé la mise sur pied de budgets de l’État entre 2005 et 2016, doublée de l’absence des bilans des comptes pour les mêmes années.
Cette même question avait suscité une violente polémique entre Fouad Siniora, ancien chef de gouvernement et ex-ministre des Finances, et le Hezbollah et ses faucons. M. Siniora s’était même présenté devant le procureur général financier dans le cadre de cette affaire. Mais aujourd’hui, l’ancien Premier ministre ne semble pas déterminé à répondre à une éventuelle convocation de la part d’une future commission parlementaire. « Tout ce que j’ai dit à ce sujet est connu », se contente-t-il de déclarer à L’OLJ.
Quoi qu’il en soit, pour le moment, aucune décision n’a été prise officiellement. Contacté par notre rédaction, Georges Okaïs, député de Zahlé (Forces libanaises) et membre de la commission, assure que celle-ci entend convoquer la ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, pour l’interroger au sujet du retard mis par le pouvoir judiciaire pour trancher les dossiers dont il est saisi. « Durant la séance de la commission, j’ai demandé que soit saisie l’Inspection judiciaire dans ce même cadre », souligne encore le député FL.
À une question portant sur la formation d’une commission parlementaire d’enquête, Georges Okaïs a répondu en prenant soin d’assurer que le recours à cette option ne devrait pas être interprété comme un manque de confiance dans la justice. « Il s’agit d’une de nos compétences prévues dans le règlement intérieur de la Chambre », dit-il, expliquant que la commission d’enquête devrait « rédiger un rapport détaillant son action et le présenter à la Chambre pour que les mesures adéquates soient prises ». « Dans ce cas, deux éventualités se présentent : le dossier est remis soit au pouvoir judiciaire, soit à la Cour chargée de juger les présidents et les ministres, s’il s’avère que des ministres sont impliqués dans l’affaire en question », dit-il, insistant sur la nécessité d’assurer une indépendance totale de la justice, en approuvant les permutations et nominations judiciaires établies par le Conseil supérieur de la magistrature. Le député de Zahlé lançait ainsi une pique tant à la ministre de la Justice qu’à la présidence de la République. Et pour cause : Marie-Claude Najm a remis au chef de l’État des permutations judiciaires que Michel Aoun n’a toujours pas signées.
Retrait de confiance ?
Pour en revenir à la séance d’hier, Hassan Fadlallah a déclaré dans un point de presse tenu à la Chambre qu’elle sera suivie par plusieurs démarches que le Hezbollah entend entreprendre dans le cadre de la lutte contre la corruption. « Le suivi sera assuré tant par l’intermédiaire d’avocats qu’à la Chambre », a-t-il précisé.
S’exprimant à son tour à l’issue de la séance, Georges Adwan a fait savoir que la commission consacrera une de ses réunions aux réponses de la ministre de la Justice concernant les dossiers douteux. « Le recours à la justice est la règle et les commissions parlementaires d’enquête constituent l’exception. Mais nous ne voyons aucun résultat », a poursuivi M. Adwan, ajoutant : « Je mènerai des contacts avec le reste des commissions et nous définirons les sujets qui requièrent des commissions d’enquêtes, afin d’adresser une demande à la Chambre. » M. Adwan a souligné que de nombreux députés ne faisant pas partie de la commission qu’il préside se sont dit prêts à signer une telle requête.
« Le gouvernement actuel n’est pas un cabinet d’union nationale. Le Parlement accomplira donc son devoir et lui demandera des comptes comme cela se doit. Et, en séance plénière, aucun ministre ne devrait s’étonner s’il nous voit retirer la confiance à cause d’un dossier bien défini », a souligné le député FL, tout en s’engageant à exposer le bilan de ses contacts la semaine prochaine.
Sans rire? Really?
23 h 38, le 13 mai 2020