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Lifestyle - Photo-roman

Lettre du Covid-19 au monde...

Photo Nabil Ismaïl

Chers citoyens de la planète Terre,

Maintenant que mère Nature vous a renvoyés à la solitude de vos chambres pour revoir votre désastreuse copie, comme l’on met au piquet des enfants indisciplinés, je profite du silence pour vous adresser cette lettre. Je sais que vous m’écoutez, que des milliards de paires de rétines sont rivées sur le moindre de mes mouvements, maintenant que vous avez mesuré l’étendue de mon pouvoir de frappe, plus d’un million de contaminés (déclarés) à l’heure où j’écris ces lignes. Depuis mon échelle infinitésimale, j’ai entendu vos dirigeants dans leurs costumes ridicules se relayer pour assurer que je n’arriverai jamais chez vous. J’en glousse encore. Car, surprise, après avoir voyagé de main en main, de langue en langue, de crachat en crachat, de toux en toux et de souffle en souffle, me voilà désormais non seulement chez vous, mais peut-être même en vous. Coucou ! J’ai débarqué sans qu’on ne m’y invite, m’incrustant dans vos naguère homes sweet homes, dans vos frigos, au creux de vos armoires et vos intimités. À présent, vous ne parlez plus que de moi, vous ne pensez et ne rêvez plus qu’à moi. Fille d’un pangolin et d’une chauve-souris, et pourquoi pas d’un savant échevelé de Wuhan, de moi, vous ne connaissez que cela. Sauf qu’à voir toutes ces théories se bousculer en se contredisant à mon propos, je crois qu’en fait vous ne savez rien. Les vieux rois de la planète sont nus, quand ma microscopique couronne à mille piques n’a jamais autant sévi. Je vous laisse au passage le soin de deviner ce que Corona signifie en latin… De toute manière, du sens, un sens, vous vous éreintez à en trouver entre les quatre murs où vous êtes désormais assignés. Je me propose de vous donner un coup de main.


Les poumons carbonisés de la Terre
Allez voir du côté des bibliothèques poussiéreuses que vos vies empressées vous ont forcés à délaisser et auxquelles vous avez longtemps et clairement préféré l’amnésie rapide de vos écrans. Vous cherchez la faille dans ces écrits, le moment où le monde a mal tourné. Vous ouvrez grands vos frigos, tous ces animaux que vous avez mangés à belles dents, peut-être pas des pangolins, mais des fermes entières, des organismes modifiés et des chairs transgéniques. Puis vous comptez tous ces appareils qui scintillent et se réchauffent, ces machines qui bipent, ces cuirs qui reluisent dans vos dressings, ces vols que vous avez pris à la volée et vous voyez, là, sous vos yeux, comment vous avez carbonisé les poumons de la Terre. Dès lors que vous regardez autour de vous, par-delà vos nombrils sur lesquels l’individualisme néolibéral vous a sans cesse attiré le regard, vous comprenez que là où vous avez choisi d’être maintenant, si toutefois vous avez eu le privilège de choisir, ça s’appelle la maison. Vous comprenez que la maison, c’est aussi celle ou celui dont le grain de peau vous manque atrocement en ce moment. Alors que vous viviez repliés sur vos écrans, vous vous rendez compte à cet instant précis que l’univers technologique tant désiré ne vaudra jamais une main qui se frotte à la vôtre. La promesse d’un « viens, que je te prenne dans mes bras » ne vous aura jamais semblé aussi précieuse. Quant à vos grands-parents qui ne me survivront peut-être pas, et plus globalement les aînés qu’on laisse mourir dans les maisons de retraite, vous regrettez maintenant tout le temps perdu loin d’eux, à les écarter parce qu’ils entendent mal ou ne voient plus. Depuis le canapé où vous passez vos journées, vous remettez sans doute en question la notion du travail, toutes ces nuits passées à trimer, à ne pas dormir, à faire de l’argent, en vue de misérables vacances qu’aujourd’hui, mon invisibilité a annulées. Et l’école telle qu’on l’a pensée, ces infinis algorithmes, ces théorèmes et ces principes qui, même empilés, ne parviennent toujours pas à résoudre mon équation. Pour qui, pourquoi ?


Raoult, Fauci ou Nasnas…
D’un œil distrait, vous faites le tour des nouvelles. Vous vous retournez tout d’un coup vers les journalistes qui s’épuisent à trouver quelque réponse à vos cogitations, et vous vous pardonnez mal d’y avoir longtemps privilégié ces blogueuses, vides et calquées sur le modèle Kardashian. N’est-ce pas ? À la télé, à la radio, dans les journaux, vous voyez l’impuissance de vos dirigeants qui tournent en bourrique et ne leurrent plus personne avec leurs vieilles ruses. Tandis qu’ils rabâchent leur sempiternelle rhétorique de guerre, vous buvez les mots du Pr Raoult, du Dr Fauci ou du Pr Nasnas. Vous vous accrochez à un urgentiste ou un simple médecin de famille. Le corps médical, vous avez envie de vous prosterner devant lui, comprenant enfin pourquoi une poignée d’activistes hystériques répétaient à outrance le besoin d’investir davantage dans le secteur de la santé. Vous vous fiez désormais à la science, longtemps regardée de haut par la finance et le high-tech. Elle est votre nouvelle religion, l’oracle, l’astrologie et la voyance rassemblés. Brusquement, en zappant de chaînes, en faisant défiler les infos, vous voyez tous ceux que la gomme du capitalisme effréné avait rendus invisibles. Les caissiers, les chauffeurs, les livreurs, les employées de maisons dont le travail a quadruplé, les femmes en ligne de front à la maison, les femmes en ligne de mire partout, et les SDF. Les laissés-pour-compte dont la mondialisation a jugé qu’ils ne comptaient pas. Vous sautera aux yeux le racisme idiot envers la Chine, d’abord moquée, toisée, crachée dessus, puis lâchement érigée en modèle. Vous vous sentez tellement nuls et ridicules. Vous étouffez. Alors vous décidez de prendre l’air, gantés et masqués, de peur de moi qui avance masqué. Vous sillonnez les rues vides. La nature n’a jamais été aussi belle que depuis que vous l’avez laissée tranquille. La ville, jamais aussi laide, depuis que vous y avez mis les pieds.

Et là, soudainement, au cœur de ce silence, la tête baissée comme un enfant mis au piquet, vous comprendrez que tout ce qui arrive n’est pas à cause de moi, d’un pangolin, d’une chauve-souris ou d’un savant échevelé de Wuhan…



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